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Épargner ou rembourser son prêt étudiant: la donne a changé

Catherine Charron|Édition de la mi‑octobre 2023

Épargner ou rembourser son prêt étudiant: la donne a changé

Les diplômés bénéficient d’une période de grâce de six mois suivant la fin de leurs études avant de devoir commencer à rembourser leur prêt. (Photo: 123RF)

Dur retour à la réalité pour les personnes qui doivent rembourser une dette étudiante: après une pause pandémique, les intérêts dépassent désormais 7% du montant accordé, ce qui cause toute une commotion chez nombre de diplômés.

Ils ne sont toutefois pas les seuls, rappelle Caroline Marion, planificatrice financière, notaire et fiscaliste à Desjardins Gestion de patrimoine. Tous les emprunteurs doivent composer avec des taux d’intérêt plus élevés depuis que le taux directeur a pris près de quatre points de pourcentage en moins d’un an.

«Toutes ces personnes se posent des questions, puisque [cette augmentation] crée un méchant trou dans leur budget, alors que ça fait au-dessus de vingt ans qu’on surfe sur des baisses de taux d’intérêt, ce qui n’était pas économiquement viable», dit-elle.

N’empêche que pour bien des diplômés, la mauvaise surprise d’avril 2023 laisse un arrière-goût amer, d’après André Lacasse, planificateur financier indépendant. «On est loin de ce qu’on voyait avant la pandémie. Ça peut faire une grosse différence pour un individu qui a accumulé un passif de plus de 20 000$.»

Ainsi, les chances sont grandes pour que les emprunteurs doivent réviser leurs postes de dépenses. «Il y a six mois, vous m’auriez demandé s’il faut rembourser plus vite sa dette étudiante ou épargner, je vous aurais dit de commencer par la deuxième option. Aujourd’hui, ça dépend de la situation de chaque individu», estime Léa Saadé, vice-présidente régionale à la gestion de patrimoine à la Financière des professionnels.

 

Nombreux avantages

Le taux d’intérêt des prêts étudiants, que Québec fixe en ajoutant 0,50% au taux préférentiel, est plus avantageux que nombre de prêts personnels, comme ceux des marges ou des cartes de crédit, d’après les experts.

De plus, les diplômés bénéficient d’une période de grâce de six mois suivant la fin de leurs études avant de devoir commencer à acquitter leur dû. Cette période leur permet théoriquement de trouver un emploi bien rémunéré dans leur domaine.

«Par la suite, si on n’y parvient pas, le gouvernement et les institutions financières peuvent faire preuve de flexibilité et repousser certains versements», précise Léa Saadé.

Les emprunteurs ont même droit à un crédit d’impôt non remboursable de 15% au fédéral et de 20% au provincial sur le montant d’intérêt payé. «Selon le taux d’imposition, ça peut réduire de beaucoup les intérêts qu’on paie, finalement», ajoute la vice-présidente.

Tous les prêts étudiants n’y sont cependant pas admissibles, souligne le site internet de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Le crédit est prospectif. Ainsi, une personne pourrait attendre de payer davantage d’impôts avant de s’en prévaloir. Le fédéral limite toutefois cette mesure à l’intérêt des cinq dernières années.

«Je peux donc me demander si cette année, j’ai un revenu suffisant pour en déduire les intérêts», indique Caroline Marion.

Léa Saabé et Caroline Marion martèlent toutes deux l’importance de se faire accompagner, puisque chaque situation comporte son lot de spécificités.

«Quand on parle de déduction fiscale, il faut comprendre que ça peut avoir un effet sur un paquet d’autres mesures qui peuvent être bonifiées par le fait de réduire son revenu imposable, pas que les impôts», souligne la fiscaliste de Desjardins.

 

Budgéter

Tous les experts consultés estiment que pour conjuguer remboursement de la dette et épargne, l’emprunteur doit faire son budget.

«La première chose à faire, c’est de comprendre son train de vie», affirme André Lacasse.

Les montants des dettes, les fonds déjà épargnés et la situation personnelle de chaque individu influeront sur la stratégie à adopter, d’où l’importance d’être guidé.

Pour entamer les démarches de son côté, le planificateur financier recommande d’utiliser l’outil gratuit accessible sur le site web de l’Autorité des marchés financiers.

En fonction de ses objectifs ou de ses priorités, le diplômé pourra adapter son budget ou revoir ses habitudes de consommation afin d’acquitter plus rapidement certains prêts ou économiser davantage (ou pas), en ayant un portrait clair de son bilan.

En général, les emprunteurs devraient s’empresser de rembourser les créances dont le taux d’intérêt est le plus important, d’après Léa Saadé et André Lacasse. «Mon ennemi numéro 1, ce sont les dettes sur les cartes de crédit», dit Léa Saadé. Cela ne cautionne pas pour autant le fait de manquer un paiement pour un autre prêt.

«Si je ne respecte pas les règles, ça peut entacher mon dossier de crédit et rendre difficile l’achat éventuel d’une maison», rappelle-t-elle.

Léa Saadé met d’ailleurs en garde les personnes qui espéreraient profiter d’un meilleur taux ou le geler en refinançant leur prêt étudiant: elles ne bénéficieront plus du crédit d’impôt non remboursable octroyé par les deux ordres de gouvernement. «Il faut en tenir compte dans son calcul.»

Outre la situation financière et l’horizon de placement, la tolérance au risque et au stress de même que le style de vie de chaque diplômé fera pencher la balance.

De plus, si la banque centrale révise sa politique monétaire, l’exercice sera à recommencer, prévient André Lacasse.

 

Épargner ou pas?

Afin de déterminer s’il est plus judicieux de rembourser ou d’épargner, toutes choses étant égales par ailleurs, un individu devra comparer son taux d’emprunt et le taux de rendement espéré de son placement, explique Caroline Marion.

«Comme les intérêts sur le prêt étudiant sont déductibles, on peut les comparer avec un revenu brut d’intérêt sur les placements. S’il était non déductible, il faudrait que je le compare avec un revenu net d’impôts sur les placements. […] Il faudrait donc que je fasse plus d’intérêt sur mes placements pour qu’après impôts, j’en aie assez pour rembourser mon prêt.»

L’Institut québécois de planification financière a développé un outil qui permet aux citoyens de déterminer, selon l’état de leur propre situation financière, s’il est plus avisé de gommer une partie de leur dette étudiante plus rapidement ou d’investir leurs liquidités.

L’outil peut guider les diplômés dans leur réflexion, croit-elle.

«Rembourser un emprunt, ça crée tout autant de la richesse que d’investir. Si je diminue la portion dette de mon bilan, mon actif a plus de valeurs. Rembourser un prêt étudiant, c’est une forme d’épargne, illustre-t-elle. À taux égal, sur des placements, c’est un rendement espéré, alors que sur une dette, c’est un rendement assuré. J’aime mieux un remboursement à taux certain qu’une épargne à taux incertain.»

Caroline Marion réitère que la situation financière de chaque individu peut toutefois fausser ce conseil, d’où l’importance de se faire accompagner.

Lorsque le diplômé se sera finalement acquitté de sa dette, elle recommande de garder cette habitude d’épargne forcée afin de continuer de mettre de côté des fonds, plutôt que de dépenser toutes ses liquidités maintenant disponibles. «Ça, ce serait malheureux.»

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