Des aberrations dans les règles de pensions alimentaires et des allocations familiales (partie 1)
Dany Provost|Mis à jour le 08 novembre 2024Des incohérences dans le calcul des pensions alimentaires peuvent coûter une fortune à certains parents. (Photo: 123RF)
Dans une série de trois textes, notre collaborateur se penchera sur les aberrations dans les règles de pensions alimentaires, de l’Allocation famille au Québec et de l’allocation canadienne pour enfants. Pour commencer, il analyse les incohérences du calcul des pensions alimentaires. |
EXPERT INVITÉ. Cette semaine, j’étais dans la vérification de certains calculs de pensions alimentaires pour enfants lors d’une séparation, et je suis allé faire un tour du côté de l’outil de calcul développé par le ministère de la Justice.
C’est un très bel outil facile à utiliser: on entre les revenus des parents, le nombre d’enfants, le type de garde et certains ajustements (au besoin) et le montant de pension alimentaire qu’un parent doit verser à l’autre est automatiquement calculé.
Le principe de base est simple: on détermine les besoins des enfants selon les revenus des parents après soustraction d’un montant pour leurs propres besoins. On attribue ainsi la proportion de chaque parent aux besoins. Par la suite, selon de temps de garde, chaque parent assume une partie des dépenses. La différence entre les deux résultats est la pension alimentaire.
Bon, ça semble compliqué comme ça, mais ça ne l’est pas vraiment.
Prenons un exemple pour bien comprendre. Un papa qu’on appellera Guillaume, une maman qu’on appellera Jasmine et deux enfants qu’on ne nommera pas, question de préserver leur anonymat.
Guillaume gagne 151 835$ par année et Jasmine 59 335$. Chacun de leur revenu fait l’objet d’une diminution de 13 085$ (en 2024) pour estimer leur contribution possible aux besoins des enfants.
Les revenus ainsi diminués passent à 138 750$ et 46 250$, pour un total de 185 000$. Avec deux enfants et un tel revenu total, les besoins des enfants, selon la table de fixation de la contribution alimentaire de base, mise à jour annuellement, les besoins des enfants sont de 20 020$ par année. Je vais arrondir à 20 000$…
Or, sur le total de 185 000$, le revenu de Guillaume compte pour les trois quarts (138 750 sur 185 000) et celui de Jasmine pour le quart.
Donc, sur les besoins de 20 000$, Guillaume devra contribuer pour 15 000$ et Jasmine, 5000$.
On retient ça.
On a la moitié du chemin de fait…
L’autre moitié dépend du temps de garde de chaque parent. Il y a trois traitements de base possibles :
- Une garde exclusive: lorsque le parent non gardien assume un droit de visite et de sortie de 20% et moins, soit 73 jours ou moins dans une année.
- Une garde partagée : lorsque chacun des parents assume au moins 40 % du temps de garde, soit entre 146 et 219 jours par année pour chacun.
- Une garde exclusive avec ajustement pour droit de visite et de sortie prolongé : pour le trou qui reste, soit entre 20% et 40% pour un parent (plus de 73 jours par année et moins de 146) et entre 60% et 80% pour l’autre, évidemment.
Regardons l’exemple des deux premières situations avec Guillaume et Jasmine.
Première situation: garde exclusive pour Jasmine
Si Jasmine a une garde exclusive, le modèle considère qu’elle paie la totalité des besoins des enfants (20 000$). Dans ce cas, comme elle est censée contribuer pour 5000$, il lui manque 15 000$, soit la contribution totale de Guillaume.
La pension alimentaire annuelle au bénéfice des enfants que Guillaume devrait verser à Jasmine serait donc de 15 000$.
On pourrait s’offusquer du traitement identique fait à un parent qui a 20% de temps de garde (donc qui engage certainement des dépenses) et un autre qui ne voit pas (ou très peu) ses enfants…
… mais c’est un choix politique que je respecte et ça simplifie l’administration.
L’aberration n’est pas ici (du moins pour une garde exclusive de Jasmine).
Deuxième situation: garde partagée à 45% pour Guillaume et 55% pour Jasmine
Dans le cas d’une garde partagée, je le répète, il faut être dans une balise de 40-60 pour chaque parent. Chacun assume alors les besoins selon sa proportion de temps de garde.
Avec un pourcentage de 45 % pour Guillaume, il assume donc 9000$ (sur les 20 000$) et Jasmine, le reste, soit 11 000$.
Or, Guillaume doit contribuer à la hauteur de 15 000$, peu importe la répartition des temps de garde. Si le modèle considère qu’il a 9000$ de dépenses, le reste de sa contribution, soit 6000$ (15 000 – 9000 = 6000), doit être versé à Jasmine sous forme de pension alimentaire.
Ici, aucun choix politique discutable… du gros bon sens et pas d’aberration non plus.
À suivre…
La semaine prochaine, nous nous pencherons sur la troisième situation. Vous verrez que pour une seule journée de garde, vous pouvez gagner, ou perdre, des milliers de dollars.