Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Attention, notre argent est dans le viseur des fraudeurs

Claudine Hébert|Édition de la mi‑mars 2023

Attention, notre argent est dans le viseur des fraudeurs

Selon des données préliminaires du Centre antifraude du Canada (CAFC), près de 28 000 personnes ont été victimes de fraude au pays l’an dernier. (Photo: 123RF)

Déjà que l’inflation, les hausses du taux d’intérêt et le spectre d’une récession risquent de malmener notre portefeuille en 2023, les investisseurs doivent aussi affronter les menaces des fraudeurs qui multiplient les astuces pour, eux aussi, en obtenir une partie.

Que ce soit par texto, par courriel, par médias sociaux, par téléphone ou par la poste, plus personne n’est à l’abri des innombrables tentatives que développent les escrocs pour mettre la main sur nos économies. Le 24 décembre dernier, à l’heure du souper, Luc raconte avoir reçu, toutes les 15 minutes, un appel provenant supposément d’Amazon. Le message enregistré lui indiquait qu’un colis à son nom était gardé à la douane de Sarnia, en Ontario. L’intervenante exigeait plus de 1000 $ pour qu’il puisse récupérer son bien.

« Pourtant, le numéro de téléphone affiché en était un de ma localité. Seuls les quatre derniers chiffres étaient modifiés lors de chaque appel », raconte ce lecteur qui n’a pas mordu à l’hameçon. Il a dû néanmoins débrancher son téléphone afin d’avoir la paix.

 

Des fraudes qui représentent des milliards de dollars

D’autres que lui n’ont cependant pas été aussi vigilants en 2022. Selon des données préliminaires du Centre antifraude du Canada (CAFC), près de 28 000 personnes ont été victimes de fraude au pays l’an dernier. Ces impostures auraient coûté tout près de 420 millions de dollars (M$). Il s’agit d’un bond de 50 % sur les pertes financières recensées en 2021 (280 M$), soutient l’agence centrale gérée conjointement par la Gendarmerie royale du Canada, le Bureau de la concurrence Canada et la Police provinciale de l’Ontario.

« Et encore, ces montants ne représentent que la pointe de l’iceberg », avertit Jacques Sauvé, consultant en cybersécurité pour la firme Trilogiam. Ces pertes, poursuit-il, reposent essentiellement sur les cas qui sont signalés aux équipes du CAFC. Or, selon cette agence qui recueille de l’information sur la fraude et le vol d’identité depuis une trentaine d’années, le nombre réel de victimes reflète à peine 10 %, voire sans doute 5 % du nombre de fraudes financières qui surviennent au pays chaque année.

« Faites le calcul », renchérit Claudiu Popa, conseiller en sécurité, confidentialité et risques de cyberfraude, à Toronto. « Si ce sont moins de 5 % des cas qui sont rapportés, on peut aisément supposer que les pertes liées aux diverses fraudes survenues au pays en 2022 totalisent plus de 8 milliards de dollars. C’est énorme ! » clame cet expert.

 

Des pertes importantes… avec l’âge

Dans son dernier rapport annuel de 2021, le CAFC estime que les dix fraudes financières les plus populaires du pays (soit investissements, stratagèmes de rencontre, hameçonnage et hameçonnage ciblé, extorsion, marchandises [fausses annonces], fraudes liées à la vente, services, offres d’emplois et enquêtes bancaires) ont coûté en moyenne près de 10 000 $ par victime. Une moyenne qui dépasse largement les 13 000 $ chez les victimes âgées de 40 ans et plus et qui atteint même 16 000 $ chez celles figurant au sein de la tranche des 50 à 59 ans.

Ce sont toutefois les fraudes liées à des stratagèmes d’investissement et d’hameçonnage ciblé qui, elles, coûtent vraiment cher. Les quelque 2700 victimes canadiennes ayant signalé ces deux méfaits en 2021 ont chacune perdu en moyenne un peu plus de 56 000 $, peut-on lire dans le document du CAFC. Les victimes de fausses annonces, de fraudes liées à la vente, à l’obtention de services, de demandes d’emplois et d’enquêtes bancaires frauduleuses ont quant à elles été dépossédées, en moyenne, d’un peu plus de 3800 $ chacune.

 

Plus que des pertes financières…

Pourquoi tant de victimes demeurent-elles discrètes sur la ou les fraudes qui les touchent ? « Au-delà des pertes financières, la fraude entraîne sa part d’effets psychologiques sur les gens qui tombent dans le piège des escrocs », explique Simon Gaudreau, directeur des enquêtes et de la juricomptabilité au cabinet comptable MNP. Déjà que les victimes doivent modifier tous leurs mots de passe, elles doivent aussi revoir l’ensemble de leurs comptes bancaires et de médias sociaux, dit-il. Les victimes doivent rapidement communiquer avec leurs institutions financières afin de tenter de trouver des solutions pour limiter leurs pertes. Ce qui entraîne son lot d’inquiétudes et de stress. « Mais par-dessus tout, ces personnes doivent surmonter un déficit de confiance par rapport à leur propre estime de soi », soutient cet expert-comptable.

De plus, concède-t-il, les personnes ayant été victimes une première fois présentent de forts risques de l’être une fois de plus à l’avenir. « Généralement, leur nom figure sur une liste de gens ayant mordu à un appât. Le genre de liste que se revendent entre eux les fraudeurs de la planète », souligne Simon Gaudreau.

 

Sommes-nous dans le viseur des fraudeurs?

Est-ce que notre courriel figure dans la mire des fraudeurs ? Le conseiller en cybersécurité Claudiu Popa suggère de le vérifier sur le site www.haveibeenpwned.com. Créé il y a 10 ans par l’Australien Troy Hunt, un directeur régional de Microsoft passionné de cybersécurité, ce site web suit les violations de données partout dans le monde. Il recense déjà près de 13 milliards d’occasions lors desquelles des comptes personnels ont été exposés à diverses brèches.

 

Une vigilance mise à l’épreuve

Parce que les technologies n’ont jamais été aussi pratiques pour gérer notre argent, jamais non plus ces technologies n’ont-elles été aussi favorables aux manœuvres des fraudeurs, soutiennent nos experts en cybersécurité joints pour cet article. «Malheureusement pour nous, les escroqueries sont de plus en plus grosses et de plus en plus crédibles », ajoute Jacques Sauvé.

La plupart du temps, soutient-il, les criminels prétendent être quelqu’un d’autre pour voler de l’argent ou des informations personnelles sensibles. Ils peuvent se présenter à titre de fonctionnaires du gouvernement, d’un parent en détresse, d’un employé d’une entreprise bien connue ou d’un expert du soutien technique. Et parce que c’est la victime qui commet les erreurs (mots de passe trop faciles à deviner, clics sur des lien frauduleux…), les institutions financières ne peuvent souvent pas lui venir en aide. La vigilance est donc de mise.

« En fait, la sensibilisation représente notre meilleure arme pour lutter contre les fraudes qui ne vont aller qu’en augmentant », conseille Simon Gaudreau. Les fraudeurs, dit-il, ont toujours eu l’habitude d’utiliser des thèmes notables afin d’interagir avec leurs victimes. « On peut penser à la COVID-19, aux remboursements du gouvernement du Québec et, prochainement, à toutes les tactiques qui, compte tenu du contexte économique plus volatil, promettront de faire rapidement de l’argent », informe Simon Gaudreau.

 

Nouveau terrain de jeu des fraudeurs

Enfin, le Canada est devenu un terrain de jeu de prédilection pour les fraudeurs. Selon le CAFC, le Canada occuperait le deuxième rang après les États-Unis pour le nombre de victimes et les pertes financières. Ce qui n’étonne pas nos experts. Sur la scène internationale, les Canadiens se classent d’ailleurs parmi les plus grands utilisateurs en ce qui concerne le temps passé en ligne. Du coup, ils mettent plus de données personnelles en ligne que jamais auparavant.

À ce propos, les fraudes liées aux stratagèmes de rencontre ont justement connu une hausse exponentielle au pays au cours des trois dernières années. D’après le CAFC, les pertes annuelles rattachées à ce « modus operandi » ont considérablement augmenté depuis 2017, passant de 19 M$ à plus de 50 M$ en 2021. « Ces demandes sous le signe de l’amour sont généralement accompagnées de virement d’argent pour aider la personne à venir au pays ou encore pour venir en aide à un membre de sa famille qui est malade, explique Jacques Sauvé. Évidemment, rien de cela n’est vrai. »