ANALYSE. Comment la même entreprise peut-elle valoir presque 50 % de plus du jour au lendemain si la Bourse est aussi...
ANALYSE. Comment la même entreprise peut-elle valoir presque 50 % de plus du jour au lendemain si la Bourse est aussi efficace qu’on le dit ?
C’est la question qui surgit lorsqu’on voit le titre de Transat A. T. (TRZ.A, 8,27 $) décoller de 46 % sur la possibilité d’une acquisition. La question est d’autant plus pertinente que l’action se négociait encore la semaine dernière sensiblement au même cours qu’en 1996. Par ailleurs, le titre a connu de bons jours, comme en 2007, quand il s’est brièvement élevé au-dessus des 40 $.
Pourtant, tous ont la même information. Le voyagiste peine à rentabiliser ses activités malgré des revenus de 3 milliards de dollars, en raison de la concurrence accrue que lui livrent SunWing, Air Canada Rouge et WestJet.
Son bénéfice d’exploitation est passé de 99 millions de dollars en 2015 à 16,8 M$ en 2018. Transat est même déficitaire pendant l’hiver alors que tant de Canadiens cherchent le soleil dans le sud.
Transat dispose aussi d’un surplus d’encaisse de 335 M$, ou de 185 M$ si l’on soustrait du total le coussin financier que le transporteur aérien veut garder pour parer aux imprévus.
Pourquoi faut-il parfois une offre d’acquisition pour mettre au jour la valeur des entreprises à capital ouvert ?
Mona Nazir, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, accorde en effet une valeur fondamentale de 7,50 $ à Transat, mais l’analyste estime qu’un prétendant pourrait offrir de 8 $ à 12 $ si elle se fie aux transactions précédentes dans l’industrie.
Plus enthousiaste, Benoit Poirier, de Desjardins Valeurs mobilières, croit que Transat pourrait attirer une offre de 16 $ si un acquéreur stratégique pouvait se passer du coussin de 150 M$ pour exploiter Transat et l’ajouter à son bilan.
Ces scénarios reposent sur des prix nettement supérieurs au cours du titre de 5,67 $ affiché la veille du dévoilement qu’un comité indépendant du conseil tiendra des discussions préliminaires avec plus d’un prétendant.
La prime de contrôle
Une offre contient habituellement une «prime de contrôle» alors que les petits investisseurs ne détiennent qu’une part minime de la société dont ils ne peuvent influencer la stratégie, rappelle Jeff Mo, gestionnaire chez Mawer Investment Management.
Un acquéreur perçoit aussi des synergies ou des économies d’échelle. C’est pourquoi il offre une plus-value aux actionnaires actuels pour qu’ils récoltent à l’avance le fruit de ce potentiel et acceptent ainsi de laisser aller leurs actions, explique M. Mo.
Kevin Chiang, de Marchés mondiaux CIBC, attribue l’écart entre le cours de Transat et ce qu’un acquéreur peut offrir à la valeur accordée à l’encaisse figurant au bilan du voyagiste.
«Transat réserve ses liquidités à son expansion dans le domaine de l’hôtellerie, qui prendra sept ans. Si elle partageait son surplus de capital avec ses actionnaires, son cours refléterait mieux la force de son bilan», dit-il.
Stephen Takacsy, de Gestion d’actifs Lester, qui a vu quarante de ses placements s’envoler dans des offres depuis 2006, croit que le cours reflète tout simplement le fait que les ambitions de Transat dans l’hôtellerie sont risquées et que leur rendement est lointain et incertain.
Transat veut construire ou acquérir un total de 5 000 chambres d’hôtel dans les Caraïbes d’ici 2024 dans l’espoir d’en tirer un bénéfice d’exploitation de 100 M$ US en 2025. La construction d’un premier hôtel débutera en juin.
«En Bourse, les investisseurs sont impatients. Un acquéreur stratégique ou financier voit la situation sous un tout autre angle puisqu’il peut changer la stratégie», ajoute-t-il.
Tant qu’une autre répartition de capital ne peut être imaginée, le titre d’une société en Bourse n’a aucune raison d’être évalué autrement, même s’il se négocie au rabais par rapport à la valeur de toutes ses composantes.
Mme Nazir établit la valeur d’actif net de Transat à 7,50 $ l’action. «Toutes les sociétés qui ne fournissent pas de croissance de bénéfices à long terme sont susceptibles d’être achetées», soutient Philippe Le Blanc, chef des investissements chez Cote 100.
Le Québec compte plusieurs entreprises oubliées, orphelines ou tout simplement sous-évaluées.
Est-ce à dire qu’elles seront aussi condamnées à se laisser acheter pour se mettre en valeur ?
«C’est une des responsabilités du conseil d’administration de s’assurer que le marché reconnaît la valeur juste d’une entreprise. Si ce n’est pas fait, le risque d’une offre croît même pour les entreprises à contrôle familial», indique M. Takacsy.
Le gestionnaire fait allusion à des sociétés telles que Velan (VLN, 9,10 $) ou Industries Dorel (DII.A 13,05 $), dont le cours ne reflète pas la valeur de remplacement des actifs.
Aucune entreprise n’est à l’abri d’une offre, même celles qui s’échangent à fort prix, car un acquéreur stratégique peut presque toujours extraire des synergies, reconnaît M. Mo.
«Néanmoins, une entreprise bien gérée qui dégage déjà de bons rendements financiers peut faire hésiter un acquéreur, car il devient alors plus difficile pour un prétendant d’imaginer comment en tirer plus d’efficacité ou d’économies», conclut-il.