Doit-on payer les futurs sinistrés avant une catastrophe climatique?
AFP|Mis à jour le 09 octobre 2024L’ONU a mené une douzaine d’actions pilotes, notamment en Éthiopie frappée par la sécheresse. (Photo: Eric Lafforgue Getty Images)
Paris — Loin de la bureaucratie de la finance internationale, une solution a priori toute simple fait son chemin pour protéger les populations vulnérables aux aléas climatiques: leur virer un peu d’argent via leur téléphone portable, très vite, voire avant que le désastre ne frappe.
Face à une crue, un ouragan ou un mégafeu, «plus vous recevez l’argent rapidement, mieux c’est», résume Ranil Dissanayake, chercheur au Centre for Global Development.
Mieux encore, il faudrait le verser avant la catastrophe: « les bénéficiaires peuvent alors préparer leur logement, stocker de la nourriture, ou rejoindre des secteurs abrités », explique-t-il à l’AFP.
«Imaginez la différence que cela peut faire pour des travailleurs manuels en Inde du Nord qui, s’ils reçoivent une aide en amont d’une canicule à 50°C, n’auront pas forcément à travailler» dans ces conditions.
Au moment critique
Ce type d’intervention « préventive », déployée depuis quelques années par les organisations humanitaires dans d’autres contextes, est préconisée par des experts comme l’économiste française Esther Duflo, mais encore rare pour des événements climatiques, qui s’annoncent de plus en plus intenses et fréquents.
Des versements directs par téléphone mobile, ou via une carte de retrait, ont toutefois déjà été testés.
L’ONU a mené une douzaine d’actions pilotes, en Éthiopie et en Somalie frappées par la sécheresse, ou au Bangladesh où en 2020 plus de 23 000 foyers ont pu recevoir 53$US une semaine avant le pic d’une gigantesque crue.
« Il y a un consensus pour dire que cela marche, et que fournir de l’argent liquide plus tôt a un bénéfice social accru, en apportant l’aide à un moment critique », souligne Ashley Pople, chercheuse au Centre d’étude des économies africaines de l’Université d’Oxford, qui a étudié le cas du Bangladesh.
Selon cette étude, les bénéficiaires ont pu faire des provisions, mais aussi mettre à l’abri leurs animaux, et donc leur moyen de subsistance. Pour les foyers n’ayant pu en profiter, le risque de rester une journée sans manger était accru de 52%.
Quand un désastre survient, «beaucoup de banques multilatérales de développement songent à la manière d’aider rapidement les gouvernements. Mais il n’y a pas grand-chose sur la façon d’amener rapidement les fonds aux personnes les plus affectées», observe Mme Pople.
100$US pour éviter le pire
Depuis 2020, le programme américain GiveDirectly est intervenu au Bangladesh, en République démocratique du Congo ou encore au Malawi, en virant, par moyens mobiles, de l’argent à des populations confrontées à des crises (conflit, déplacements…).
Alors que le Nigeria redoute cet automne encore des inondations, 20 000 foyers ont été préenregistrés, dont les plus exposés recevront 320$US au moins trois jours avant le pic de la crue.
Pour les identifier, l’ONG, en partenariat avec Google, s’appuie sur un mélange d’images satellitaires, cartographies des inondations par intelligence artificielle, données administratives, enquêtes de terrain.
Au Mozambique, plus de 7 500 familles ont reçu par son intermédiaire 225$US trois jours avant une crue en 2022. Au Bangladesh, 15 000 personnes ont reçu 100$US en 2024 avant une crue de la rivière Jamuna.
Pour autant, ce type d’actions n’est pas sans limites ni défis.
« Il faut des prévisions suffisamment précises, et fines, idéalement à l’échelle d’un village ou une communauté », explique Mme Pople, évoquant des travaux de Google en ce sens sur les crues.
Certaines intempéries, notamment les ouragans, sont aussi plus difficiles à prévoir, avec des directions changeantes.
«Nous sommes capables de prévoir certains désastres en certains endroits. Mais pour d’autres, il faut plus d’investissements, notamment dans des stations météorologiques», développe M. Dissanayake.
Il évoque aussi la nécessaire levée de «barrières politiques»: «nous devons reconnaître explicitement que cela fait partie des outils de réponse au changement climatique, et le financer de manière efficace», souligne le chercheur. Même si cela ne dispense pas de financer des «infrastructures, transports, digues… L’aide individuelle anticipée peut être une bonne part de la solution [mais] elle peut rarement tout faire».