Dominique (pseudonyme) a hérité d'une génétique qui lui fait espérer une longue vie. Sa mère, décédée à ...
Dominique (pseudonyme) a hérité d’une génétique qui lui fait espérer une longue vie. Sa mère, décédée à l’âge de 94 ans, a été précédée de peu par son conjoint sur le chemin du trépas. Le père de Dominique se dirigeait en effet vers son 93e anniversaire lorsqu’il a rendu l’âme.
«Du côté de ma mère, surtout, les membres de la famille vivent très vieux», précise la femme en parlant de ses oncles et de ses tantes.
Elle peut s’estimer heureuse d’avoir un tel potentiel de longévité, plus encore d’en avoir conscience, comme ça, elle peut s’y préparer. À 61 ans, cette retraitée du secteur du commerce de détail veut ménager son pécule pour qu’il lui dure jusqu’à l’âge de 100 ans ! Sa plus grande crainte est d’arriver au bout de ses ressources dans sa dernière décennie de vie. «Selon mes calculs, c’est très juste», constate-t-elle.
Pour se prémunir contre ce risque, Dominique a déjà décidé de retarder le moment où elle touchera les prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) auxquelles elle a droit depuis un an. Elle se demande quel serait l’âge idéal pour commencer à encaisser cette rente. Son questionnement vaut aussi pour la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV), qu’elle pourra encaisser à partir de 65 ans, mais dont elle peut repousser les premiers versements jusqu’à 70 ans. Elle envisage même d’utiliser une partie de l’argent de son REER pour acheter une rente viagère auprès d’un assureur, un produit méconnu et peu populaire.
La retraitée connaît les principaux outils capables d’éloigner le spectre de la pauvreté en âge avancé : ce sont les rentes à vie, et les plus grosses possible. Avant d’envisager l’achat d’une rente viagère, toutefois, mieux vaut gonfler d’abord celles auxquelles elle a déjà droit : celles du RRQ et de la SV. «C’est la première chose à faire», conseille Daniel Laverdière, planificateur financier, actuaire et directeur chez Banque Nationale Gestion privée 1859.
L’âge des premiers versements
Le RRQ et la SV offrent en effet une certaine flexibilité. Dans le cas du RRQ, un participant au régime est admissible à la rente à partir de 60 ans et peut repousser le début de sa prestation jusqu’à l’âge de 70 ans en échange de montants plus élevés.
L’âge auquel une personne a droit au montant de base de la rente est de 65 ans. S’il en fait la demande avant, sa prestation sera coupée de 7,2 % pour chaque année anticipée. Si le participant au régime commence à recevoir la rente à 60 ans, le «chèque» du RRQ sera rogné de 36 % par rapport à une rente «normale», et ce, jusqu’à la fin de sa vie. En 2019, la rente mensuelle de base à laquelle a droit un retraité qui demande le RRQ à 65 ans s’élève à 1 154,58 $ (indexée). À 60 ans, elle est réduite à 758,93 $.
Par ailleurs, plus un bénéficiaire retarde le début des versements après 65 ans, plus son revenu sera bonifié. Pour chaque année de report, la rente est relevée de 8,4 %. Le bénéficiaire qui patienterait jusqu’à l’âge de 70 ans avant de toucher le RRQ verrait donc sa prestation améliorée de 42 %, et ce, la vie durant. En 2019, la rente mensuelle maximale pour une personne qui bénéficie du RRQ à partir 70 ans monte à 1 639,50 $, indexée, jusqu’au décès.
Le même principe s’applique à la SV, quoiqu’il est impossible d’en faire la demande de manière anticipée. Il faut avoir 65 ans pour y être admissible, et chaque année qu’on laisse passer ensuite pour toucher «sa pension du gouvernement» vaut au retraité une bonification de la rente de 7,2 %. Quelqu’un qui attendrait le plus tard possible pour la demander, soit 70 ans, aurait droit à une prestation indexée accrue de 36 % (9 800 $ par année au lieu de 7 200 $, environ).
En quoi ces reports protègent-ils «contre la longévité» ? Comme il s’agit de rentes à vie indexées, le fait d’attendre quelques années pour recevoir des prestations bonifiées est avantageux pour ceux qui vivront jusqu’à un âge avancé. Durant leur retraite, ceux-là recevront en fin de compte plus d’argent, mais le bénéfice le plus important reste la tranquillité d’esprit, la certitude de pouvoir compter sur des revenus supérieurs jusqu’au décès, qu’importe quand celui-ci surviendra.
Les prestations plus généreuses auxquelles ils ont droit finiront par retarder l’épuisement de l’épargne à long terme puis, dans l’éventualité d’un tarissement, elles viendront amortir le choc en couvrant une partie plus importante des besoins financiers.
Tout le concept de la protection contre le «risque de longévité» repose là-dessus. Il faut en revanche consentir à puiser davantage dans ses ressources financières au début de la retraite pour compenser les revenus de pension auxquels on renonce durant quelques années.
C’est l’aspect de cette stratégie qui refroidit bien de futurs retraités, car sur le plan strictement financier, elle n’est avantageuse que si on vit assez longtemps. Dans le cas contraire, non seulement le retraité laissera derrière lui moins d’argent à ses proches, mais il ne récupérera pas sa participation au RRQ, la hantise de bien des gens.
Un report impopulaire
«Dis-moi quand tu mourras et je te dirai quand demander ta rente», aime bien répéter le planificateur financier et actuaire Dany Provost, aussi associé au cabinet SFL Gestion de patrimoine. Cela pour dire que l’âge idéal auquel il faut commencer à toucher le RRQ et la SV représente une sorte de gageure sur la durée de sa vie.
Si on se fie aux données de Retraite Québec, les Québécois, au contraire de notre lectrice Dominique, ne sont guère optimistes quant à leur espérance de vie. L’année dernière, la majorité des nouveaux bénéficiaires du RRQ était âgée de 60 ans, soit plus de 63 000 sur les 102 000 qui commençaient à encaisser le RRQ. Plus de 83 % le faisaient de façon anticipée, soit avant 65 ans. Du total, à peine 1 % avait 70 ans. L’âge moyen des nouveaux bénéficiaires du RRQ, en 2018, ne dépassait pas 62 ans. Il ne fait pas de doute que ces gens toucheront leur pension de la SV du gouvernement fédéral dès qu’ils le pourront, à 65 ans.
Parmi ces pensionnés précoces, il y a bien sûr des gens pour qui il est justifié de toucher hâtivement la rente, ceux notamment qui n’ont que le RRQ et la SV comme sources de revenus. Il y a aussi ceux dont la possibilité de vivre longtemps est assombrie par des antécédents de santé ou des maladies héréditaires qui hantent leur famille.
Pour les autres, cependant, la décision de toucher leurs rentes à la première occasion n’est pas une bonne idée. La peur de «laisser de l’argent» sur la table constitue le motif le plus répandu pour demander le plus tôt possible la pension du RRQ et de la SV. «Les gens sont stressés à l’idée d’avoir eu à cotiser toute leur vie sans pouvoir tout récupérer», remarque Robin Lévesque, du cabinet Brassard Goulet Yargeau Services financiers intégrés.
«Il associent souvent les rentes du gouvernement avec la retraite, comme si les deux allaient naturellement de pair, poursuit le conseiller en placement. L’âge auquel on prend sa retraite et celui auquel on touche ses prestations reposent sur des critères différents.»
Ce faisant, bien des retraités finissent au contraire par perdre au change. Selon des simulations menées par le cabinet Brassard Goulet Yargeau Services financiers intégrés, en touchant leur rente du RRQ avant 62 ans, les Québécois, hommes et femmes, parient qu’ils mourront avant l’âge de 78 ans. Selon les calculs des spécialistes, dans l’éventualité d’un décès entre 78 et 80 ans, l’âge optimal pour demander la prestation du RRQ tourne autour de 64 ans. Un décès qui surviendrait avant cet âge justifierait de réclamer la rente le plus tôt possible, notent-ils, soit à 60 ans. Mais comment savoir ?
L’espérance de vie des Québécois est aujourd’hui nettement plus élevée. Le nombre d’années que peut espérer un homme de 65 ans approche maintenant les 20 ans, ce qui le mène à 85 ans. Une femme de 65 ans a toutes les chances de souffler un jour ses 87 bougies, selon l’Institut de la statistique du Québec. L’âge idéal pour toucher la rente du RRQ se situe alors entre 65 et 66 ans, selon les calculs menés par le cabinet de services financiers.
Ces données sont fondées sur l’hypothèse d’un rendement espéré de 4,5 % du portefeuille du retraité. Plus ce rendement est faible, plus il est avantageux de repousser le moment de toucher la rente. Un retraité au profil d’investisseur prudent aurait donc plus intérêt à attendre.
Il ne faut pas être bien perspicace pour déceler l’impasse. Prendre la meilleure décision exige une information qu’on ne connaît heureusement pas : l’année de son décès. C’est pourquoi, plutôt que de parier là-dessus, il est préférable de réduire le risque de se retrouver dans la pire des situations, soit celui d’arriver au bout de ses ressources à un âge avancé. Le pire qui puisse arriver à une personne est certes de mourir, mais un mort a toujours l’avantage d’être libéré de tous ses problèmes financiers.
En planification financière, par prudence, les conseillers se basent généralement sur un scénario selon lequel leurs clients décèdent à 95 ans. L’âge optimal pour toucher le RRQ pour une personne qui vivrait jusque-là est de 68 ans. «On recommande généralement à nos clients d’attendre 67 ou 68 ans avant de demander la rente», confirme Robin Lévesque.
Le cas de Dominique
Pour Dominique, qui tient à faire durer son épargne jusqu’à 100 ans, il faudrait idéalement attendre à 70 ans avant de demander la rente du RRQ et la pension de la SV. Quel sera alors l’impact sur sa situation financière ?
Elle nous a fourni toutes les informations nécessaires pour effectuer cette évaluation, une tâche menée à bien par Daniel Laverdière.
Voilà le tableau : Dominique évalue son coût de vie à 34 000 $ par année. Le contenu de son CELI et des certificats de placement garanti sont suffisants pour combler ses besoins jusqu’à l’âge de 64 ans. À partir de cet instant, elle compte vivre de son épargne REER, qui devrait alors atteindre 550 000 $.
Le planificateur financier a concocté deux scénarios. Celui selon lequel Dominique demande les rentes publiques à 65 ans, et un autre, 5 ans plus tard. Il a utilisé comme hypothèse un rendement de 3,5 % du portefeuille et un taux d’inflation de 2 % .
Dans le premier cas de figure, selon les données fournies par Dominique, celle-ci devra commencer à puiser dans son REER en 2022 pour assurer son coût de vie; son compte CELI sera alors vidé. L’année suivante, lorsqu’elle aura 65 ans, Dominique touchera 12 350 $ par année de RRQ, un peu plus de 7 000 $ en SV, et elle devra retirer 25 000 $ de son REER. Après impôt, il lui restera quelque 36 000 $ pour combler ses besoins. Moins de la moitié de son coût de vie sera couvert par les rentes et plus de 51 % par son épargne.
Dominique pourra continuer à ce rythme jusqu’en 2049, alors qu’elle aura 91 ans. L’année suivante, son REER, depuis transformé en FERR, sera épuisé. Avec l’inflation, son coût de vie approchera alors 65 000 $ et son budget deviendra déficitaire de plus de 28 000 $. En effet, le RRQ et la SV ne lui procureront plus que 37 000 $ environ. Autrement dit, à 91 ans, Dominique basculera dans une forme de pauvreté relative.
L’autre scénario est surprenant. Ses besoins seront couverts uniquement par son REER de 65 à 70 ans. Au lieu de retirer 25 000 $, elle devra piger 41 000 $ de son REER en 2023, puis 42 000 $ l’année suivante et ainsi de suite, jusqu’en 2028, quand elle commencera enfin à recevoir sa rente du RRQ et la pension du fédéral, bonifiées respectivement de quelque 40 % et 36 %. L’année suivante, en 2029, ces revenus de pension s’élèveront à 30 000 $. Ils couvriront alors plus de 65 % des besoins de Dominique, qui n’a plus qu’à puiser 16 000 $ dans son épargne pour combler ses besoins.
De cette façon, bien que plus lourdement sollicitée durant les premières années de la retraite, l’épargne de notre lectrice pourra lui durer jusqu’à ce qu’elle atteigne 99 ans. Ensuite, son budget est déficitaire de 35 %, et non de 51 % dès 91 ans, comme dans le premier cas de figure.
Alors, qui a dit qu’il fallait se servir le plus tôt possible pour ne pas laisser d’argent sur la table ?
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Bientôt, une nouvelle rente contre le risque de longévité
Lors du dépôt de son budget, au printemps dernier, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il ouvrait la porte à ce qu’on appelle dans le jargon la « rente viagère différée à un âge avancé » (RVDAA). Déjà offerte aux États- Unis, ce produit permet de confier à un assureur une somme d’argent en échange d’une rente à vie dont les versements ne débuteront que bien plus tard, à un âge déterminé au contrat.
Par exemple, imaginons qu’une personne paie 50 000 $ au début de la soixantaine pour recevoir une rente mensuelle de 1 000 $, non indexée, dont le versement commencera à son 85e anniversaire.
Aucun doute, on parle alors d’une vraie assurance contre le risque de longévité. Si le retraité meurt avant d’avoir encaissé le premier chèque, il perdrait les 50 000 $. Combien d’argent avons-nous dépensé dans le vide pour protéger notre maison des vols et des incendies sans toucher le moindre dollar de dédommagement de la compagnie d’assurance ? Et en assurance vie temporaire ? C’est un peu le principe ici. Le contrat pourrait prévoir le versement d’une partie du capital dans le cas d’un décès prématuré, mais la rente serait moins généreuse.
Les assureurs pourront offrir ce produit à partir de l’année prochaine. Pour l’instant, elles offrent seulement des rentes viagères dont la prestation débute immédiatement après l’achat du produit. Notons que la RVDAA ne pourra être acquise qu’avec des sommes provenant d’un REER ou d’un FERR. La rente est donc imposable.
Nous ignorons comment sera tarifé ce produit, mais nous avons supposé, comme si haut, que 50 000 $ pourraient donner droit à une rente mensuelle de 1 000 $ une vingtaine d’années plus tard. Bien qu’hypothétiques, ces chiffres sont tout à fait plausibles.
Daniel Laverdière, planificateur financier, actuaire et directeur chez Banque Nationale Gestion privée 1859, a concocté un scénario dans lequel notre lectrice Dominique, en plus de repousser au maximum le moment où elle touchera les prestations du Régime de rentes du Québec et sa pension de la Sécurité de la vieillesse, prend 100 000 $ de son REER aujourd’hui pour acheter une rente différée à 85 ans de 24 000 $ par année (2 000 $/mois), sans la possibilité de récupérer quoi que ce soit dans le cas d’un décès prématuré.
Avec son épargne REER amputé de 100 000 $ dès l’an 1 pour acquérir la RVDAA, son bas de laine baisse rapidement au cours des cinq premières années, sans pour autant être épuisé. Lorsque les versements du RRQ et de la SV débutent à 70 ans, le rythme auquel fondent ses réserves diminue drastiquement. À 85 ans, lorsqu’elle commence à profiter de la RVDAA, il lui reste encore des réserves dans son REER. En fait, ce qui se produit alors, c’est que son épargne se stabilise ; elle n’arrivera jamais au bout de ses ressources.
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RRQ et SV : deux décisions différentes
Bien peu de gens ont droit à la rente maximale du RRQ; cela s’explique par la manière dont elle est calculée. Elle est établie selon les revenus mensuels moyens de la carrière du bénéficiaire (plafonnée au maximum de gains admissibles – ou MGA –, un montant indexé qui s’élève à 57 400 $ en 2019). La période considérée commence à 18 ans et prend fin l’année du début de la rente. Sont écartés du calcul 15 % des mois les plus faibles.
Lorsqu’on décide de repousser le moment où l’on touche le RRQ, les années de retraite durant lesquelles on ne reçoit rien et où l’on ne cotise pas bouleversent l’équation. Elles font remonter dans le calcul de la moyenne des revenus de carrière des années où l’on a peu contribué au régime. Cela affecte le montant de la rente, mais de manière négligeable en comparaison de la bonification de 8,4 % pour chaque année de report.
Pour avoir droit à la pleine pension du programme de la SV, il faut avoir vécu au moins 40 ans Canada. Pour ceux qui sont établis au pays depuis moins longtemps, leur pension sera proportionnelle au nombre d’années qu’ils y sont installés. Une personne de 65 ans vivant au Canada depuis 20 ans, par exemple, aurait droit à la moitié de la pension de la SV.
La décision de repousser le RRQ ne repose pas sur les mêmes critères que la SV. Quelqu’un qui aurait droit au Supplément de revenu garanti (SRG) pourrait avoir intérêt à retarder la rente du RRQ, mais pas la pension de la SV auquel le SRG est rattaché. Aussi, comme la pension de la SV est réduite dès qu’un retraité touche des revenus excédant 75 000 $ (pour disparaître autour de 125 000 $), ceux qui sont exposés à cet impôt de récupération ont intérêt à repousser le plus tard le moment des premiers versements.