Comment Apple peut encore enrichir ses actionnaires
Pierre-Olivier Langevin|Édition de Décembre 2019EXPERT INVITÉ. En investissement, une théorie très tenace parmi les universitaires stipule que les ...
EXPERT INVITÉ. En investissement, une théorie très tenace parmi les universitaires stipule que les marchés boursiers sont efficients. Cela revient à dire qu’il est impossible de réaliser des rendements supérieurs au marché de façon durable parce que les actions se négocient à un niveau qui reflète déjà bien la réalité économique des entreprises. Si on se fie à cette théorie, la seule façon de battre le marché consiste donc à prendre plus de risques que la Bourse dans son ensemble.
Pour une firme d’investissement privilégiant une démarche fondamentale comme Medici, il est difficile d’adhérer à une telle logique. L’exemple le plus éloquent pour démontrer le contraire est la performance de la plus grande capitalisation boursière du monde, Apple, au cours des sept dernières années.
Quand les pépins créent des occasions
En 2012-2013, le titre d’Apple passe d’un sommet de 100 $ US à un plancher de 57 $ US en quelques mois, soit une chute de 43 %. La raison ? Les investisseurs craignent que la multiplication de modèles de téléphones intelligents plus abordables chez les concurrents n’entraîne un effritement permanent de ses marges bénéficiaires. Un an plus tard, les investisseurs se ravisent. Le scénario redouté ne s’est pas concrétisé. Armée de son écosystème d’appareils, d’applications et de l’aura incontestable de sa marque, Apple prouve alors que sa capacité à imposer ses prix demeure intacte.
En 2015-2016, nouvelle crainte, nouveau plongeon de 30 % du titre. Les investisseurs appréhendent à ce moment le début d’un déclin structurel des ventes d’iPhone parce que les utilisateurs gardent leur appareil plus longtemps qu’avant et que les fournisseurs de services de téléphonie réduisent la subvention accordée à l’achat d’un nouvel appareil. Une fois de plus, l’histoire évolue différemment de celle redoutée par tant d’investisseurs : Apple réussit à maintenir ses ventes d’iPhone au cours des années suivantes. Plus récemment, au début de 2019, le PDG d’Apple, Tim Cook, avertit les investisseurs que les ventes reculeront en raison du ralentissement économique en Chine et de l’intérêt plus faible suscité par les nouveaux téléphones de la société. Sur fond de marché baissier, le titre passe alors de 227 $ US à 148 $ US, soit une perte de 35 %. Moins d’un an plus tard, Apple annonce la mise en marché de nouveaux iPhone et les dirigeants disent maintenant s’attendre à renouer avec la croissance dès le prochain trimestre.
Les investisseurs ont eu pour chacune de ces périodes des raisons légitimes de croire que la situation à court terme serait plus difficile pour Apple. Après tout, elle est la société la plus suivie du monde, les médias épiant tous ses faits et gestes et rapportant la moindre rumeur la concernant. Malgré les pépins rencontrés ces dernières années et l’opinion alarmiste d’innombrables experts, le titre d’Apple a grimpé de 350 % depuis le début de 2012, exclusion faite des dividendes. Cette performance a nettement surpassé le marché. L’indice S&P 500 représentant la Bourse américaine a progressé de seulement 120 % au cours de la même période.
S’il y a un point commun entre ces épisodes baissiers du titre d’Apple, c’est la myopie dont ont fait preuve les investisseurs. L’effritement potentiel des marges bénéficiaires tirées de l’iPhone ou le recul des ventes d’appareils représentent des sources d’inquiétude légitimes. Un investisseur avisé doit toutefois garder en tête qu’Apple lance de nouveaux modèles d’iPhone fréquemment. Tous les ans, les dirigeants ont l’occasion d’ajuster les prix de vente ou les coûts en fonction des préférences des consommateurs. Par exemple, les prix de la mémoire vive augmentent, Apple aura tout le loisir de s’ajuster lors du lancement des prochains appareils grâce à son fort pouvoir de négociation.
Le fait que la performance du iPhone plaise moins au marché une année donnée ne devrait pas avoir une influence disproportionnée sur le prix de l’action comme ce fut le cas en 2012, 2015 et au tournant de l’année 2019. Les investisseurs ont tendance à extrapoler à l’infini l’adversité ponctuelle que subit l’entreprise.
Les analystes ont longtemps rivé leur attention presque uniquement sur l’iPhone. Il est cependant crucial de prendre en considération la grande révolution que Tim Cook est en train de mener chez Apple. Pour la première fois depuis au moins une décennie, l’entreprise ne gravite plus strictement autour du sacro-saint téléphone : elle devient une véritable machine à revenus récurrents grâce à la multiplication des services par abonnement.
Encore récemment, nombreux sont les investisseurs qui reprochaient à Apple d’être condamnée à constamment se réinventer pour s’assurer de vendre ses appareils année après année. Selon les critiques, les ventes réellement récurrentes demeuraient faibles en dépit de la domination du iPhone. Ces arguments sont de moins en moins valables. Au cours des dernières années, la société à la pomme croquée a su inonder le marché avec une panoplie de services : paiements sans contact avec ApplePay, écoute de la musique en continu avec AppleMusic, consultation de magazines avec AppleNews, hébergement de données avec iCloud, etc. Apple offre même AppleCard, une carte de crédit en partenariat avec Goldman Sachs, laquelle pave la voie à l’ajout de services financiers. Tout cela, sans compter les nombreux services qui pourront être créés à partir d’AppleWatch. L’entrée en scène d’Apple TV+ aidera aussi à propulser les ventes récurrentes de l’entreprise.
Si les investisseurs se souviennent de Steve Jobs comme l’inventeur du téléphone intelligent, il faudra se souvenir de Tim Cook comme celui ayant placé la vente de services récurrents à une énorme base de fidèles utilisateurs au coeur du modèle d’affaires d’Apple.
Divulgation : Les clients, les employés et les associés de Gestion de portefeuille stratégique Medici détiennent des actions d’Apple.
EXPERT INVITÉ
Pierre-Olivier Langevin est CFA, gestionnaire de portefeuille et associé chez Medici.