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Dye & Durham: gare au syndrome Valeant

Yannick Clérouin et Pierre-Olivier Langevin|Édition de la mi‑Décembre 2021

Dye & Durham: gare au syndrome Valeant

(Photo: 123RF)

L’ART D’INVESTIR. Privilégier les entreprises qui ont le pouvoir d’imposer leurs prix et dont la clientèle est captive, voilà un des meilleurs moyens de prémunir les portefeuilles que nous gérons contre les effets néfastes d’une inflation accélérée.

Nous prenons toutefois nos distances des sociétés qui profitent de leur position dominante pour hausser le prix de leurs produits ou services de façon exagérée, et ce, même si elles affichent une forte croissance.

L’histoire récente nous a montré avec éloquence que les modèles d’affaires axés sur une stratégie d’augmentation des prix abusive mènent parfois à la catastrophe. Cette pratique a en effet contribué à la déchéance éclair de deux pharmaceutiques qui avaient pourtant le vent dans les voiles il y a six ans:Valeant Pharmaceuticals, aujourd’hui Bausch Health (BHC, 30,03 $), et Concordia Healthcare, aujourd’hui Advanz Pharma, filiale de l’entreprise d’investissement Nordic Capital. Concordia achetait par exemple les droits de produits dont les revenus s’érodaient en raison de la concurrence de médicaments génériques et les vendait jusqu’à 10 fois plus cher que par le passé.

Rien ne semblait pouvoir arrêter la croissance des revenus et l’ascension boursière de ces deux entreprises, jusqu’au jour où les autorités de santé et les médias ont lancé des enquêtes sur leurs tactiques de hausses de prix.

La leçon servie par ces deux ex-coqueluches de la Bourse de Toronto ne semble pas avoir convaincu tous les dirigeants que la surenchère en matière de tarification constitue une stratégie à deux tranchants.

Dye & Durham (DND, 38,17 $), fournisseur torontois de solutions logicielles aux institutions financières, aux cabinets d’avocats et aux agences gouvernementales, semble en effet avoir emprunté une page de ce plan de match.

La société entrée en Bourse en juillet 2020 a récemment causé une onde de choc auprès de 1000 clients de Colombie-Britannique qui utilisent ses logiciels pour gérer des transactions immobilières comme l’achat d’une maison, le refinancement d’hypothèque et les transferts intergénérationnels de propriétés. Les solutions de DND permettent aux professionnels d’automatiser leurs processus de travail quotidien. Ceux-ci enregistrent une transaction en 10 minutes, plutôt qu’en une heure lorsqu’elle est traitée manuellement.

Or, Dye & Durham a du jour au lendemain exigé 199 $par dossier traité, alors que ses clients déboursaient entre 30 $et 75$depuis quatre ans. Les hausses salées que devront assumer les notaires et autres professionnels de l’immobilier qui utilisent les produits de la société peuvent ainsi atteindre 560% ! Loin de nous l’idée de prédire que DND connaîtra un sort similaire à celui de Concordia Healthcare. Comme sa clientèle est composée de banques, de cabinets d’avocats ou de notaires, ses pratiques risquent de passer sous le radar des autorités de réglementation. Ultimement, les acheteurs de maisons absorberont les coûts supplémentaires, eux qui paient déjà plusieurs centaines de milliers de dollars lors de l’acquisition d’une propriété. Quelques centaines de dollars de plus pourraient passer inaperçus.

Les sociétés qui utilisent les produits de DND doivent les intégrer à leur propre système et ainsi assurer une compatibilité. Cela procure à l’entreprise un avantage concurrentiel important:il se révèle exigeant en temps et en énergie pour les utilisateurs de migrer vers une autre solution.

La direction de DND a vu là une occasion de réaliser des acquisitions dans des créneaux bien pointus et de gonfler les prix afin de mousser la rentabilité des sociétés qu’elle avale. Grâce à ces acquisitions, DND s’est taillé une position dominante au Canada. Sa taille croissante lui a procuré des gains d’efficacité sans augmentation significative de coûts d’exploitation.

Comme nous l’avions été envers Concordia et Valeant à l’époque, nous sommes sur nos gardes à l’égard d’entreprises telle DND qui s’appuient sur une stratégie «agressive»d’augmentation de prix pour accroître leur rentabilité. D’autant que ses dirigeants semblent s’empresser de mettre en oeuvre cette pratique et qu’ils ont procédé à plusieurs émissions d’actions depuis le premier appel public à l’épargne.

 

Costco, l’élève modèle

Les entreprises peuvent toujours se défendre en affirmant qu’elles investissent dans l’amélioration de leurs logiciels, comme l’a fait la direction de DND en réaction à la grogne suscitée par sa nouvelle tarification touchant le secteur immobilier. Or, comme le soulignait récemment un utilisateur dans un quotidien torontois, les bonifications apportées semblent difficilement justifier un bond des prix de l’ordre de cinq à sept fois.

Pour créer de la valeur de façon durable, les entreprises doivent harmoniser leurs augmentations de tarifs avec la valeur qu’elle crée pour les clients. Faute de quoi, elles risquent de voir leurs avantages concurrentiels s’éroder graduellement.

L’approche de Costco (COST, 539$US) en la matière est exemplaire. Avant d’imposer une hausse du tarif à ses membres, la chaîne, qui compte 815 entrepôts, se demande en premier lieu si suffisamment de valeur a été créée au cours des années précédentes. Elle a par exemple construit, il y a deux ans, une ferme d’élevage de volailles pour maintenir ses poulets rôtis à 4,99 $US dans ses magasins américains, comme lors des 12 dernières années.

Voilà comment le détaillant réussit à maintenir un taux de renouvellement de sa carte de membre supérieur à 91 % et à préserver ses atouts concurrentiels. Cela, dans un marché du détail fort concurrentiel et en pleine mutation. Dans un contexte d’inflation accélérée, les clients de Costco ont la perception d’en avoir plus pour leur argent en profitant des économies que l’immense pouvoir d’achat de la chaîne procure, même s’ils doivent payer leur abonnement un peu plus cher tous les quatre à cinq ans.

Comme une gouvernance exemplaire réside parmi les piliers de notre stratégie d’investissement, nous privilégions les entreprises telle Costco, dont le modèle repose sur la valeur créée pour les différentes parties prenantes, au détriment de celles qui abusent de leur position dominante pour doper leur croissance.

 

EXPERTS INVITÉS

Pierre-Olivier Langevin est gestionnaire de portefeuille et associé chez Medici.

Yannick Clérouin est gestionnaire de portefeuille adjoint chez Medici.