Le moment est venu de définir quelle sorte d’investisseur vous êtes. (Photo: 123RF)
Le monde est devenu fou. Les investisseurs américains s’attendent en moyenne à un rendement annuel de 17,5 %, selon une étude de la société de gestion d’actifs mondiaux Natixis datant de 2021. Réfléchissez : à ce rythme, on double son argent tous les quatre ans et des poussières. Pour les investisseurs qui ont un portefeuille de bonne taille, 17,5% par an veut dire qu’on en sera presque au point de rivaliser avec les Kardashian. Mais avant de sauter dans le premier avion pour aller voir des défilés de mode à Paris, permettez-moi de vous familiariser de nouveau avec la réalité : 17,5% par an, c’est hors de question. Voilà une nouvelle que de nombreux investisseurs ne veulent pas entendre.
Tout ce qu’on entend, ce sont des nouvelles désespérantes : lignes de tendances, marchés survendus et niveaux de soutien clés pour le S&P 500 — des bavardages s’employant futilement à distiller les égarements de millions de participants boursiers en un semblant d’optimisme. Le marché s’arrêtera de dégringoler quand le rêve des 17,5 % sera mort et que celui des «actions qui ne font que monter» ne sera plus qu’un souvenir lointain. Les marchés s’arrêteront de dégringoler quand la folie nous abandonnera enfin.
Quand on a la vue qui baisse
Les marchés baissiers ne sont pas beaux à voir. Les médias poussent des cris d’orfraie lorsque les actions approchent de ce seuil maléfique de -20 %. «Quand est-ce que ça va s’arrêter?», demandera un journaliste. «En 1929, le marché a perdu 89 %», répondra derrière ses lunettes un professeur d’économie drapé dans le tweed. Un calcul rapide confirme que si cela se produit, vous ne vous en remettrez jamais. Votre famille et vos amis vous murmureront à voix basse : «Je te l’avais bien dit». Investir a été une erreur, diront-ils, en éprouvant un plaisir pervers à chaque baisse.
Ensuite arriveront ces «amis qui vous veulent du bien», ces collègues qui ont toute votre confiance. Ils vous diront des choses apparemment sensées, comme «le marché est un peu risqué en ce moment, et tu ferais peut-être bien de laisser ton argent en liquide jusqu’à ce que le marché devienne plus sûr», et vous boirez du petit lait. Vendre au milieu d’une chute et acheter au plus bas, quoi de plus simple? Si ce conseil vous semble si bon, c’est parce que cela vous permettra d’abréger vos souffrances : la souffrance de voir votre compte s’étioler comme une peau de chagrin devant vos yeux, la souffrance de devoir expliquer à vos proches pourquoi votre coussin douillet a plus l’air rempli de crin que de plumes de canard, la souffrance de vous sentir comme un raté. Ce conseil vous apparaîtra comme une porte de sortie, un moyen de remettre à flot un navire sinistré.
La question à un million, c’est comment supporter la chute de Bulleville sans succomber à la peur et à la honte qui finiront par saper vos objectifs de placement. Je sais que pour beaucoup, vous voulez des recommandations de placement : une action ou un fonds magique produisant les rendements qui vous permettront de sortir de l’ornière. C’est de cette façon que l’industrie du placement veut que vous pensiez. Mais le salut ne viendra pas d’un autre super-produit. Il vient du plus profond de nous-mêmes.
Commencez par reconnaître votre propre hyperactivité. Répétez avec moi : «Je m’appelle Mark LaMonica et je suis conditionné à réagir au stress par des actes qui créent en moi l’illusion de contrôler l’incontrôlable.» Tous les actes ne sont pas mauvais. C’est le moment d’un retour aux sources.
— Avez-vous un objectif convenablement défini? Si ce n’est pas le cas, fixez-en un.
— Savez-vous quelle taille doit avoir votre portefeuille pour atteindre votre objectif? Calculez-le.
— Décidez quand vous voulez atteindre votre objectif.
— Déterminez combien vous économiserez chaque année pour l’atteindre. Cela vous permettra de calculer le taux de rendement qu’il vous faut.
Rappelez-vous que le trop est l’ennemi du bien. Les objectifs évoluent dans le temps. Un objectif défini aujourd’hui vous donnera les moyens de peser le pour et le contre entre poursuivre une nouvelle carrière, l’interrompre provisoirement ou ajuster votre taux d’épargne.
Choisir une philosophie de placement
Investir, c’est tout autant une affaire de cœur que de gros sous. Ce que vous serez après Bulleville sera peut-être complètement différent de ce que vous êtes aujourd’hui. Le moment est venu de prendre un peu de recul et de décider quel type d’investisseur vous voulez être. Il ne s’agit nullement de se livrer à un exercice ésotérique d’autodécouverte, mais plutôt de trouver la clé du succès.
Dans son ardent désir de vous vendre des produits, l’industrie du placement oublie que de nombreuses façons de réussir sont offertes à un investisseur (à l’exception des transactions du même jour. Si vous lisez ces lignes et que vous vous y adonnez, vous avez 95 % de chances d’échec). Mais le fait qu’il y ait de nombreuses façons de réussir ne veut pas dire qu’elles vous conviendront toutes. Les recherches de Morningstar montrent que l’investisseur moyen s’est sous-classé de 1,7 % par an sur 10 ans par rapport au rendement moyen d’un placement. Pourquoi? Un mauvais timing. Les gens achètent au plus haut et vendent au plus bas. C’est comme ça depuis que le monde est monde. Notre tendance à être stupides est la raison pour laquelle nous devons trouver une philosophie de placement qui soit la bonne pour nous : le mât auquel nous enchaîner quand les cryptosirènes chantent des mélopées ensorcelantes sur l’art de s’enrichir instantanément.
Ma philosophie personnelle fait intervenir des sociétés à dividendes, non cycliques et à faible niveau d’incertitude : une approche si ennuyeuse que lorsque j’ai pris la parole la semaine dernière à la conférence de l’association australienne des actionnaires (qui n’est loin d’être le bastion des admirateurs de Cathie Wood), un membre m’a réprimandé pour mon conservatisme et m’a dit qu’il n’investirait jamais comme moi. J’ai simplement souri, parce qu’être ennuyeux me va comme un gant. Ça s’accorde bien avec mon tempérament et ça reflète les terribles enseignements de l’effondrement des dot-coms. Oui, je me suis surclassé lorsque Bulleville a perdu la boule. Oui, j’ai eu de très bons résultats ces six derniers mois. Mais en traversant tout ça, je n’ai jamais perdu de vue mes objectifs, qui sont ma seule raison d’investir.
Le moment est venu d’épousseter votre philosophie ou d’en découvrir une. À l’intention des investisseurs les plus expérimentés, je dirais que des placements qui ne s’alignent pas sur leur philosophie se sont peut-être glissés dans leur portefeuille. Ça se comprend parfaitement : les sirènes qui exaltent l’enrichissement rapide et la peur de rater quelque chose sont bien réelles. Mais c’est le moment d’élaguer. Pour les nouveaux investisseurs, c’est un moment parfait pour définir une philosophie. Pendant l’effondrement des dot-coms, mon univers a été secoué par les ouvrages Stocks for the Long run et The Future for Investors de Jeremy Siegel, qui m’ont inculqué le besoin viscéral de réinvestir mes dividendes et de les cumuler au fil des décennies. Comme je l’ai dit ennuyeux. Votre philosophie sera peut-être différente. Découvrez-la. Mettez-la par écrit. Trouvez les placements qui y correspondent. Je soupçonne qu’ils deviendront de moins en moins chers alors que Bulleville s’éteindra.