Mari Brossard, directrice principale de l’investissement durable à Banque Nationale Investissements, estime que le principal facteur qui devrait décider si un investisseur retire ses billes complètement ou tente de faire changer les choses de l’intérieur est le «dialogue effectif». (Photo: courtoisie)
Devant l’urgence climatique, plusieurs investisseurs se demandent s’ils devraient abandonner tous leurs placements «polluants». Les experts interrogés par « Les Affaires » estiment toutefois qu’autant le désinvestissement que l’engagement peuvent rapporter.
La Fondation familiale Trottier possède une politique de désinvestissement depuis 2016. Elle a abandonné le pétrole, le charbon et le gaz. La direction dit aussi s’engager auprès des actionnaires des entreprises dans lesquelles elle investit pour améliorer le volet environnemental des choses.
«Notre politique a réduit notre empreinte carbone de 60 % à 65 %, souligne le directeur général de la Fondation, Éric St-Pierre. Notre approche, c’est que nous pouvons tout de même discuter avec les entreprises, surtout qu’il y a énormément de travail à faire même pour celles qui ne sont pas des pétrolières.»
Dialogue effectif
Mari Brossard, directrice principale de l’investissement durable à Banque Nationale Investissements, ajoute que les deux stratégies peuvent cohabiter, et elle estime que le principal facteur qui devrait décider si un investisseur retire ses billes complètement ou tente de faire changer les choses de l’intérieur est le «dialogue effectif».
«Il y a différents moyens d’atteindre ses objectifs, croit-elle. Si on peut avoir un dialogue effectif et atteindre le changement souhaité, la stratégie à adopter est l’engagement.»
Elle cite en exemple le tabac, où même en dialoguant pendant plusieurs années, la conséquence néfaste risque de demeurer à cause du produit de l’entreprise. Le désinvestissement serait donc plus approprié.
Pour les entreprises qui adoptent des cibles de réduction carbone ou prennent l’engagement d’être carboneutres d’ici 2050, il y a une valeur à rester à la table de discussion et de tenter d’obtenir des actions concrètes.
Sylvain De Champlain, président de De Champlain Groupe financier, ajoute que le conseil d’administration d’une entreprise aura une incidence sur la possibilité de changements futurs.
«Le poids de vos investissements dans l’actionnariat aussi, plaide-t-il. Si vous possédez 4 % de l’entreprise, vous êtes beaucoup plus lourd à l’assemblée annuelle des actionnaires et c’est possible d’être écouté.»
S’il y a sept ou huit ans, les entreprises restaient de glace lorsqu’un actionnaire menaçait de quitter, elles prennent aujourd’hui ces menaces très au sérieux, note Sylvain De Champlain.
Investissements privés
Charles Séguin, professeur au Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’UQAM, n’est toutefois pas convaincu que le désinvestissement fonctionne réellement.
«C’est probablement plus coûteux pour les pétrolières de laisser partir une partie de leurs investisseurs, car ceux qui prendront leur place seront en position d’exiger des rendements plus élevés, explique-t-il. Mais ça n’assèche pas complètement les sources de capitaux.»
Ces entreprises se tourneront souvent vers du financement privé qui, s’il reste disponible, ne possède pas la même accessibilité que celui que peuvent fournir les marchés boursiers.
Le financement sera plus cher, mais les projets moins écoresponsables se réaliseront tout de même avec l’apport d’investisseurs moins sensibilisés au problème environnemental, soutient Charles Séguin.
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