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Briser le cercle vicieux de la honte financière

Morningstar|Publié le 16 novembre 2022

Briser le cercle vicieux de la honte financière

(Photo: 123RF)

La relation entre la honte et l’évitement n’est pas nouvelle. Mais vous serez peut-être surpris de voir comment cela impacte vos finances.

Un article publié en 2021 dans le Journal of Organisational Behaviour and Human Decision Processes décrit comment la honte financière peut conduire les gens à ignorer des informations financières importantes et à créer un cercle vicieux qui accroît leurs difficultés dans ce domaine.

Les données de six études ont donné les preuves de cette boucle de rétroaction dans des schémas sectionnels, expérimentaux et longitudinaux. Elles ont aussi montré que l’effet de la honte sur le comportement était différent de celui de la culpabilité. À la différence de la honte, la culpabilité ne semble pas favoriser un comportement d’évitement financier.

Les psychologues montrent depuis quelque temps que la honte peut accroître les comportements d’évitement. Toutefois, il n’y a eu qu’une poignée d’études qui ont examiné si ce schéma se vérifie dans le secteur spécifique des finances personnelles et, si c’est le cas, comment cela se répercute sur les résultats financiers.

L’équipe de recherche chargée de cette question voulait savoir si la honte dont s’accompagnent les difficultés financières déclencherait une boucle de rétroaction négative en activant des comportements d’évitement financier. Voici ce que l’équipe a découvert.

 

Qu’est-ce que c’est qu’une spirale de honte financière?

Une spirale de honte financière est un cercle vicieux entre un sentiment de honte et des difficultés financières, alimenté lui-même en partie par les comportements d’évitement causés par la honte.

Si ce cercle est vicieux, c’est parce que dans une situation où vos ressources sont déjà limitées, ignorer des informations pertinentes peut faire empirer les choses, par exemple si vous manquez des paiements, des frais, des pénalités ou des intérêts cumulés.

Lorsque la dette s’accumule, l’inaction est coûteuse. Ces coûts sont multipliés par l’évitement financier que provoque la honte financière, et cela accroît les difficultés financières, ce qui intensifie la honte, et ainsi de suite à l’infini.

Les spirales de honte financière peuvent devenir des pièges de pauvreté qui garderont les gens dans l’ornière pendant des années, et éroderont leur bien-être et leur santé. Puisque n’importe qui peut se retrouver coincé dans une spirale de honte, il faut savoir à quoi être attentif et comment briser le cercle une fois qu’il a commencé.

 

La honte financière, ça ressemble à quoi?

Il est vrai que dans certains cas, ignorer ses finances a des avantages. Les plans d’épargne et d’investissement, une fois mis en place, continuent par bonheur sur leur lancée sans qu’on s’en mêle trop.

En revanche, les dépenses et les emprunts doivent être surveillés et examinés assez fréquemment pour s’assurer qu’ils ne deviennent pas une menace pour les objectifs à long terme des intéressés. Pour ce qui nous concerne ici, nous pouvons interpréter «l’évitement financier» comme un moyen d’éviter ou de repousser des réalités et des tâches financières difficiles.

Il y a quelques années, j’ai offert mes conseils à une propriétaire de petite entreprise qui devait se résoudre à déclarer faillite. L’air terrifié, elle a murmuré : «Mon nom sera dans le journal. Tout le monde va savoir». La honte qu’elle a éprouvée et le jugement qu’elle anticipait de la part de sa communauté l’avaient empêchée d’agir pour améliorer sa situation.   

Il lui fallait un allègement de sa dette, mais elle pensait que cela se solderait par un rejet, alors elle faisait traîner les choses. Elle n’est pas la seule. De nombreuses études ont révélé que la stigmatisation de la faillite dissuadait les gens de déposer le bilan même si c’était dans leur intérêt financier.  

L’évitement financier peut prendre de nombreuses formes, par exemple :

–      Ignorer le courrier, traditionnel et électronique

–      Ne pas répondre au téléphone

–      Repousser indéfiniment les tâches financières

–      Ne pas vérifier son solde

–      Cacher la vérité à sa famille et ses amis, en qui l’on a par ailleurs la plus entière confiance.

La honte financière ne se limite pas à ceux qui sont menacés d’insolvabilité. Certaines personnes vont minimiser ou justifier leurs pertes pour éviter d’être prises pour des imbéciles (par eux-mêmes ou par autrui), ce qui les empêchera de tirer de ces pertes les enseignements souhaitables.

D’autres personnes feront des dépenses excessives et saboteront leurs objectifs d’épargne en évitant de dire à leurs amis qu’un repas au restaurant, un voyage ou une activité n’est pas dans leurs moyens. L’évitement fait baisser la souffrance psychologique à court terme, mais puisqu’il ne fait rien pour résoudre les problèmes sous-jacents, ces derniers empirent.

 

En quoi la culpabilité est différente

La culpabilité est très différente de la honte du point de vue psychologique, et elle incite à deux types de comportements différents. La culpabilité se concentre sur les aspects négatifs d’un comportement donné, alors que la honte juge la personne responsable d’une certaine ligne de conduite. En d’autres termes, alors que la culpabilité fait dire : «J’ai fait une mauvaise chose», la honte fait dire : «Je suis une mauvaise personne». La honte favorise des comportements de retrait comme l’évitement, et la culpabilité incite à des comportements proactifs, comme les excuses et les réparations.

 

Comment briser le cercle vicieux?

La bonne nouvelle, c’est qu’il semble y avoir une méthode pour briser la boucle, ce qui donne de l’espoir à ceux qui sont en danger d’être aspirés dans un piège de pauvreté. Qui plus est, c’est une astuce psychologique, donc elle est gratuite et tout le monde peut y avoir recours.

Compte tenu de la nature sociale de la honte financière, l’équipe de recherche (que nous avons mentionnée au début de cet article) a émis l’hypothèse qu’un exercice intellectuel rappelant aux gens certains aspects positifs de leur personnalité puisse affaiblir ou juguler le sentiment de honte, et réduire ainsi la motivation d’une attitude de retrait. Des travaux antérieurs dans ce domaine ont révélé qu’«… affirmer des aspects appréciés de sa propre personnalité réduit un traitement psychologique défensif et des comportements autoprotecteurs, mais contre-productifs… cette affirmation permet aux individus de faire face à des informations menaçantes de façon constructive plutôt que de leur faire gaspiller leur énergie à des stratégies d’évitement, de suppression et de rationalisation.»

L’idée qui domine ici, c’est que puisque la honte met l’accent sur les aspects négatifs de sa propre personnalité, ce qui incite au retrait, un rappel de ses qualités positives peut rendre la piqûre moins douloureuse, et permettre à l’individu concerné de demeurer sur la brèche et de faire face aux réalités et tâches difficiles qui l’attendent.

Les chercheurs ont pris 748 personnes au hasard et les ont réparties dans trois groupes :

–      Dans le premier groupe (valeurs), les participants devaient classer 11 valeurs par ordre d’importance et expliciter la valeur qui importait le plus pour eux.

–      Dans le deuxième groupe (gentillesse), ils devaient évoquer et décrire certains moments où ils ont fait preuve de gentillesse pour autrui.

–      Dans le troisième groupe (contrôle), ils devaient classer par ordre de préférence les saveurs d’un assortiment de bonbons et décrire celle qu’ils préféraient entre toutes.  

Après cela, tout le monde a dû répondre à quatre questions pour mesurer la honte financière, et à quatre questions sur le retrait.

Les résultats n’ont montré que l’exercice sur les valeurs n’a eu aucun effet sur la honte financière ou le retrait. Toutefois, l’exercice sur la gentillesse a eu bel et bien un effet tampon important sur le retrait financier, et ceux qui ont fait état de la plus grande honte financière en ont tiré le plus grand avantage.

Cette expérience a démontré l’effet tampon potentiel d’un exercice intellectuel sur le bien-être financier et le comportement. Il peut paraître étrange d’appliquer à ses finances une théorisation psychologique et des exercices intellectuels d’autoaffirmation, mais lorsqu’il est évident qu’un comportement est dicté par l’affectivité, une intervention d’ordre affectif s’impose.

Il devrait tomber sous le sens que lorsque vous-même ou quelqu’un que vous connaissez est confronté à des difficultés financières, éprouve un sentiment de honte financière ou affiche des comportements d’évitement financier, il est probablement préférable d’éviter de porter un jugement sur la personne, de la ridiculiser ou d’insister sur ses erreurs, sous peine de mettre de l’huile sur le feu et aggraver sa honte.

Peut-être convient-il plutôt de passer quelques minutes à réorienter le débat autour d’un ou deux actes de gentillesse auxquels vous-même ou la personne concernée vous êtes livrés dans le passé. Une réflexion sur les aspects positifs de votre personnalité est généralement une bonne chose pour la santé mentale et le bien-être psychologique, et cela peut aussi vous aider à maintenir une bonne santé financière en donnant aux gens les moyens de faire face à des réalités et des tâches difficiles dont il faut s’occuper.

 

En résumé

La honte est un résultat bien connu des difficultés financières. La honte financière incite davantage les gens à occulter les informations, ce qui conduit à l’inaction et à des actions contre-productives, puis à accroître les difficultés financières et faire augmenter la honte. Il en résulte donc une boucle de rétroaction négative qui peut conduire à la pauvreté, à la dépression, et même au suicide.

Nous pouvons briser la spirale de la honte financière en nous concentrant sur les aspects positifs de notre personnalité — en mettant notamment l’accent sur un acte de gentillesse ou deux — pour entretenir une vision plus solide et plus positive de nous-mêmes et réduire les comportements d’évitement, afin que nous puissions nous employer à réparer les dégâts et à nous recentrer comme il se doit sur nos objectifs.