L’énergie nucléaire offre plusieurs avantages par rapport aux autres technologies des énergies propres: elle fournit une charge de base propre et constante. (Photo: 123RF)
L’énergie nucléaire connaît un renouveau de popularité après que l’Union européenne a décidé de l’inclure dans sa taxonomie des finances durables. En juillet, le Centre commun de recherche, service de science et de connaissances de la Commission européenne, a indiqué que son analyse avant sa décision «ne montrait pas de preuve scientifique que l’énergie nucléaire causait plus de mal à la santé humaine ou à l’environnement que d’autres technologies de production d’électricité déjà comprises dans la taxonomie comme des activités soutenant l’atténuation du changement climatique.»
Cette situation montre à quel point l’Union européenne veut encourager les investissements dans l’industrie nucléaire afin d’accélérer l’abandon des carburants fossiles solides ou liquides, et surtout le charbon, en vue d’un avenir à émissions nulles, en plus d’assurer une plus grande indépendance énergétique par rapport à la Russie.
Le pour de l’énergie nucléaire
«Dans le domaine de la production d’une énergie propre et fiable, l’électricité du nucléaire est inégalée», dit Cindy Paladines, vice-présidente principale du secteur ESG auprès du gestionnaire d’actifs TCW. Comme les énergies renouvelables, l’énergie nucléaire ne produit pas d’émissions directes de carbone ou de gaz à effet de serre. «De plus, ajoute Cindy Paladines, lorsqu’on évalue les coûts des émissions dans les différentes options de production d’énergie pendant leur cycle de vie, l’énergie nucléaire est clairement gagnante.»
L’énergie nucléaire offre plusieurs avantages par rapport aux autres technologies des énergies propres : elle fournit une charge de base propre et constante (le niveau de demande minimum sur un réseau électrique pendant une période donnée), que les énergies renouvelables peuvent avoir peine à atteindre. Elle peut fournir de l’énergie de façon fiable à toute heure du jour et quelles que soient les conditions climatiques, et elle demande moins de matériel que d’autres technologies de transition, ce qui fait aussi baisser les émissions de carbone qui y sont associées.
Et le contre de l’énergie nucléaire
Pour de nombreuses raisons, l’énergie nucléaire demeure controversée, en partie à cause des accidents nucléaires, de l’utilisation d’uranium dans les armes atomiques, et du coût élevé de la construction de centrales. «Les déchets radioactifs et plusieurs accidents qui ont marqué la mémoire collective, comme le désastre de Tchernobyl et le plus récent désastre de Fukushima, ont rendu le public suspicieux de cette technologie», dit Jess Williams, analyste des placements durables à Columbia Threadneedle Investments. Néanmoins, ajoute Jess Williams, «ces deux exemples sont en quelque sorte spécifiques aux sites concernés et ont peu de chances de se reproduire dans d’autres centrales nucléaires.»
L’uranium enrichi a aussi des applications dans l’armement nucléaire, raison pour laquelle les programmes nucléaires que conduisent des pays comme la Corée du Nord, l’Iran, et bien sûr, la Russie, inquiètent les gouvernements des pays occidentaux. En plus de cette peur intense, il faut garder à l’esprit que le coût de l’énergie nucléaire est élevé et que les projets sont souvent exécutés tardivement en dépassant les budgets, bien que certaines nations asiatiques semblent résister à cette tendance.
«Toutefois, les facteurs positifs semblent l’emporter sur les facteurs négatifs, poursuit Jess Williams, ce qui a encouragé le retour à une énergie nucléaire de nouveau en faveur en Europe, alors que les gouvernements cherchent des façons d’améliorer la sécurité énergétique et atteindre les cibles ambitieuses de réduction des émissions.»
Quelles opportunités l’énergie nucléaire présente-t-elle aux investisseurs ?
«L’Europe aurait été confrontée à une crise énergétique au cours du processus de transition énergétique même si le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne s’était pas produit», dit Niall Gallagher, directeur des actions européennes à GAM Investments. «Nous croyons aussi que la transition vers des émissions nulles a peu de chances de se produire sans investissement important dans l’énergie nucléaire», ajoute-t-il. Encore que dans la plus grande partie de l’Europe, l’énergie nucléaire ait ses partisans. Niall Gallagher s’attend à voir des investissements dans des solutions comme les réacteurs nucléaires modulaires qui peuvent être adaptés et industrialisés pour produire de l’électricité.
La société européenne qui est la plus grande dans l’énergie nucléaire est Électricité de France SA (NYSE Euronext: EDF). Elle construit actuellement quatre nouveaux réacteurs nucléaires en France et au Royaume-Uni. «En raison de son empreinte importante dans ces deux pays, elle est bien positionnée pour bénéficier de leurs hautes ambitions nucléaires dans les décennies qui s’annoncent», explique Tancrede Fulop, analyste principal d’actions à Morningstar.
Le gouvernement français est en train de nationaliser cette société énergétique, en partie à cause de son endettement et de ses besoins de financement élevés pour construire 14 réacteurs nucléaires français d’ici 2050. Le conseil d’administration a émis une recommandation positive sur l’offre qu’a faite l’offre du gouvernement français jeudi dernier.
Maintenant, le gouvernement français a seulement besoin d’avoir le feu vert de L’AMF, qui est l’organisme de surveillance de la Bourse de Paris. Après cela, il aura dix jours pour lancer l’offre.
Engie SA (ENGIY), l’autre grosse société de services publics, possède et exploite en Belgique six réacteurs nucléaires dont la fermeture était précédemment prévue pour la fin de 2025. «Néanmoins, le gouvernement belge a récemment décidé de prolonger la durée de vie de deux de ces réacteurs, Doel 4 et Tihange 3, de 10 ans, dit Tancrede Fulop. Vela pourrait stimuler les bénéfices d’Engie, mais aura un impact limité sur sa valorisation, car nous croyons que les flux de trésorerie incrémentiels seront contrebalancés par les autres investissements requis pour prolonger la durée de vie de ces centrales.»
En même temps, le gouvernement allemand a décidé de repousser la fermeture des trois dernières centrales nucléaires de la fin de 2022 à avril 2023 pour alléger la tension sur le réseau cet hiver. «Cela pourrait stimuler les bénéfices à court terme des trois opérateurs de ces centrales : RWE AG RWE (RWE), E.ON SE (EOAN), et EnBW Energie Baden-Wuerttemberg AG (EEGBF)», conclut Tancrede Fulop.
L’Union européenne s’oriente plus rapidement vers la durabilité comme priorité économique et stratégique. Selon Morgane Delledonne, chef de la stratégie de placement pour l’Europe à Global X, «pour les investisseurs, ces décisions vont probablement approfondir le panorama ESG européen avec davantage d’opportunités dans des marchés comme les technologies propres, les énergies renouvelables et l’uranium à moyen et long termes».
Une nouvelle vie pour l’uranium ?
L’uranium est un élément chimique utilisé comme carburant dans les centrales nucléaires. À cause de sa toxicité, il n’a jamais bénéficié d’une excellente réputation auprès du public, mais c’est de toute évidence une matière première liée directement au développement de l’énergie nucléaire. Le Kazakhstan est le plus gros producteur mondial d’uranium, qui représente plus de 40% de la production mondiale. Après le Kazakhstan, il y a l’Australie, la Namibie et le Canada, encore qu’avec une grosse différence de parts de marché (respectivement 13%, 11% et 8%).
Le marché de l’uranium a connu une poussée significative l’année dernière, avec une demande qui a dépassé l’offre, ce qui a fait augmenter les prix. «C’est parce qu’après 10 ans d’un marché baissier, il y a eu un épuisement de l’offre qui s’est accompagnée d’un manque d’investissements dans de nouvelles fournitures minières et d’une baisse des inventaires, avec à la clé le lancement récent de nouveaux fonds communs de placement, comparables à ceux que l’on voit pour d’autres métaux», explique Tal Lomnitzer, gestionnaire principal de placement dans l’équipe des ressources naturelles mondiales à Janus Henderson Investors.
«Compte tenu de la classification du nucléaire comme énergie durable dans l’UE, nous pourrions voir une nouvelle poussée de la demande de carburants comme l’uranium, et cela pourrait créer certaines opportunités de placement intéressantes. L’accroissement de la demande doit être satisfait par une offre responsable», dit Tal Lomnitzer.
Les Canadiens cherchant une participation directe à la valeur de l’uranium peuvent considérer le FNB Horizons Global Uranium (HURA). Il y a trois autres FNB offerts aux États-Unis : Global X Uranium (URA), Sprott Uranium Miners (URNM) and VanEck Uranium+Nuclear Engy (NLR).
Une tendance mondiale
La France, chef de file européen dans le domaine de la production d’énergie nucléaire, a toutes les chances de devenir le marché qui bénéficiera le plus de cette décision de l’UE. Et de fait, le président Emmanuel Macron compte moderniser de 58 réacteurs déjà en place. Il a aussi annoncé son intention d’en construire au moins six nouveaux, avec la possibilité d’en augmenter le nombre jusqu’à quatorze.
De l’autre côté de la manche, le Royaume-Uni se prépare à financer sept nouvelles centrales d’ici 2050. En fait, Londres a fait du développement de l’énergie nucléaire une des priorités de sa stratégie énergétique. Parmi ses 15 réacteurs, il y en a beaucoup qui en sont à la fin de leur cycle de vie, et la seule centrale actuellement en construction, Hinkley Point C, projet également sous l’égide et l’EDF et de la société chinoise CGN Mining Co. Ltd. (CGNMF), a vu son prix augmenter et n’ouvrira pas avant 2027.
«L’Europe n’est pas la seule région à miser sur l’énergie nucléaire», explique Yun Bai. Chef de la recherche sur l’investissement factoriel à Vontobel. «À la Conférence des Nations Unies de 2021 sur le changement climatique (COP26), la Chine, chef de file mondial dans les énergies solaire, éolienne et hydraulique, a annoncé la construction de 150 nouveaux réacteurs d’ici 2025. Il s’agit d’un énorme investissement d’environ 440 milliards de dollars US (G$ US), qui fixera le pays sur ses objectifs consistant à abandonner une économie fondée sur l charbon à une industrie à neutralité carbonique. Pour donner une idée de la taille de l’investissement chinois, sachez qu’il y a actuellement 440 réacteurs en état de fonctionnement dans le monde.»
Les États-Unis, où il y a déjà 93 réacteurs en marche, investissent eux aussi davantage dans l’énergie nucléaire. Deux réacteurs sont actuellement en construction, et le mois dernier, l’administration Biden a lancé un programme de 6 G$ US pour continuer à faire fonctionner les réacteurs actuels. De plus, les États-Unis prévoient d’investir 600 millions de dollars pour tester le potentiel de petits réacteurs modulaires et de réacteurs nucléaires avancés.
La plupart des centrales nucléaires d’aujourd’hui sont des centrales de troisième génération qui utilisent principalement des réacteurs avec de l’eau sous pression, qui sont relativement inefficaces pour utiliser l’énergie stockée dans la matière première, car elles n’utilisent habituellement que 5 à 8% de l’énergie disponible, et génèrent donc une grosse quantité de déchets. Les réacteurs nucléaires de quatrième génération, de leur côté, sont constitués d’un groupe de technologies différentes, comme des réacteurs avancés à l’eau lourde et des réacteurs à sels fondus, et peuvent utiliser de 95 à 98% de l’énergie disponible dans le carburant, bien qu’ils soient loin d’être commercialisés.