Des thèmes pour tous les goûts, mais pas pour tous
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑novembre 2020FNB THÉMATIQUES. Pouvoir miser sur une tendance structurelle porteuse tout en gardant une certaine ...
FNB THÉMATIQUES. Pouvoir miser sur une tendance structurelle porteuse tout en gardant une certaine diversification : c’est la proposition des fonds négociés en Bourse (FNB) thématiques.
Les thèmes en vogue sont nombreux : le télétravail, le commerce en ligne, la télémédecine, la génomique, les aliments végétaliens ou le sport électronique, pour ne nommer qu’eux. Naviguer seul dans ces nouvelles industries n’est toutefois pas une mince affaire. Qui a vraiment le temps ou les connaissances pour analyser avec soin les titres individuellement et de déterminer les futurs gagnants dans ces créneaux d’avenir ?
C’est l’argument de vente de certains fournisseurs qui lancent des FNB thématiques au gré des tendances. Le succès de certains produits, comme le FNB indiciel cybersécurité Evolve (CYBR), qui affiche un rendement de 38 % en date du 9 novembre, par rapport à 3 % pour le FNB iShares S&P 500 en dollars canadiens (XSP), frappe l’imagination.
Après 12 ans de marché haussier, l’intérêt que génèrent les fonds thématiques leur a permis de tripler leur actif sous gestion à 195 milliards de dollars américains (G $ US) entre 2017 et 2019, dans le monde.
«Il n’y a pas meilleur guichet, à la fois unique et varié, pour investir dans un éventail d’entreprises à fort potentiel dont la croissance s’appuie en plus sur les grands phénomènes bien ancrés», juge David Kletz, gestionnaire de Forstrong Global Asset Management, qui utilise ces fonds.
La robotique et l’automatisation sont les deux thèmes les plus populaires, avec un actif combiné de 26 G $ US. Aux États-Unis, 129 FNB thématiques cumulent un actif de 41 G $ US. Cela se compare aux 41 fonds totalisant 5 G $ US, il y a cinq ans.
Il est encore difficile de tirer des conclusions puisque seulement 16 d’entre eux ont un historique de dix ans et 75 ont moins de trois ans d’existence.
D’ailleurs, moins de la moitié des FNB lancés avant 2010 existaient encore en 2020, indique la firme de recherche indépendante Morningstar, qui dénombrait 923 FNB thématiques en décembre 2019, dans le monde. De ce nombre, seulement un FNB sur quatre avait battu l’indice MSCI Monde, pendant ces années.
Au Canada, Financière Banque Nationale répertorie quelque 25 FNB qui gravitent autour du thème de l’innovation, si on exclut les fonds d’infrastructure et les fonds socialement responsables.
Des pièges à éviter
Si ces fonds se targuent d’offrir une solution clé en main pour investir avec simplicité, les experts et les conseillers financiers consultés sont plutôt circonspects et plusieurs les évitent.
Pour sa part, Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital, ne les considère même pas en tant que placements satellites dans un portefeuille déjà bien diversifié. «Je n’ai jamais vu d’étude qui établit que les FNB thématiques donnent des rendements supplémentaires adéquats pour contrer le risque à long terme», tranche-t-il.
Efficaces, peu coûteux, faciles à acheter et à revendre, ces FNB ont les défauts de leurs qualités, en quelque sorte. Raymond Kerzérho estime que ces fonds peuvent tendre un piège aux investisseurs, car bien peu d’entre eux résisteront à la tentation d’échanger trop souvent ces fonds volatils lorsque les marchés fluctuent le plus. «Ils deviennent une énorme distraction ou même une nuisance qui peut faire dévier le portefeuille de ses objectifs à plus long terme», dit-il.
L’expert préfère de loin les FNB indiciels parce qu’ils fournissent justement un portefeuille élargi optimal, peu concentré. Il vaut mieux laisser les marchés travailler pour l’investisseur, qui peut alors se concentrer sur les autres aspects de ses finances personnelles, selon lui.
Avec plusieurs FNB spécialisés, il est aussi facile de perdre le fil de la composition de son portefeuille et de se retrouver avec des chevauchements qui accroissent la concentration de ses placements et les risques, dit-il.
Déjà, 64 % de la valeur de l’indice américain S&P 500 provient des secteurs de la technologie et de la santé si on inclut dans la technologie l’industrie des communications et de la consommation discrétionnaire, où résident les géants Alphabet-Google, Facebook depuis 2018, ainsi que le titan du commerce en ligne Amazon.
Ces fonds sont souvent offerts lorsqu’un thème est déjà très populaire et a déjà donné ses meilleurs rendements, déplore aussi Raymond Kerzérho. Parfois, le FNB ne donne pas la performance espérée parce que le panier de titres reflète mal le thème choisi ou encore parce que l’engouement se renverse et que le FNB ferme son capital rapidement, rappelle Ian Gascon, président de Placements Idema.
Les investisseurs ont pu observer en direct cette courte espérance de vie dans l’industrie canadienne du cannabis. Après la frénésie de 2017 et de 2018, les FNB Evolve Marijuana et Evolve U.S. Marijuana ont fermé boutique au début de 2020, après la déconfiture d’une industrie surpeuplée par rapport à la demande. «Le cimetière des FNB est plein de thèmes déchus», illustre Daniel Straus, de Financière Banque Nationale.
Ian Gascon, qui évite aussi ces fonds, rappelle que lorsque les FNB ferment, faute d’intérêt ou d’actifs suffisants, la liquidation forcée peut avoir des conséquences fiscales pour l’investisseur.
Trois décisions plutôt qu’une
L’investisseur doit réaliser qu’il fait trois paris quand il envisage un FNB thématique, indique Ben Johnson, directeur mondial de la recherche à Morningstar Research Services. Il lui faut choisir le bon thème et le FNB le mieux conçu pour en profiter et, en plus, jauger si les cours n’incorporent pas déjà le potentiel du thème en question, explique l’expert de Chicago. «Les investisseurs doivent réfléchir sérieusement afin de déterminer si un thème est vraiment durable ou un mirage. Ces FNB sont surtout conçus pour leur attrait de vente que pour leurs mérites de placement», ajoute-t-il. Les chances de succès sont minces, mais bien sûr, «lorsque le pari est le bon, ça peut être très payant», reconnaît-il.
À mi-année, 89 des 129 FNB thématiques répertoriés par Barron’s avaient procuré un rendement de 17 %, nettement mieux que le recul du S&P 500 en dollars américains) ; 47 d’entre eux avaient même surpassé le rendement de 18 % du secteur de la technologie.
Quant au danger potentiel qu’un FNB ciblé reflète mal la thématique recherchée, David Kletz, de Forstrong Global Asset Management, donne en exemple le FNB Lithium & Battery Tech (LIT), qui mise sur le potentiel des batteries au lithium. Puisqu’il investit à la fois dans les producteurs miniers, les raffineurs et les fabricants de batteries, les intérêts économiques divergents de ces trois maillons de la chaîne risquent fort de procurer une performance décevante, à son avis.
Daniel Straus, de Financière Banque Nationale, cite les FNB de la chaîne de blocs lancés en 2018. Plusieurs de ces fonds ont vécu moins d’un an. Le FNB Harvest Blockchain Technologies (HBLK) détient à la fois des fournisseurs de la technologie de traçabilité des données et les émetteurs de cartes de crédit Visa et Mastercard ainsi que le géant informatique Microsoft. «On peut se demander si la chaîne de blocs est vraiment ce qui procure la performance», dit-il.
Ce FNB a grimpé de 76 % 2020 (en date du 30 octobre), en partie en raison de l’étrange sursaut d’Eastman Kodak à l’annonce d’un virage inattendu dans les ingrédients pharmaceutiques et de l’ascension du détaillant en ligne Overstock.com. «La volatilité est une arme à double tranchant. Des rendements aussi explosifs dans un si court laps de temps peuvent se renverser tout aussi rapidement», prévient Daniel Straus, qui enjoint les investisseurs à faire leurs devoirs.
Grande concentration
Pour sa part, Scott Johnston, chef des produits de placements chez le pionnier des FNB Vanguard, au Canada, craint que l’approche du panier de titres des FNB thématiques donne un faux sentiment de sécurité à l’investisseur. «Ces FNB sont souvent dominés par une ou deux sociétés et sont donc beaucoup plus concentrés que les investisseurs ne l’imaginent, alors qu’ils s’estiment diversifiés à l’intérieur d’un thème», dit-il.
En plus, leurs frais sont plus élevés que ceux des FNB qui calquent les grands indices. S’ils font des transactions trop fréquentes, les investisseurs peuvent aussi déclencher des gains en capital imposables si ces fonds sont détenus dans un compte non enregistré.
Plus fondamentalement, Scott Johnston craint que l’investisseur moyen n’obtienne pas les résultats qu’il recherche avec ces fonds, soit parce qu’ils les échangent trop souvent ou que le FNB n’est pas le bon véhicule pour le thème choisi.
À Financière Banque Nationale, les portefeuilles modèles de FNB n’incluent aucun FNB thématique. «Nous n’encourageons pas nos clients à y investir, car ils sous-estiment les risques de pertes s’ils tentent de les acheter et de les revendre au bon moment», soutient Daniel Straus.
Les FNB plus généralistes conviennent mieux aux besoins de l’investisseur moyen pour construire son portefeuille, croit cet expert. Ces FNB ont aussi des frais inférieurs à 0,1 % par rapport aux frais de 0,40 % à 0,60 % des FNB thématiques. Pour toutes ces raisons, les fonds plus nichés ne devraient pas constituer plus de 5 % d’un portefeuille, conseille-t-il.
«On sait que l’investisseur moyen entre trop souvent dans les fonds à la mode après une période de rendements élevés ; il s’éloigne des bonnes pratiques de l’investissement», renchérit Scott Johnston, de Vanguard Canada.
Armé des mises en garde qui s’imposent, l’investisseur qui, attiré par les tendances, décidera tout de même de sauter dans l’arène, pourra le faire en toute connaissance de cause.