Une vieille assurance vie vaut cher. Très cher. Cesser de payer la prime en raison d'un budget serré pourrait vous ...
Une vieille assurance vie vaut cher. Très cher. Cesser de payer la prime en raison d’un budget serré pourrait vous faire perdre beaucoup d’argent. Voici des solutions.
Jean-Pierre (nom fictif) a acheté une assurance vie en 1998. C’était il y a 21 ans ; il avait alors 66 ans. «J’ai contracté une assurance vie permanente de 200 000 dollars, raconte l’homme de 87 ans par courriel. Celle-ci me coûte 7 500 dollars par année.»
À ce jour, Jean-Pierre a payé plus de 157 000 dollars, soit près de 80 % du montant que sa succession recevra à son décès. Vu son train de vie actuel, il juge les montants de sa prime onéreux et cela pèse sur son budget.
«Que puis-je faire ? se demande-t-il. Si je cesse mes paiements, je romps mon contrat et je perds tout ce que j’ai investi jusqu’à ce jour.» D’un autre côté, si sa santé se maintient et qu’il vit encore jusqu’à 95 ans, il devra encore payer 60 000 dollars en primes d’assurance. Autrement dit, son assurance vie de 200 000 dollars lui aura coûté 217 000 dollars !
Le produit contracté par Jean-Pierre est une assurance vie entière (il ne nous a pas communiqué les détails du contrat). Aussi appelée assurance «permanente», ce type de produit garantit un capital-décès, à condition que le client paie toutes les primes prévues au contrat.
Cela se distingue de l’assurance vie dite «temporaire», moins chère, dont la protection prend fin après 5, 10 ou 20 ans, selon la couverture choisie. Cette assurance sert avant tout de protection contre une perte de revenu.
Alors à quoi sert l’assurance vie entière ? Il faut la considérer le plus souvent comme un placement pour les gens fortunés qui ne survivront jamais à leur argent, quoi qu’il arrive. La police occupe généralement une place dans la portion prudente du portefeuille de son détenteur. Dans cette perspective, ce qui rend l’assurance vie intéressante, c’est que le capital-décès n’est pas imposable, d’où la possibilité de réaliser un rendement qui sera déterminé par le moment du décès de l’assuré.
Il existe des produits plus sophistiqués, comme l’assurance vie «universelle», une assurance vie entière assortie d’un compte de placement.
Dans tous les cas, plusieurs options peuvent être ajoutées au contrat, ce qui fait généralement augmenter le coût de la prime.
C’est le cas lorsque la police est dotée d’une valeur de rachat, ce qui permet à l’assuré, après un certain nombre d’années, de mettre fin au contrat en récupérant une partie de ses primes. Ce qui nous ramène à Jean-Pierre. Si son contrat prévoit une valeur de rachat, ce serait une option à envisager. Ce ne serait toutefois pas la meilleure.
«Souvent, les gens qui ont une assurance vie avec valeur de rachat sont tentés de racheter avant leur décès», souligne Denis Preston, retraité de la planification financière, aujourd’hui chargé de cours à HEC Montréal. En fait, en moyenne, après 20 ans, 26,6 % des contrats d’assurance détenus par des non-fumeurs sont abandonnés ou rachetés – et cette proportion s’élève à 42,5 % pour les fumeurs, selon une étude de 2015 menée par l’Institut canadien des actuaires intitulée «Taux de déchéance des polices d’assurance temporaire 100 ans». C’est donc à dire qu’après 20 ans, il y a de fortes chances pour qu’une partie des sommes payées sous forme de prime soit laissée sur la table… de l’assureur.
«La prime que facturent les assureurs aux consommateurs est calculée, notamment, en considérant cet élément, la déchéance, mais aussi d’autres facteurs tels que la prime pure ou actuarielle, les frais de versements imputés au contrat, le taux de rendement net estimé sur la réserve mathématique et les taxes provinciales sur les primes», explique Denis Preston.
Il rappelle par ailleurs qu’il existe aussi d’autres options pour le titulaire-propriétaire de la police d’assurance vie, comme l’avance sur police. «C’est un emprunt auprès de la compagnie d’assurance. Au moment du décès, on soustraira de la prestation versée le montant emprunté en tenant compte des intérêts.»
Il y a aussi la possibilité d’offrir le contrat en garantie à une banque. «C’est au fond un emprunt auprès d’une banque plutôt qu’auprès de l’assureur. Un peu comme une hypothèque inversée, mais au lieu de mettre sa maison en garantie, la personne y mettra son contrat d’assurance», poursuit le spécialiste.
Dans le cas de Jean-Pierre, l’option de faire payer les primes par le bénéficiaire de la police d’assurance est celle qui apparaît la plus logique aux yeux d’Yves Quevillon, planificateur financier et représentant autonome. «Si Jean-Pierre était mon client, mon premier réflexe serait de lui présenter une autre solution impliquant sa famille. Quelqu’un pourrait prendre le relais et assumer le coût des primes. Pour cette personne, si elle est bénéficiaire de la police, elle obtiendrait un rendement très intéressant de son investissement.»
Méconnue, la possibilité de vendre son contrat d’assurance à un tiers est aussi possible, c’est-à-dire procéder à un transfert de propriété contre rémunération. L’acheteur devient alors le bénéficiaire. En échange, il paie un montant forfaitaire au titulaire et prend le relais dans le paiement des primes.
Jean-Sébastien Besner, de Financière Groupe Besner, se spécialise dans ce type d’opération. «Je demande toujours au titulaire s’il a d’abord consulté les membres de sa famille pour racheter sa police», se défend-il. L’homme d’affaires s’appuie sur l’avis d’un actuaire-conseil afin de déterminer la valeur de rachat de la police. «On prend en considération l’âge de l’assuré, le montant de la prime à payer et du capital-décès, ainsi que des tables actuarielles.»
Son activité, qu’on associe à de la spéculation sur la mort, reste marginale. Les compagnies d’assurance décrient ce marché parallèle. Il faut dire que la revente de police est susceptible de rogner les profits des assureurs.
Lyne Duhaime, présidente de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) pour la région du Québec, précise entre autres dans un courriel que le commerce des polices d’assurance vie devrait être mieux encadré au Québec pour protéger les personnes vulnérables.
«Nous souhaitons que le Québec interdise, ou à tout le moins encadre le commerce de polices d’assurance vie à des fins spéculatives, comme ailleurs au pays, écrit-elle. Nous considérons que l’objectif devrait être une solution équilibrée pour le consommateur, soit la préservation du droit de céder sa police dans certaines circonstances, mais dans un cadre où il est suffisamment protégé.»
On ne connaît pas les arguments qui ont convaincu Jean-Pierre d’acheter une assurance vie. Il ne croyait sans doute pas être aussi en forme 21 ans après avoir contracté la police.
Peut-être aussi que le produit ne lui convenait pas. Pourquoi alors lui aurait-on vendu ? Une étude de Me Vincent Caron, de l’Université d’Ottawa, publiée en 2016 et intitulée «Loi sur la distribution de produits et services financiers», apporte un début de réponse. On y lit, notamment, que l’«ampleur des commissions versées par l’assureur est fomenteur de risque moral».
«Oui, certains conseillers peuvent être tentés de faire de l’argent. Je crois cependant que la majorité d’entre eux est professionnelle», explique pour sa part Yves Quevillon.
Il rappelle l’importance de bien choisir son conseiller. «Si la personne sent de la pression pour l’achat d’un produit, ce n’est généralement pas bon signe et le client devrait rencontrer d’autres courtiers.»
Le planificateur financier estime que la commission qu’un courtier peut recevoir lors de la vente d’un produit d’assurance équivaut approximativement à la prime que paiera le client pour la première année. «C’est une règle approximative, mais une fois le contrat émis, le courtier reçoit en moyenne le coût de la prime payée par le client la première année.»
Le cas de Jean-Pierre rappelle l’importance de bien établir, dès le départ, les besoins en assurance vie d’une personne. «On dit souvent, en planification financière, qu’un besoin temporaire, c’est un produit temporaire, et qu’un besoin permanent, c’est un produit permanent», rappelle Denis Preston.
«Si une personne a 85 ans, que ses enfants sont adultes, qu’elle n’a pas de personne à charge, qu’elle possède des actifs (REER ou CELI), pourquoi aurait-elle besoin d’assurance ?» s’interroge-t-il. Il rappelle que chaque client potentiel devrait passer, avec son conseiller, au travers des étapes du processus d’analyse globale des besoins d’assurance.
Sur le site de l’Institut québécois de la planification financière (IQPF), dans le module Assurance et gestion des risques, on trouve un exemple de l’arbre de décision pour une évaluation des besoins d’assurance vie. Deux premières questions importantes à se poser sont les suivantes : «Est-ce qu’une partie des revenus du client sert à subvenir aux besoins d’autres personnes ?» Si la réponse est négative, le client n’a pas besoin d’assurance vie. S’il répond oui, la question suivante est celle-ci : «Est-ce que les liquidités successorales du client seraient suffisantes pour subvenir aux besoins de ces personnes ?» S’il répond par l’affirmative, le client n’a pas besoin d’assurance vie.