Cinq signes avant-coureurs de la catastrophe. (Photo: 123RF)
Un lecteur m’a récemment fait suivre un article au titre pour le moins cavalier : «Les mensonges qu’on nous raconte dans les placements».
Son auteur était Benn Eifert, directeur associé d’un fonds spéculatif de San Francisco. Je ne suis que rarement d’accord avec les dirigeants de fonds spéculatifs, notamment ceux qui appliquent des stratégies de rendement total, que j’ai appelées «une aspiration, et pas un objectif de placement réaliste». Toutefois, ce titre paraissait prometteur.
Par bonheur, il a tenu ses promesses. Cet article était plein de bon sens. Parmi les cibles que Benn Eifert et moi-même avons tous deux identifiées, il y a les sociétés d’acquisition à vocation spécifique (SPAC), le FNB Ark Acquisition, le fonds Allianz Structured Alpha et le fonds Infinity Q Diversified Alpha, ces deux derniers étant sans doute, comme je me plais à le penser, les pires fonds publics de tous. (Bernie Madoff, bien sûr, décroche le pompon pour les fonds privés.)
Benn Eifert propose cinq signes avant-coureurs de la catastrophe, et j’y souscris entièrement. Toutefois, des discussions supplémentaires sont toujours possibles. Dans le même esprit, voici mes cinq signes à moi, qui me disent quand un investissement est en réalité quelque chose d’autre: de la spéculation cachée.
Premier signe: pas d’historique
Les nouveaux placements jouissent d’attentes élevées. Après tout, ils n’ont pas encore échoué. Si la performance initiale d’un nouveau titre est forte, les investisseurs commencent vite à croire qu’enfin on a inventé un meilleur moyen d’attraper la bête. C’est rarement le cas. En réalité, le placement n’a pas encore été confronté à un environnement qui mette en lumière ses insuffisances. Quand cela se produit, ses détenteurs déçus ont souvent tôt fait de vendre. Beaucoup d’entre eux achètent un autre titre qui n’a pas été mis à l’épreuve, ce qui fait que le cycle se répète.
Heureusement, les investisseurs ont dans une certaine mesure tiré des leçons de leurs erreurs. Quand j’ai commencé à Morningstar, à la fin des années 80, les plus gros fonds communs étaient tout neufs: des fonds d’obligations gouvernementales qui gonflaient leur «revenu» (en réalité, ces distributions étaient des gains en capital à court terme) en vendant des options. Une fois que les porteurs de parts réalisaient ce qu’ils avaient, ils décampaient, et ces fonds ont rapidement disparu. Les investisseurs d’aujourd’hui sont plus difficiles à duper. Oh, ils peuvent certainement être tentés, comme avec les SPAC, ils sont souvent plus patients que leurs prédécesseurs.
Deuxième signe: pas de liquide
L’espoir est un leurre puissant. Ça n’a peut-être l’air de rien aujourd’hui, mais pensez au potentiel! Soit l’on s’attend à des profits futurs de l’entreprise pour des sociétés émergentes qui ne manquent pas de vision, mais sont à court de revenus, soit on croit que l’investisseur va finir par vendre le titre à un prix plus élevé même s’il ne peut jamais distribuer d’argent liquide. (L’exemple évident est la cryptomonnaie.)
Les actifs non liquides peuvent parfois s’épanouir en placements fantastiques. Nous avons tous entendu des histoires de personnes qui se sont prodigieusement enrichies en détenant des actions de sociétés sans profits avant que ces entreprises ne deviennent des noms connus de tous. (D’habitude, il s’agit des employés initiaux, mais cela peut aussi arriver à des porteurs de parts externes.) Cela dit, pour chaque gagnant acclamé, il y a des dizaines (voire des centaines) de perdants oubliés. Acheter des billets est une façon difficile de gagner sa vie, même avec les actions, qui ont des rendements attendus élevés sur le long terme. C’est encore plus difficile quand on tente de le faire avec des titres qui ne peuvent jamais accumuler des profits, comme les objets de collection.
Troisième signe: une potion magique
Cet élément, je le confesse, fait écho à un des bémols de Benn Eifert, qui ne recommandait pas «des placements par trop complexes dont les sources de rendement manquent de transparence». Alors, attention aux investissements provenant de personnes qui essaient de vous faire croire que leur stratégie est trop difficile pour être comprise par le commun des mortels. Soit ce sont des hypocrites, soit leur stratégie est vraiment indéchiffrable, pour eux-mêmes aussi bien que pour des personnes extérieures. Lorsque s’abat la catastrophe, ils seront tout aussi choqués que leurs porteurs de parts.
Là où ça s’est produit de la façon la plus (malheureusement) notoire, c’est en 1998, avec Long-Term Capital Management. Après qu’un trésorier de l’état avait décidé de ne pas donner d’argent à l’organisation, les dirigeants de Capital Management ont suggéré qu’il était sage d’avoir refuser, puisqu’il n’avait pas l’air suffisamment intelligent pour comprendre leur processus de placement. Il s’est avéré qu’ils ne l’étaient pas non plus. Peu de temps après, le fonds a fait faillite et a été incapable de faire le service de la dette qu’il avait contractée.
Quatrième signe: ignorer l’histoire
Les historiens du marché n’ont pas le monopole de la connaissance. Bien que les événements précédents offrent un guide utile de ce qui peut se produire, ils ne conditionnent absolument pas l’avenir.
Regardons par exemple l’inflation. Pendant 40 ans, les obligations à long terme ont rejeté l’enseignement apparent des années 70, en étant florissants. Mais cette année, ces titres en ont vu de toutes les couleurs, déconcertant ceux qui, influencés par l’histoire récente, avaient décidé que l’expérience des années 1970 avait perdu sa validité.
Toutefois, comme pour les billets de loterie, miser contre le passé défie les probabilités. D’habitude, la «nouvelle normalité» finit par beaucoup ressembler à l’ancienne. Par exemple, lorsque Bill Gross a utilisé ce terme pour affirmer que les années 2010 seraient une décennie d’investissements perdus avec «des rendements totaux inexplicablement faibles» pour les actions et les obligations, c’est le contraire qui s’est produit. Ce fur un âge d’or pour les investissements, comme l’avaient été les années 1990.
Évitez les gestionnaires de portefeuilles qui se disent savoir que «cette fois, ce sera différent». Ce ne le sera probablement pas. Et même si ça le sera, ce ne sera probablement pas à la hauteur de leurs attentes.
Cinquième signe: un «club sélect»
Mon cinquième et dernier avertissement porte sur l’exclusivité proclamée des placements. Quand des gestionnaires de portefeuilles offrent à des porteurs de parts normaux l’occasion d’investir avec l’élite plutôt qu’avec les masses agglutinées habituelles, la meilleure réponse est de se cramponner à son porte-monnaie. Recevoir un traitement spécial est très agréable, mais malheureusement, les investisseurs particuliers ne sont pas spéciaux; ils n’apportent pas suffisamment d’argent pour mériter une attention particulière. La seule raison de leur faire cette offre, par conséquent, est de les arnaquer.
Ensuite arrivent les fonds alternatifs liquides, qui font payer 2% par an, mais n’affichent pas les gains des meilleurs fonds spéculatifs. Ou les SPAC, qui sont censés offrir aux particuliers l’occasion d’acheter des PAPES (IPO) à la base, mais qui concluent des accords différents et meilleurs avec leurs porteurs de parts plus importants. Ou les comptes séparément gérés, qui pendant des années (bien qu’heureusement cette lacune soit en train de se combler) ont vendu la promesse de portefeuilles sur mesure sans en fournir les avantages.
Pour conclure
La spéculation peut être lucrative. Les titres qui violent mes préceptes, ou ceux de Benn Eifert peuvent avoir un succès énorme, surtout en période d’argent facile comme les années qui viennent de s’écouler, avant que la Réserve fédérale n’ait augmenté ses taux d’intérêt. De plus, les gens ont parfois du plaisir à jouer avec l’argent des commissions de leur portefeuille, et il n’y a rien de mal à cela. C’est pourquoi je ne suis pas totalement contre l’achat d’actifs qui portent ces signes alarmants. Toutefois, on devrait le faire avec l’esprit clair. Ces transactions sont des paris, pas des investissements.
John Rekenthaler est vice-président de la recherche à Morningstar. Bien que Morningstar soit d’accord avec ses vues, ce sont les siennes propres.