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Chipotle et Target, deux surprises de 2019

Stéphane Rolland|Édition de Décembre 2019

ANALYSE. Après avoir frôlé le marché baissier en décembre, qui aurait cru que le S&P 500 aurait affiché une si belle tenue dans les onze premiers mois de l’année ? Il est toujours intéressant de regarder dans le rétroviseur pour voir les événements qui nous ont surpris en Bourse.

Parmi les entreprises du Québec inc., notre plus grande surprise reste l’impressionnant retour en force de Cogeco Communications (CCA, 114,55 $), qui monte de 72 % depuis le début de l’année. La vente de la division de centres de données Peer 1 à un prix meilleur qu’espéré a entraîné un revirement d’humeur pour le câblodistributeur montréalais.

Nous vous en avions déjà parlé à cette tribune le 21 septembre dernier, alors il est encore un peu trop tôt pour revisiter le profil de l’entreprise ici. En faisant le tour des meilleures performances à la Bourse, nous avons été surpris par l’ampleur de la flambée du titre de deux sociétés dans le secteur de la consommation discrétionnaire aux États-Unis : Chipotle et Target. Voici ce qui s’est passé.

Chipotle : les investisseurs retrouvent l’appétit

Vous rappelez-vous la dernière fois que vous avez lu une nouvelle sur Chipotle Mexican Grill (CMG, 815,84 $ US)? Cela remonte probablement à l’éclosion de cas d’infections à l’E. coli dans plusieurs restaurants de la chaîne américaine.

En 2015 et 2016, au moins 55 personnes ont été infectées après avoir mangé dans un de leurs restaurants. Encore l’an dernier, les contrecoups du scandale avaient leurs échos dans la presse financière américaine. En mai 2018, un rapport d’UBS montrait que les consommateurs avaient toujours le triste épisode en mémoire, ce qui sapait leur appétit pour les burritos et tacos à son menu. Près de 26 % des 1 500 personnes interrogées avaient dit qu’elles s’y rendaient moins souvent ou pas du tout en raison de leurs inquiétudes sur la qualité des aliments qui y sont servis.

Dans ce contexte, le nom de Chipotle ne vous serait probablement pas venu comme un pari boursier à faire en 2019. Eh bien, son action a progressé de près de 80 % dans les onze premiers mois de l’année! Sous la gouverne du nouveau PDG, Brian Niccol, nommé en mars 2018, la société a réussi à réinstaurer la confiance des consommateurs et des investisseurs.

La société a révisé sa stratégie marketing en misant sur la vente en ligne et la livraison. Son programme de fidélisation lui permet aussi de mieux connaître les goûts de ses clients et d’adapter ses promotions en conséquence. Au troisième trimestre, les ventes en ligne ont progressé de 88 %, pour représenter 18 % des activités. Le bénéfice par action, pour sa part, a bondi de 77 % pour s’établir à 3,82 $ US.

C’est ce qui fait dire à Andrew Charles, de Cowen, que Chipotle est l’une des «meilleures idées d’investissement» pour 2020. Il a bonifié sa recommandation de «performance de marché» à «surperformance» et sa cible de 800 $ US à 970 $ US. Il croit que les ventes, les ventes comparables et le bénéfice par action vont augmenter sous l’impulsion de l’offre en ligne, de l’augmentation du budget publicitaire et du programme de fidélisation. M. Charles anticipe que les ventes en ligne représenteront 34 % des ventes d’ici cinq ans, plutôt que les 18 % actuellement.

Tous ne sont pas prêts à joindre le camp des optimistes, comme l’a fait l’analyste de Cowen. Parmi ses confrères qui suivent le titre, 15 émettent une recommandation d’achat, contre 16 qui suggèrent de conserver le titre et 3 qui recommandent la vente, selon une recension de Reuters.

Même si l’entreprise réussit à se tenir loin d’un autre scandale sanitaire, elle n’est pas à l’abri de tous les risques. La concurrence demeure forte dans l’industrie de la restauration. Toujours au troisième trimestre, McDonald’s (MCD, 194,01 $ US), par exemple, a affiché un déclin de l’achalandage dans ses restaurants aux États-Unis en raison de la forte concurrence. En 2020, Chipotle souffrira aussi d’une comparaison difficile avec 2019, où la société a lancé une agressive campagne promotionnelle de livraison avec son partenaire DoorDash.

C’est sans compter que le titre s’échange à une évaluation très élevée de 46,22 fois les bénéfices des 12 prochains mois. Dans le camp optimiste, Peter Saleh, de BTIG, n’est pas repoussé par le multiple. Il défend le fait que la société est toujours à mi-chemin d’un redressement. Il souligne que les marges s’améliorent, mais qu’elles sont toujours sous leur sommet historique, ce qui laisse de la place à l’amélioration.

Target : survivre à Amazon est payant

Wall Street aime les histoires. Une histoire dont on parle de plus en plus est que, dans le commerce de détail, la concurrence d’Amazon ne fera pas de quartier et que la distinction sera claire entre les gagnants et les perdants.

Même si elle est plus connue du consommateur québécois pour son incursion ratée au Canada, Target est sans surprise dans le camp de la résistance puisque son offre résonne bien auprès des consommateurs américains. L’entreprise affiche une belle performance tant dans ses activités en magasin physiques qu’en ligne.

Ce qui est surprenant, c’est l’ampleur de la récompense du marché pour se trouver dans le camp des victorieux. Le titre est en hausse de 91 % cette année. Malgré cette flambée, il demeure moins cher que ses comparables. Il s’échange à 18,35 fois les bénéfices des 12 prochains mois, selon Reuters. Cela se compare à 22,86 fois pour Walmart (WMT, 119,19 $ US). Les analystes demeurent également plus nombreux à recommander le titre. Ils sont 18 à le faire contre 10 qui restent sur les lignes de côté, toujours selon Reuters.

Dans le camp des optimistes, Paul Trusell, de la Deutsche Bank, dit demeurer optimiste. Dans une entrevue récente à la chaîne spécialisée CNBC, il a dit aimer que la société trouve des manières de réduire ses coûts. Il mentionne également le nouveau programme de fidélisation Target Circle, qui suscite son enthousiasme. Il considère que la société a un bon profil de flux de trésorerie, ce qui lui permet d’investir dans la rénovation de ses magasins tout en rachetant des actions.

Zain Akbari, de Morningstar, est plus prudent. L’analyste reconnaît que la direction du détaillant exécute bien son plan d’affaires et que les initiatives prises rencontrent un certain succès. Par contre, il demeure sceptique quant aux perspectives à long terme de l’entreprise tandis qu’il n’y a aucune barrière qui empêche les consommateurs d’aller voir ailleurs si les offres sont plus attrayantes.

Target demeure plus petite que ses rivales Amazon et Walmart, ce qui lui donne moins de leviers pour négocier ses prix avec les fournisseurs à un moment où la plupart des clients vont faire une recherche sur le site du concurrent. «Nous pensons que Target demeure vulnérable au contexte concurrentiel», commente l’analyste de Morningstar.