Logo - Les Affaires
Logo - Les Affaires

Des stratégies d’investissement pour dormir la nuit

Sophie Stival|Édition de la mi‑juin 2023

Des stratégies d’investissement pour dormir la nuit

Les scénarios d’apocalypse économique retiennent davantage l’attention. Au lieu de paniquer, pourquoi ne pas miser sur ce qu’on contrôle?

Il y aura toujours des prophètes de malheur pour embrouiller les épargnants. Ils annoncent une dégringolade boursière, un ralentissement économique sévère, voire une récession. Quand il y a péril en la demeure, l’urgence d’agir se fait sentir. Sans surprise, le plus difficile pour un investisseur sera l’inaction. «En Bourse, 98 % du temps, il est préférable de ne rien faire», souligne Philippe Le Blanc, gestionnaire de portefeuille à Cote 100. Si on a des titres de qualité dans son portefeuille dont le prix est raisonnable, mieux vaut les conserver, conseille-t-il.

Par ailleurs, les recherches de la firme américaine Dalbar montrent depuis une vingtaine d’années que synchroniser les marchés (market timing) en tentant de vendre ou d’acheter en Bourse au bon moment ne fonctionne tout simplement pas. En 2022, l’indice S&P 500 a perdu quelque 18 %. Dalbar estime que la perte pour l’investisseur moyen dans un fonds d’actions américaines a été d’un peu plus de 21 %. Cette différence serait essentiellement liée au comportement contre-productif des investisseurs. Sur une période de dix ans, ou même de 30 ans, ces résultats sont encore plus probants. Les conséquences de liquider des positions au mauvais moment ou de manquer les meilleures journées en Bourse sont dévastatrices. Autre argument massue:après une chute des indices, les reprises sont souvent soudaines et inattendues.

 

Distinguer volatilité et risque

La volatilité fait partie intégrante du marché boursier. «C’est ce qui nous permet de générer des rendements supérieurs à long terme. Elle est inévitable, mais on peut essayer de s’en faire une alliée», remarque Philippe Le Blanc, également auteur du livre Avantage Bourse:investir entre les lignes et gagner. La portion de nos avoirs placés en Bourse devrait être constituée de surplus d’argent dont on n’aura pas besoin pendant plusieurs années. Il faut donc prévoir un fonds d’urgence et des liquidités en cas de besoin afin d’éviter de vendre des actifs au rabais. Si on a un peu d’encaisse dans le portefeuille de placements et que le marché corrige, cela pourrait aussi être une occasion d’ajouter des titres dépréciés.

Le risque, et non la volatilité, devrait plutôt être la vraie préoccupation des investisseurs. Il s’agit de «la possibilité que vous ne puissiez atteindre vos objectifs financiers ou honorer vos obligations ou que vous deviez repenser vos objectifs parce que les circonstances ont changé», souligne Christine Benz, directrice du service des finances personnelles à Morningstar, sur lesaffaires.com. Quand on manque de temps pour réaliser ses objectifs, comme à l’approche de la retraite, la volatilité peut effectivement devenir un risque si on doit vendre et réaliser une perte.

En appliquant certains principes de base en placement, il sera possible de passer plus facilement à travers des périodes de forte volatilité comme l’an dernier. «Notre philosophie d’investissement se résume depuis très longtemps à investir dans des fonds mondialement diversifiés tout en gardant les coûts faibles et en conservant ses placements longtemps», explique Félix Duchaîne, directeur régional pour Montréal, Laval et l’est du Québec à Placements Vanguard Canada. Cela signifie d’avoir un plan et des objectifs clairs qui vont ancrer l’investisseur sur le long terme. De tels objectifs permettent de déterminer l’horizon de placement, qui est lui-même intimement lié à la tolérance au risque et à l’allocation d’actifs.

«Les recherches montrent que la répartition d’actifs explique environ 90 % de la variabilité du rendement espéré d’un portefeuille», ajoute le spécialiste de Vanguard. Le partage entre les obligations et les actions sera notamment lié aux objectifs de l’épargnant, à sa tolérance au risque et au temps qu’il a devant lui pour les réaliser. «Les investisseurs ont tendance à surestimer leur tolérance au risque lors de marchés haussiers et de la sous-estimer quand ça brasse», constate-t-il. Félix Duchaîne recommande d’avoir la discipline de rééquilibrer le portefeuille vers ses pondérations cibles lorsque nécessaire, en achetant et en vendant les proportions souhaitées dans chaque catégorie d’actifs.

Enfin, il est conseillé d’automatiser les contributions afin de créer une discipline d’épargne tout en évitant de synchroniser les marchés. Le maintien de coûts faibles avec une approche en gestion active ou indicielle va également favoriser l’atteinte de ses objectifs à long terme. «Nos recherches révèlent que les meilleurs prédicteurs de rendements sont notamment le taux de rotation des actifs et les frais de gestion. On souhaite minimiser ces deux ratios», souligne Félix Duchaîne. À Cote 100, on conserve en moyenne une action entre sept et huit ans, soit un taux de rotation d’environ 14 % ou 15 %. «On détient certains titres depuis beaucoup plus longtemps, comme Alimentation Couche-Tard (ATD, 66,36 $) depuis 2001 et CGI (GIB.A, 139,06 $) depuis 2008», remarque Philippe Le Blanc.

 

Des comportements nuisibles

Malgré toutes ces bonnes intentions, le plus difficile sera de maîtriser ses émotions. Les recherches indiquent que les biais psychologiques et cognitifs poussent les investisseurs à prendre de mauvaises décisions. Les gens vont s’attarder sur les nouvelles négatives par crainte des effets sur leur patrimoine financier. Une personne écoute son voisin hurler au loup quand le marché chute plutôt que de se rappeler comment la Bourse a rebondi au lendemain de la crise de 2008 ou de celle de 2020. L’investisseur aurait donc une aversion naturelle pour les pertes. Il sera ainsi beaucoup plus affecté par une baisse de 10 % en Bourse que par une hausse équivalente. «Sachant que sur les 20 ou 30 prochaines années, le marché boursier devrait générer des rendements attrayants — autour de 8 % annuellement —, on ne devrait pas s’attarder aux six prochains mois», croit Philippe Le Blanc. Mais il est bien difficile d’éliminer complètement l’influence de ces biais. En prendre conscience est déjà un pas dans la bonne direction.

 

 

La solution des FNB à faible volatilité

L’engouement pour les fonds négociés en Bourse (FNB) qui visent à offrir une volatilité inférieure au marché ne se dément pas. Plusieurs recherches indiquent que l’investisseur n’a pas à sacrifier du côté des rendements. Ce que certains appellent l’anomalie de faible volatilité pourrait s’expliquer par l’«effet billet de loterie», soulignait au printemps Chris Heakes, vice-président et gestionnaire de portefeuille au groupe Placements structurés mondiaux à BMO Gestion mondiale d’actifs, dans une recherche intitulée «Avoid the « Lottery Ticket Effect »with Low-Vol Investing». Les données révèlent que les investisseurs ont tendance à accorder une attention démesurée à des titres plus risqués, car ils souhaitent faire beaucoup d’argent rapidement. Pensons à une société minière ou technologique. Dans le cas des titres qui font partie des fonds à faible volatilité, il s’agit d’entreprises de qualité qui paient des dividendes réguliers travaillant notamment dans les services publics et les produits de consommation courante (appelés secteurs défensifs). On retrouve assez peu de titres du secteur de l’énergie ou des technologies de l’information. Les FNB à faible volatilité évitent les secteurs à la mode qui ont des rendements plus volatils. «Ces fonds peuvent être ajoutés dans une perspective plus tactique, mais également faire partie intégrante du portefeuille lorsqu’on combine plusieurs facteurs comme la qualité et la faible volatilité. Nos recherches montrent que les rendements ajustés au risque à long terme sont attrayants», constate Alfred Lee, gestionnaire de portefeuille et stratège en placement FNB à BMO Gestion mondiale d’actifs. Mais avant de choisir un FNB à faible volatilité, on doit bien comprendre la méthodologie d’investissement. Ces fonds ont tendance à être plus concentrés dans certains secteurs et à délaisser ceux qui sont plus cycliques. Pour contourner cet écueil, certains fonds imposent des contraintes comme des participations maximales par secteur, par titre ou même des pondérations qui ne s’éloignent pas plus qu’un certain pourcentage par rapport à l’ensemble du marché.