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ESG: il faut faire plus qu’exclure le pétrole, selon un expert

La Presse Canadienne|Publié le 04 mai 2022

ESG: il faut faire plus qu’exclure le pétrole, selon un expert

Trop de gestionnaires d’actifs se concentrent uniquement sur l’intensité carbone de leur portefeuille, sans penser à la manière dont ils pourraient soutenir les investissements dans la transition énergétique. (Photo: La Presse Canadienne)

Les investisseurs institutionnels doivent voir plus loin que la simple exclusion du pétrole de leur portefeuille s’ils veulent contribuer réellement à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour obtenir des résultats, ceux-ci devront investir plus activement dans la transition énergétique, plaide Thierry Roncalli, chef de la recherche quantitative chez Amundi, lors d’un passage à Montréal.

Éviter les secteurs les plus polluants, comme les pétrolières ou les exploitants d’oléoduc, ne réglera pas la crise climatique, prévient l’expert basé à Paris lors d’une présentation, mardi, devant une cinquantaine de professionnels montréalais de l’investissement auquel a assisté La Presse Canadienne. «En fait, vous êtes en train de donner la patate chaude à un autre. La patate chaude, elle, est toujours dans l’économie.» 

Trop de gestionnaires d’actifs se concentrent uniquement sur l’intensité carbone de leur portefeuille, sans penser à la manière dont ils pourraient soutenir les investissements dans la transition énergétique en accompagnant les entreprises qui ont un plan crédible de réduction de leurs émissions carbone, estime M. Roncalli. 

«Ce qui est dommage, c’est qu’on oublie cette partie, la transition, déplore-t-il en entrevue après la présentation. Il faut que les investisseurs institutionnels se rendent compte que cette partie-là est très importante.»

En demeurant actionnaire, un investisseur institutionnel peut poursuivre «le dialogue» avec les entreprises pour qu’elles se transforment, ajoute-t-il. «En Europe, il y a beaucoup de communication d’investisseurs institutionnels qui disent qu’ils n’ont plus d’exposition à BP et à Total. D’accord, mais maintenant, vous n’avez plus aucun contrôle sur eux.»

Ce débat dans les grandes sphères de l’investissement entre les partisans de l’accompagnement et ceux qui préconisent l’exclusion a une résonance toute particulière au Canada, où le secteur pétrolier représente près de 10% de l’économie canadienne. 

La Banque Nationale, par exemple, a décidé d’accompagner ses clients dans le secteur pétrolier et gazier pour les aider à réduire leur empreinte carbone. L’institution financière montréalaise veut que ses efforts permettent de réduire de 31% l’intensité carbone de ses prêts accordés au secteur pétrolier et gazier d’ici 2030 par rapport à l’année de référence 2019.

À la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), on a plutôt décidé de vendre les placements dans le secteur pétrolier d’ici la fin de l’année 2022. Le fonds institutionnel a toutefois décidé d’accompagner d’autres secteurs industriels émetteurs de carbone, comme les mines, le transport et l’agriculture. Une enveloppe de 10 milliards $ est prévue à cette fin. 

 

Besoin de capitaux

Les investissements nécessaires pour atteindre la carboneutralité en 2050 sont colossaux, souligne le conférencier. Au Canada seulement, il faudrait réaliser des dépenses d’investissement de près de 128 milliards $ annuellement pour réduire les émissions carbones de 30% d’ici 2030, selon un rapport de la Smith School of Business de l’Université Queen’s en Ontario. Cela représente près de 6,4% du PIB canadien. 

À l’échelle mondiale, il faudrait investir environ 9200 milliards $ par année entre 2021 et 2025 pour atteindre la carboneutralité, selon McKinsey. Cela représente 4,1% du PIB ou l’équivalent de la moitié des bénéfices des entreprises à travers le monde. 

Il ne faut pas voir ces chiffres uniquement comme le coût de la lutte au réchauffement climatique, mais comme une occasion d’investissement, juge M. Roncalli. «L’investissement, c’est la croissance demain. Si l’on investit énormément dans les solutions vertes, peut-être qu’on va avoir une planète verte.»

 

Une tâche complexe

Au cours d’une présentation truffée de calculs et de tableaux, M. Roncalli a démontré la complexité des décisions que doivent prendre les gestionnaires d’actifs qui veulent investir dans la décarbonisation de l’économie.

Un nombre restreint d’entreprises cotées en Bourse génèrent des revenus «verts». Aux États-Unis, par exemple, seuls 6,17% des revenus générés par les sociétés de l’indice MSCI États-Unis sont «verts». De tous ces revenus, 30% sont générés par le fabricant de voitures électriques Tesla. Pour cette raison, il devient impossible de réduire l’empreinte carbone au-delà d’un certain seuil sans diminuer considérablement la diversification d’un portefeuille.

L’investisseur doit aussi trouver des moyens de prendre en compte divers facteurs contradictoires. Par exemple, les sociétés à forte intensité carbone peuvent également avoir un fort potentiel de production de revenus «verts» dans le futur.

M. Roncalli donne en exemple deux fabricants d’automobiles: Tesla et Toyota. Tesla génère l’entièreté de ses revenus par la vente de voitures électriques, mais Toyota est en voie de réduire l’intensité carbone de ses activités de manière importante. «En coupant les entreprises avec une plus forte intensité carbone, est-ce que je ne suis pas en train d’ignorer des entreprises qui cherchent des solutions vertes pour le futur?»