Une question demeure en suspens: combien de temps allons-nous tolérer l’endettement excessif des ménages ? (Photo: Charles Etoroma pour Unsplash)
EXPERT INVITÉ. Contrairement à la crise de 2008-2009, où l’économie mondiale a continué de fonctionner au ralenti, la crise sanitaire a entraîné une rupture importante des chaînes mondiales d’approvisionnement. Divers biens et services ne seront pas rapidement disponibles en raison du choc d’offre associé la pandémie. De plus, le respect des règles sanitaires par les entreprises fait augmenter les coûts et peut créer des délais dans les approvisionnements de diverses industries.
En fait, les prix des matières premières sont en hausse depuis septembre 2020. Le coût du transport maritime, un élément essentiel dans les chaînes d’approvisionnement, s’est accru considérablement avec une reprise de l’activité mondiale.
Plus récemment, le pétrole est en hausse. Il y a une grave pénurie de puces électroniques forçant les fabricants de voitures, de téléphones intelligents et autres produits numériques à interrompre leur production causant des ruptures d’inventaires chez les détaillants qui seront incités à augmenter leurs prix face à la demande croissante.
Dans d’autres secteurs, on doit revoir les chaînes d’approvisionnement mis à mal par la pandémie. Le secteur de la construction résidentielle fonctionne au maximum de sa capacité et les prix du bois de construction et d’autres matériaux sont fortement en hausse. Les prix des maisons dans diverses régions au Canada sont souvent déconnectés de la réalité économique. Le 20 mai dernier, le gouverneur de la Banque du Canada s’inquiétait en conférence de presse de l’augmentation de 4 % de l’endettement des canadiens depuis le début de la pandémie et en particulier de leur endettement hypothécaire.
Les données du mois d’avril sur l’inflation apparaissent sur ce graphique de Statistique Canada:
L’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 0,5 % en avril et le taux annuel d’inflation est passé de 2,2 % à 3,4 %. Selon Statistique Canada, pas moins de 70,3 % des composantes du panier de l’IPC affichent une variation annuelle des prix plus élevée qu’il y a trois mois. Il s’agit d’une proportion inégalée depuis dix ans. La croissance annuelle des prix à la consommation de 3,4 % a atteint son rythme le plus rapide depuis mai 2011.
Ce résultat apparaît sur les indicateurs de l’inflation fondamentale, qui amorcent une remontée en avril. Comme les prix de l’année précédente avaient fléchi à cause du confinement, on pouvait s’attendre à un taux d’inflation un peu plus élevé que la tendance avec une reprise de l’activité. La hausse des taux d’intérêt sur les marchés obligataires reflète l’anticipation de l’inflation par les investisseurs.
Le gouverneur de la Banque du Canada anticipait en avril un taux d’inflation se rapprochant de la limite supérieure de la cible de 3 % pour la première moitié de l’année, mais prévoyait que l’inflation revienne à un niveau de 2 % dans la seconde partie de l’année en raison des capacités excédentaires de production. Donc, dans la conjoncture actuelle, on ne doit pas s’attendre à un changement significatif du taux directeur de la Banque du Canada.
Cette poussée de l’inflation survient alors qu’une baisse de l’emploi, liée en bonne partie à un reconfinement, a porté le taux de chômage à 8,1 % en avril. Ainsi, on se retrouve dans une situation qui pourrait annoncer une période de stagflation.
Cependant, une caractéristique de la pandémie est d’avoir un impact différent sur les divers secteurs de l’économie. Dans certains secteurs peu touchés par les confinements, il y a peu de chômeurs et même parfois, on se retrouve avec une pénurie de main-d’œuvre. Enfin, le prix moyen des maisons au Canada a atteint un sommet en mars 2021. De plus, les investisseurs ont continué de profiter des bas taux d’intérêt et le TSX a atteint un niveau record de plus de 19 500 points.
Situation aux États-Unis
Chez notre principal partenaire commercial — qui est un important fournisseur de biens et services au Canada — la poussée inflationniste est encore plus marquée. Le programme d’aide de 1900 milliards de dollars américains, conjugué au déconfinement en cours, s’est traduit par une hausse de l’IPC de 4,2 % sur une base annuelle. C’est un résultat que l’on n’avait pas vu depuis 2008. L’IPC, sans l’énergie et l’alimentation, a connu une forte hausse. On note d’importantes ruptures d’approvisionnement qui risquent d’alimenter l’inflation.
Alors que les entreprises tentent de répondre à cette hausse de la demande, des pénuries de main-d’œuvre risquent d’exercer des pressions sur les salaires. Pour le moment, on estime qu’il s’agit d’une situation passagère liée à une reprise plus rapide que prévue de l’activité économique. Or, si les pressions s’accentuent, la Fed pourrait devoir en 2021 commencer à augmenter ses taux.
Les enjeux à suivre
On peut s’attendre à un comportement un peu chaotique de l’inflation dans les mois qui suivent. La tendance détectée par Statistique Canada va se poursuivre pendant quelques mois.
Comme ce fût le cas au troisième trimestre de 2020, on devrait assister à une hausse marquée de la consommation, alimentée par une accumulation de l’épargne et par une remontée de l’emploi grâce au déconfinement accru durant l’été.
Cette tendance, même s’il existe des excès de capacité dans divers secteurs de l’économie, pourrait faire bondir les prix de divers produits à cause de difficultés d’approvisionnement dont il est difficile de prévoir la durée.
De plus, les pénuries de main-d’œuvre dans divers secteurs pourraient faire bondir les salaires et accroître les tensions inflationnistes. On peut donc prévoir que l’inflation se rapprochera de la fourchette supérieure de la cible de la Banque du Canada, soit 3 %.
À moyen terme, il est peu probable que l’on assiste à un retour soutenu de l’inflation pour les mêmes raisons qui expliquent que l’injection massive de liquidité dans l’économie n’a pas déclenché une inflation persistante lors de la crise financière de 2008-2009.
Mais une question demeure en suspens: combien de temps allons-nous tolérer l’endettement excessif des ménages ? Il y aura, en date du premier juin, un test plus sévère pour obtenir des prêts hypothécaires non assurés. Cette annonce du bureau du surintendant des institutions financières pourra aider à freiner la surchauffe, mais de telles mesures dans le passé ont eu des effets limités.
Enfin, il y a à plus court terme un risque à considérer en lien avec l’inflation courante. Si la Fed décide d’amorcer une hausse de son taux directeur face aux trop fortes pressions inflationnistes, la Banque du Canada devra aussi augmenter son taux pour éviter une dépréciation marquée de notre devise qui alimenterait l’inflation.
Une hausse des taux beaucoup plutôt que prévu freinera le retour de l’économie vers sa croissance tendancielle et mettra sous pression les ménages les plus endettés et affectera à la baisse le TSX.