Bicha Ngo, première vice-présidente exécutive aux placements privés à Investissement Québec (Photo: courtoisie)
PROFIL D’INVESTISSEUR. En 1975, l’année de ses 3 ans, Bicha Ngo met les pieds au Québec avec ses parents. Arrivée ici comme réfugiée après avoir tout perdu. «On a recommencé à zéro, dit-elle. Papa a fait son équivalence en médecine et on a redémarré à neuf.»
Pas tout à fait à neuf, en réalité. Parce que si sa famille doit reposer ses bases d’un point de vue professionnel et matériel, elle amène cependant avec elle une culture et un ensemble de valeurs qui auront une influence certaine, et positive, sur Bicha Ngo. «Ma famille est traditionnelle, et mon père, vieux jeu. Il était sévère et il voulait que je sois performante. Il me poussait aussi beaucoup pour que j’étudie en science», raconte-t-elle. Par conséquent, elle étudie au cégep en sciences pures et en sciences de la santé.
Loin de voir cette rigueur familiale d’un mauvais oeil, toutefois, Bicha Ngo raconte en avoir tiré beaucoup de motivation. «Voir mes parents se sacrifier, tout me donner pour que je réussisse, ça m’a encouragé, ça m’a aidé à donner mon maximum et à développer ma discipline.»
Une fois à l’université, toutefois, elle fait un virage à 180 degrés : elle se lance en histoire de l’art. L’aventure ne dure qu’un an.
«Ça m’intéressait, j’avais besoin de faire une coupure, de faire quelque chose de complètement différent, et j’ai adoré ça», se souvient-elle. Cette année-là lui permet de prendre un recul et de réfléchir à son avenir et à ses intérêts. Mais finalement, c’est le côté cartésien qui l’a emporté.
«Je suis « matheuse » et c’est ça qui m’intéressait le plus», dit-elle. Elle entame ainsi son baccalauréat en administration des affaires à HEC Montréal, spécialisation finance, en 1992. C’est là qu’elle découvrira sa voie professionnelle.
Une longue feuille de route
Au cours de sa formation, Bicha Ngo tisse des liens avec Jacques Bourgeois, qui dirigeait le programme de finance au MBA. Il lui suggère de se lancer dans les services de banque d’investissement (investment banking), un domaine qui regroupe les fusions-acquisitions et les émissions sur les marchés publics.
«Il m’a beaucoup guidé et je lui dois tout mon respect, dit-elle. Ç’a été un mentor, en quelque sorte. Après de longues discussions avec lui, j’ai donc choisi ce métier-là, dont j’aimais l’aspect motivant, stimulant et transactionnel.»
Elle décroche son premier poste dans ce domaine en 1997, chez Merrill Lynch, au moment où le secteur de la technologie est en ébullition. La banque s’occupe alors des transactions transfrontalières Canada–États-Unis. Assez rapidement, par contre, la bulle techno éclate, et Bicha Ngo déniche un poste à Marchés mondiaux CIBC.
«Là-bas, j’ai aussi travaillé en fusions-acquisitions et en émissions sur les marchés publics, mais dans tous les secteurs du Québec : le manufacturier, l’aérospatiale, les sciences de la vie, les pâtes et papier», explique-t-elle. Un emploi qui dure jusqu’en 2009. Son dernier mandat avant de se joindre à Investissement Québec, en 2019, est celui de vice-présidente au développement des affaires à Domtar.
«Son marché dans le papier déclinait de 3 % à 4 % par année. On a donc repositionné la société en allant aux États-Unis et en Europe, dans un marché en croissance, pour acquérir des entreprises qui fabriquaient des couches pour personnes âgées. Une super belle aventure.»
Protéger les sièges sociaux
En 2019, Bicha Ngo s’est jointe à Investissement Québec, où elle occupe actuellement le poste de première vice-présidente exécutive aux placements privés. Son rôle consiste à déterminer les secteurs et joueurs clés de l’économie de la province et à les soutenir. Elle s’occupe notamment du capital de risque, des fonds d’investissement, du capital de développement et du secteur des ressources, soit les mines, l’énergie et la foresterie.
Son plus grand défi ? «La protection des sièges sociaux», répond-elle. Actuellement, le capital est facile à obtenir sur les marchés mondiaux. Il est donc parfois difficile pour les acteurs institutionnels québécois de concurrencer les acteurs américains, qui peuvent payer une prime élevée pour acheter les entreprises qu’ils convoitent. «Pour protéger notre Québec inc. et aider à garder nos sièges sociaux, on s’assure donc d’aider les entreprises à faire des acquisitions et à consolider leurs marchés pour les rendre plus fortes, et donc moins vulnérables.»
Soutenir les femmes
Un autre des dossiers qui lui tiennent à coeur est celui de l’accès au capital des femmes entrepreneures. Dans son plan stratégique 2020‑2023, Investissement Québec en a d’ailleurs fait un objectif.
«Nous voulons que la proportion d’entreprises financées directement par Investissement Québec et qui sont dirigées par une femme passe à 15 % en 2022, et à 18 % en 2023», illustre-t-elle. Cette proportion était de 12 % en 2020, alors que pour l’ensemble du Québec, 16 % des PME sont détenues majoritairement par des femmes, selon Statistique Canada.
«On ne suivait pas cet indice-là avant 2020, mais c’était devenu important de se donner une cible, dit Bicha Ngo. En août dernier, on était déjà rendu à 14 %, alors on est en voie d’atteindre nos objectifs.»
Pour soutenir encore davantage l’accès au capital des entrepreneures, Investissement Québec a également lancé Capital Femmes le 1er octobre dernier. Capital Femmes est un ensemble d’indicateurs visant à dresser le portrait de la représentation féminine dans les fonds partenaires d’Investissement Québec. C’est que celui-ci investit dans environ 70 fonds – la somme actuellement investie de la sorte est de 1,7 milliard de dollars –, lesquels investissent à leur tour dans 1700 entreprises.
Les indicateurs, au nombre de trois, sont les suivants : l’inventaire du nombre de femmes associées au sein des équipes de gestion des fonds d’investissement ; le nombre d’entreprises détenues ou dirigées par des femmes dans lesquelles les fonds ont investi, et le niveau de capital investi dans les entreprises par ces mêmes fonds.
«Ces données-là seront donc désormais un critère d’évaluation pour nous, pour choisir nos fonds partenaires, parce que ça nous tient à coeur, dit la vice-présidente. C’est important de stimuler la diversité.»
Encore beaucoup à accomplir
À 49 ans, quand Bicha Ngo passe en revue sa carrière jusqu’à présent, la chose dont elle est la plus fière est d’avoir toujours essayé, sans craindre l’échec. «Quand j’ai choisi les services de banque d’investissement, une amie très proche m’avait dit que je ne survivrais pas à cette industrie-là, que c’était un milieu de requins. Mais j’étais passionnée, et je savais que je pouvais recommencer si je me trompais, alors je me suis lancée.»
Elle confie toutefois qu’elle aurait aimé faire preuve d’un peu plus de fermeté un peu plus tôt, dans sa vie professionnelle. Surtout dans un milieu de travail qui, il y a 30 ans, était complètement masculin.
Se tournant vers l’avenir, elle dit maintenant vouloir prioriser sa mission à Investissement Québec. «Ce qu’on bâtit, c’est quelque chose de formidable», dit-elle.
«Il reste beaucoup à accomplir, alors je reste focalisée sur mon mandat actuel. Je veux mener ma mission à terme.»