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Comment repérer des produits financiers dépourvus de sludge

Morningstar|Publié le 04 novembre 2022

Comment repérer des produits financiers dépourvus de sludge

Les interfaces trompeuses sont des éléments de conception conçus pour forcer l’utilisateur à faire des choses qu’il préférerait ne pas faire autrement. (Photo: 123RF)

«Les interfaces trompeuses sont des éléments de conception utilisés pour tromper, orienter ou manipuler les utilisateurs et leur faire adopter des comportements profitables pour une entité qui offre un produit ou un service, mais elles sont souvent nuisibles pour les utilisateurs», dit Rohit Chopra, du Bureau de protection financière du consommateur.

Si vous connaissez la finance comportementale, vous aurez probablement entendu parler du pouvoir d’un bon nudge (coup de pouce). Il s’agit des petits changements apportés à un environnement de choix qui poussent légèrement le consommateur à adopter des comportements bénéfiques personnellement ou socialement (comme l’auto-inscription à des régimes d’épargne-retraite ou à des programmes de dons d’organes). Les nudges réduisent souvent les pierres d’achoppement et simplifient et facilitent les procédures. Ils sont le résultat de la mise à contribution de la science comportementale dans le meilleur intérêt du consommateur. Cass Sunstein, l’homme qui a fait passer le mot nudge dans le langage courant avec son classique sur la science comportementale, a récemment jeté la lumière sur le côté plus malfaisant de la conception des produits et services comportementaux dans son dernier ouvrage: sludge (la gadoue).

La sludge est un anti-nudge qui introduit des frictions ou de la complexité pour décourager les actes qui peuvent être dans le meilleur intérêt du consommateur, mais pas du vendeur. Vous aurez probablement eu affaire à la sludge sous forme de paperasserie administrative, de publicités-éclair qui cachent un minuscule bouton «Fermer» dans un coin et déguisent le lien vers le site Web en bouton de sortie, ou des abonnements faciles à initier mais difficiles à supprimer.

La sludge fait partie d’une plus vaste catégorie de produits pernicieux et de méthodes de conception de services que l’on appelle «dark patterns» (interfaces trompeuses). Ces méthodes de conception peuvent être répréhensibles, mais elles sont souvent légales et désespérément communes. Puisqu’il appartient au consommateur de repérer et d’éviter les produits et les services dotés d’attributs machiavéliques, cet article offre un bref aperçu des situations où l’on peut avoir affaire à des interfaces trompeuses dans le monde de la finance.

 

Tromper les gens délibérément

Les interfaces trompeuses sont des éléments de conception conçus pour forcer l’utilisateur à faire des choses qu’il préférerait ne pas faire autrement. Un paquet de quatre yaourts quand il y a cinq jours de classe par semaine oblige les parents à en acheter plus qu’ils n’en veulent. Dans les jeux vidéo, le «broyage» exige d’un joueur qu’il investisse des heures à développer les capacités d’un personnage avant qu’il puisse même commencer une partie. Les heures ainsi passées peuvent développer une dépendance au jeu.

En septembre 2022, la FTC (chambre de commerce fédérale) a signalé une augmentation du nombre et de la complexité des interfaces trompeuses destinées à duper les consommateurs pour leur faire acheter des produits et les forcer à dévoiler leurs renseignements personnels. Le rapport, intitulé» Bringing Dark Patterns to Light,” décrit trois grands types d’interfaces trompeuses à surveiller.

 

1. Des éléments de conception qui incitent à de fausses croyances

– Des affirmations fausses ou fallacieuses ;

– Des éléments publicitaires déguisés en contenu éditorial objectif ;

– Des sites de comparaison qui ont l’air neutres, mais qui sont classés selon le montant de rémunération accordé aux vendeurs ;

– Des comptes à rebours pour des offres qui, en fait, ne sont pas limitées dans le temps.

 

2. Des éléments de conception qui cachent ou retardent la divulgation d’informations importantes

– Des conditions de service essentielles enfouies dans la documentation générale que les clients ne voient pas avant de faire un achat ;

– Des informations sur les frais cachées dans des boutons d’infobulles, où le client a peu de chances de les voir ;

– Une tarification au goutte-à-goutte, dans laquelle le coût vanté est inférieur au coût réel à cause de nombreux petits frais additionnels ajoutés au point de vente.

 

3. Des éléments de conception qui conduisent à des frais non autorisés

– Des essais gratuits suivis de frais de souscription récurrents s’ils ne sont pas annulés à temps, dévoilés seulement dans une déclaration selon laquelle «certaines modalités s’appliquent» ;

– Des autorisations initiales suivies de frais supplémentaires trompeurs. Par exemple, un jeu pour enfant qui débite automatiquement le compte Google d’un parent, où un bouton vert qui fait habituellement progresser l’enfant au niveau suivant est subitement remplacé par un bouton vert «Acheter», qui initie un achat supplémentaire dans l’appli.

 

4. Des éléments de conception qui masquent ou contournent les choix de respect de la vie privée

– Ne pas permettre aux utilisateurs de rejeter pour de bon la collecte ou l’utilisation de données ;

– Pousser constamment les utilisateurs à sélectionner des paramètres qu’ils souhaitent éviter ;

– Brouiller les réglages de basculement ;

– Masquer les choix en matière de respect de la vie privée pour les rendre difficiles d’accès ;

– Installer des paramètres par défaut qui maximisent l’utilisation et le partage des données.

 

Les interfaces trompeuses dans la finance

Une étude de l’Université de Princeton a analysé des sites de magasinage en ligne et trouvé plus de 1 800 cas d’interfaces trompeuses, de 15 types différents. Dans les produits financiers, les interfaces trompeuses peuvent prendre la forme d’intérêts exorbitants, de clauses de rachat onéreuses ou de frais cachés. Des consignes erronées, une tarification masquée, de fausses informations, des textes délibérément obscurs et des coûts cachés sont autant de manifestations d’interfaces trompeuses.

 

En voici quelques exemples dans les produits financiers:

1. Les prêts usuraires

– L’extraction de valeur liquide, où des prêteurs accordent des prêts fondés sur la valeur liquide, quelle que soit la capacité de l’emprunteur à rembourser ;

– La publicité-appât, où les prêteurs promettent un type de prêt, mais, sans raison valable, en proposent un moins avantageux en cours de procédure ;

– Le rachat de prêt, par lequel un prêteur vend un prêt et le client doit acheter des points ou payer des frais ;

– Les versements finaux cachés, où ce que l’on a présenté comme un prêt à long terme à faible taux d’intérêt s’avère à la finalisation un prêt à court terme qui devra être refinancé dans quelques années.

 

2. La publicité mensongère

– Des publicités de placements en gros ciblées sur les familles ;

– Des tactiques de vente sous pression dont l’urgence est artificiellement gonflée, qui poussent les investisseurs à se lancer rapidement.

 

3. Les frais et les modalités de paiement cachés ou masqués

– Les frais d’acquisition, les frais de distribution, les commissions de vente et les frais de comptes peuvent être légitimes, mais sont souvent masqués ou cachés des investisseurs qui ne savent pas comment les repérer ;

– Les commissions de rentes, les frais de rachat et les frais de roulement (se renseigner au préalable) ;

– Les frais d’inactivité, les frais administratifs et les frais au bénéficiaire cachés sous des modalités denses et complexes.

 

4. Les escroqueries pures et simples

– Les ventes d’actions invendables à des prix prohibitifs, où des spécialistes des appels à froid persuadent les investisseurs inexpérimentés d’acheter des placements sans valeur ou plus chers qu’ils ne valent ;

– Les combines à la Ponzi, où un escroc prend de l’argent à une victime, puis prend de l’argent à une autre victime pour rembourser la victime précédente, et ainsi de suite, créant une solvabilité illusoire ;

– Les escroqueries boursières, où quelqu’un qui se fait prendre pour un courtier touche de l’argent sur des placements qu’il n’a pas l’intention d’effectuer au nom d’un investisseur.

 

Acheteur, prenez garde

Alors que se poursuit la recherche sur les interfaces trompeuses, il va sans dire que nous trouverons de plus en plus d’outils pour les reconnaître et pour signaler facilement des produits et services problématiques. Un jour, nous serons en mesure de faire passer les modalités d’un produit ou d’un service au peigne fin par l’intelligence artificielle et de dénoncer les interfaces trompeuses en une fraction de seconde. Mais ce n’est pas encore possible.

Pour l’instant, les investisseurs doivent s’éduquer sur la manière dont les produits financiers comme les produits technologiques sont construits, et scruter le marché pour repérer des produits qui sont transparents et dépourvus de sludge.