Warren Buffett et Charlie Munger, durant l'assemble annuelle des actionnaires 2019 de Berkshire Hathaway. (Photo: Getty Images)
Un texte de Harwood Kelly, CFA, président de Morningstar Reseach. Il supervise les opérations mondiales de la firme dans les domaines de la recherche sur les gestionnaires et sur les actions. Il possède des actions de Berkshire Hathaway et de Morningstar.
Il m’est facile de dresser une liste des idées de Warren Buffett et de son partenaire Charlie Munger à Berkshire Hathaway qui ont influencé ma propre façon de penser et celle des inconditionnels de Warren Buffett ici à Morningstar.
La chose la plus difficile à faire, c’est d’en limiter la liste à seulement 12. La voici quand même:
1) Soyez sceptiques vis-à-vis d’instruments financiers hors du commun
Warren Buffet et Charlie Munger ont été de constants critiques des produits dérivés, des obligations catastrophes, des cryptomonnaies et d’autres types d’«innovations» financières. La manière dont ils dirigent Berkshire Hathaway reflète cette prudence. La société a un endettement très faible et dispose d’un gros coussin d’argent liquide et de placements, approche qui a influencé la façon dont Morningstar gère son propre bilan. Le scepticisme vis-à-vis de la créativité de Wall Street dans le développement de nouveaux produits a influencé nos analystes au fil des années face au dernier produit épatant des gestionnaires d’actifs ou des banques d’investissement.
Une de mes citations préférées de Warren Buffett est : «si vous jouez au poker depuis une heure et demie et ne savez toujours pas qui est la poire, eh bien la poire, c’est vous!» Malheureusement, l’industrie financière est pleine d’acteurs qui sont impatients de vous faire jouer avec leurs règles à eux, toujours moyennant des frais d’initiation importants. À ce jour, j’admets que je n’ai jamais acheté ou vendu une seule option, vendu une action à découvert, acheté un FNB à triple rendement inverse ou un fonds à 130/30, tripatouillé des billets structurés ou investi dans une rente variable. La simplicité est une bonne chose. Elle réduit certainement les coûts.
2) L’inflation est une autre raison de privilégier les bastilles économiques
2) L’inflation est une autre raison de privilégier les bastilles économiques
Jusqu’en 2022, il a été facile d’ignorer l’inflation, et ce pendant une quarantaine d’années. Mais quiconque a étudié les écrits de Warren Buffett sait que l’inflation a été un de ses sujets réguliers pendant les années 1970 et le début des années 1980. Ce qu’il soulignait alors, c’était la difficulté pour les sociétés, notamment les plus exposées aux pressions de coûts inflationnistes, de procurer des rendements convenables aux actionnaires pendant une période d’inflation élevée. Très peu de sociétés — celles qui ont une bastille économique forte — peuvent augmenter leurs prix pour contrebalancer l’érosion du pouvoir d’achat. Ce pouvoir sous-jacent de fixation des prix est une des raisons pour lesquelles nous aimons autant les sociétés à forte bastille économique. Nous sommes davantage en mesure de supporter ce à quoi l’environnement macroéconomique les soumet. Maintenant que l’inflation est de retour et plus agressive que jamais, c’est le bon moment pour relire les commentaires peu réjouissants de Warren Buffett sur l’inflation.
3) La volatilité n’est pas le risque
3) La volatilité n’est pas le risque
Mon patron de longue date à Morningstar était une admiratrice de Warren Buffett et Charlie Munger, et les premiers mots que j’ai entendus de sa bouche ont été : «Le bêta, quelle foutaise!» (J’ai alors su que Morningstar serait une boîte intéressante). Puisque des polices d’assurance massives représentent une partie importante des activités de Berkshire Hathaway, il n’est pas surprenant que le risque ait monopolisé en majeure partie l’attention de Warren Buffett et Charlie Munger. Ils ont une conception du risque très différente de celle des finances classiques, qui sont davantage centrées sur des mesures comme le bêta et l’écart-type. Les financiers classiques aiment bien utiliser la volatilité comme substitut du risque (principalement parce qu’elle est si facile à mesurer), mais cela a un effet pervers, qui consiste à assumer qu’un actif devient plus risqué lorsque son prix chute, ce qui est à l’opposé même de la façon de penser d’un acheteur rationnel confronté à une baisse de prix.
Le risque, dit Warren Buffett, est la probabilité de subir une perte de capital permanente. J’ai aussi apprécié le fait que Warren Buffet et Charlie Munger soulignent constamment les risques systémiques et existentiels : par exemple, le risque que les produits dérivés fassent s’écrouler comme un jeu de dominos une série d’institutions financières aux participations imbriquées les unes dans les autres, ou le risque d’une guerre nucléaire ou d’une infection biologique (naturelle ou autre). En tant qu’investisseurs et citoyens, nous devons reconnaître ces risques et faire notre possible pour les minimiser.
4) L’intégrité rendue simple
4) L’intégrité rendue simple
Warren Buffett a fait aux employés de Salomon Brothers une déclaration devenue célèbre quand il a pris les rênes de la société en 1991 : «Perdez de l’argent pour la firme, et je serai compréhensif. Perdez une miette de sa réputation, et je serai impitoyable.» Il a aussi suggéré le guide de comportement suivant : si vous n’avez pas de problème à voir vos actions décrites en détail à la une des journaux, là où votre famille et vos amis en prendront connaissance, allez-y donc sans crainte. À Morningstar, nous avons transformé cela en : «auriez-vous un problème à ce que cela apparaisse à la page C1 du Wall Street Journal».
5) Les conseils d’administration des compagnies de fonds sont faits de toutous
5) Les conseils d’administration des compagnies de fonds sont faits de toutous
Ce fut la conclusion de Warren Buffet dans sa classique lettre aux actionnaires de 2002, et elle résonne certainement avec ce que Morningstar a vu au fil des années. Malgré leur rôle explicite de gardiens des fonds, les administrateurs de ces fonds, même s’ils sont indépendants, s’opposent rarement aux gestionnaires des sociétés de fonds, et ne votent pratiquement jamais pour licencier le gestionnaire d’un fonds. Warren Buffett a critiqué les conseils d’administration des sociétés pour la même raison : leur culture de simple chambre d’enregistrement de ce que les gestionnaires ou les consultants en rémunération leur mettent devant les yeux. (il a même été critique de sa propre performance de membre du conseil.) La morale de l’histoire, c’est qu’il faut chercher des administrateurs qui ont l’expérience des affaires et un intérêt dans l’opération (c’est-à-dire qu’ils doivent avoir une participation importante dans la société qu’ils supervisent), mais même ainsi, il n’y a pas beaucoup à en attendre. Ce qui est le plus important, c’est que l’équipe de gestion et les autres employés soient intègres (voir le point précédent). Espérer qu’un conseil d’administration, quel que soit son degré d’indépendance sur le papier, puisse contrôler efficacement une équipe de gestion, c’est rêver en couleurs.
6) Dans les placements, ne rien faire, c’est acceptable
6) Dans les placements, ne rien faire, c’est acceptable
Warren Buffett a comparé l’acte d’investir à un frappeur de baseball qui attend le coup idéal, bien droit et bien au milieu. Mais à la différence du baseball, dans les placements, on n’est pas obligé de sortir après trois infractions. On peut laisser passer autant de balles que l’on veut. Ce concept de patience a influencé notre système de cotation des actions à Morningstar, dans la mesure où nous n’avons pas un nombre d’actions minimum auxquelles nous devons attribuer une cote de 5 étoiles; parfois, il y a très peu d’actions que nous recommandons. Dans mon portefeuille personnel, je n’ai jamais ressenti la pression d’essayer de frapper si cela me dérange. Laisser l’argent s’empiler est parfaitement acceptable. Il y aura probablement une correction du marché à un moment ou à un autre pour ramener les prix à un niveau attrayant.
7) Soyez toujours en train d’apprendre
7) Soyez toujours en train d’apprendre
Warren Buffett aussi bien que Charlie Munger sont toujours en train de lire, et Charlie Munger en particulier souligne l’importance de la science — notamment une compréhension de l’évolution — comme étant essentielle pour comprendre ce qui motive les gens. Beaucoup de mes livres préférés ont été des recommandations de Charlie Munger (par exemple, Influence: The Psychology of Persuasion, de Robert Cialdini, The Selfish Gene de Richard Dawkins, et Guns, Germs, and Steel de Jared Diamond). Un tel éclectisme a toujours influencé la politique d’embauche à Morningstar. Pour nous, il est bien mieux d’engager une personne qui fait preuve de curiosité intellectuelle qu’une autre qui se focalise étroitement sur les finances. Charlie Munger a dit : «vous seriez stupéfaits de voir tout ce que lit Warren, et tout ce que je lis moi-même. Mes enfants se moquent de moi. Ils me prennent pour un livre avec deux jambes qui dépassent».
8) Les marchés sont bons, mais pas parfaits
8) Les marchés sont bons, mais pas parfaits
Ayant étudié l’économie à l’université de Chicago, j’ai débuté ma carrière professionnelle en croyant fermement en la sagesse des marchés. Heureusement (du moins après coup), mon premier emploi consistait dans l’analyse des actions japonaises juste au moment où la bulle du prix des actifs japonais (sans doute la bulle la plus inouïe de l’histoire) était en train d’éclater. J’ai donc appris très tôt que parfois les marchés débloquaient, ou plus précisément les gens qui constituent les marchés débloquaient et en arrivaient à croire que les poules avaient des dents.
Il est amusant d’y songer maintenant, mais les gens sérieux à la fin des années 1980 et au début des années 1990 concoctaient des histoires sur les raisons pour lesquelles des ratios cours/bénéfices de 80 ou 90, qui étaient communs au Japon à cette époque, étaient raisonnables, ou recommandaient d’affecter 30% ou 40% d’un portefeuille aux actions japonaises parce qu’elles offraient la combinaison optimale de risque et de rendement. À lire Warren Buffett et les livres que recommandent Warren Buffett et Charlie Munger, on en vient à externaliser le fait que, bien que les marchés soient habituellement très bons dans le travail d’affectation de capitaux, ils ne sont fiables que dans la mesure où les êtres humains (imparfait) qui constituent le marché le sont aussi.
9) Les fonds indiciels sont une invention merveilleuse
9) Les fonds indiciels sont une invention merveilleuse
Cela peut paraître contredire le point précédent sur les marchés imparfaits, mais en fait ce n’est pas le cas. Les marchés peuvent parfois débloquer, mais il est quand même super-difficile de les surclasser. Quand j’ai débuté à Morningstar en 1991, on aurait dit que les seuls adeptes des fonds indiciels étaient Jack Bogle, quelques professeurs d’université et une poignée de conseillers financiers à tournure d’esprit classique. Les fonds indiciels constituaient une partie infime de tous les actifs des fonds. Les choses ont bien changé!
On pourrait croire que Warren Buffet, quintessence de l’investissement actif, était un des plus gros détracteurs des fonds indiciels. Je me rappelle de nombreuses conférences de Morningstar pendant lesquelles les gestionnaires actifs méprisaient les fonds indiciels comme étant anti-américains (la plupart de ces gestionnaires ont disparu depuis longtemps). Warren Buffett, au contraire, a constamment fait l’éloge des fonds indiciels comme étant la meilleure façon pour la plupart des investisseurs d’accéder au marché boursier. Il a constamment couvert Jack Bogle de louanges pour avoir lancé la révolution des indices. Warren Buffett a montré qu’intellectuellement, on peut adhérer à la fois à l’investissement actif et à l’investissement passif. Ce n’est pas soit l’un soit l’autre.
10) Aucun bon investisseur est soit axé sur la valeur, soit sur la croissance
10) Aucun bon investisseur est soit axé sur la valeur, soit sur la croissance
Charlie Munger est celui qui, de notoriété publique, a incité Warren Buffett à dépasser le style «mégot de cigare» d’investissement axé sur la valeur de Ben Graham (qui consiste à chercher des actions à qui il reste encore une bonne bouffée à tirer) et à épouser les sociétés de qualité supérieure, même si cela veut sire payer plus pour elles. L’information essentielle est que la valeur d’une société, quelle qu’elle soit est fonction de ses perspectives de croissance et du degré de certitude que l’on entretient sur la matérialisation de sa croissance. On ne devrait pas analyser une société «de valeur» de manière différente qu’une société «de croissance». Bien que nous ayons popularité la distinction entre croissance et valeur avec la Matrice de style Morningstar (qui est un moyen rapide et sûr de voir quelles sont les sociétés que privilégie un gestionnaire de fonds donné) du point de vue d’un investisseur dans les actions, considérer que la valeur et la croissance sont des styles d’investissement différents est une erreur.
11) Ce que cela veut dire de gagner à la loterie de la naissance
11) Ce que cela veut dire de gagner à la loterie de la naissance
Les deux derniers enseignements s’appliquent à la vie en général, et pas seulement à la petite place que prennent nos investissements. Warren Buffett a souligné à quel point il avait de la chance d’être né aux États-Unis au 20e siècle. S’il était né ailleurs et à une autre époque, les talents relativement spécialisés dont il fait preuve pour évaluer les sociétés auraient été sans valeur. Il a appelé ça la loterie de la naissance. C’est un bon moyen de nous rappeler le rôle qu’a joué la chance dans notre vie. Si vous êtes en train de lire cet article, sans doute avez-vous eu beaucoup de chance. Je sais que moi, j’en ai eu.
12) La clé du bonheur
12) La clé du bonheur
La clé d’un mariage heureux n’est pas la beauté du conjoint ou de la conjointe, l’intelligence des enfants ou le plaisir de la conversation. Non, disent Warren Buffett et Charlie Munger, la clé d’un mariage heureux, c’est de trouver quelqu’un qui a des attentes modestes.
Il en va de même pour la lecture d’articles comme celui-ci; j’espère que lorsque vous avez cliqué sur lui, vos attentes étaient suffisamment modestes. Et il en va de même aussi pour la réussite dans les placements. J’ai coutume de réduire de 30% la valeur de mon portefeuille, quelle qu’elle soit, simplement parce qu’on n’est jamais à l’abri de rien. Pour généraliser ce brin de sagesse, je suggérerais que des attentes modestes sont à y réfléchir le meilleur moyen de s’assurer que l’on ne se retrouve pas avec des regrets sur son lit de mort. Et aussi le meilleur moyen d’être déçu après la mort!