Geneviève Blouin: l’audace de la négociante devenue présidente
Simon Lord|Édition de la mi‑juin 2021Geneviève Blouin (Photo: courtoisie)
PROFIL D’INVESTISSEUR. Geneviève Blouin a appris son métier sur le tas, sur le parquet de la Bourse, dans un environnement masculin qui tenait beaucoup du « vestiaire de hockey ». Rien pour l’arrêter, toutefois, tout au contraire : la firme de gestion de portefeuille qu’elle a lancée en 2010, et qui se spécialise dans l’investissement alternatif, compte aujourd’hui 250 clients. Portrait d’une financière fonceuse.
La finance n’était pas un domaine complètement inconnu pour Geneviève Blouin lorsqu’elle était une enfant. Son père a notamment été un négociateur d’obligations avant de devenir courtier en valeurs mobilières. Au moment où elle a entamé ses études universitaires, ce milieu n’éveillait toutefois pas de vif intérêt chez elle. « Quand je suis partie à l’université, j’ai fait ma demande en médecine, en kinésiologie et en administration, raconte celle qui a aujourd’hui 47 ans. J’ai finalement choisi le bac en administration, un peu par défaut, parce que mes colocs s’en allaient là-dedans. »
En sortant de l’université, à la suggestion de son père, elle décide de postuler à un emploi à la Bourse de Montréal. Elle obtient le poste, son premier, et devient opératrice. Voyant les hommes négocier sur le plancher — il n’y avait pas de femmes —, elle réalise vite que c’est ce qu’elle désire faire. « J’ai donc commencé à « trader » à mon compte, dit-elle. J’ai appris sur le tas. À 23 ans, c’est en plein ce que tu veux faire parce que c’est intense et plein d’action. »
La piqûre du parquet
Qui dit action, dit également risque. Geneviève Blouin l’a vite compris, ce qui a aiguisé ses réflexes. Avec du recul, elle considère même que cette expérience est celle qui lui a le plus appris sur la gestion de risque. Pas surprenant : l’argent qu’elle investissait, à l’époque, provenait entièrement des poches de ses amis — des sommes empruntées — et d’une bourse d’entrepreneuriat. « Je n’avais ni argent ni salaire, et je devais rembourser les sommes empruntées avec de l’intérêt en plus, dit-elle. Alors je ne pouvais pas en perdre. Disons que même si je négociais des produits volatils, j’étais très active sur la préservation du capital. »
Unique femme au départ, la financière juge toutefois que le caractère masculin du milieu de travail ne l’a jamais freinée dans ses ambitions. Oui, l’ambiance relevait beaucoup du vestiaire de hockey, confie-t-elle en riant. « Ce n’était pas toujours de haut niveau, mais dans l’ensemble, c’était drôle plus qu’autre chose. »
« Je travaillais comme une forcenée : première entrée, dernière sortie. Mais quand j’ai pris mon congé de maternité, ça m’a donné l’occasion de réfléchir. Qu’est-ce que je veux vendre au client ? Comment est-ce que je veux interagir avec lui ? J’avais besoin de croire en ce que je faisais. Alors j’ai fondé ma propre firme. »
De fil en aiguille, elle accumule les expériences professionnelles. Elle décroche d’abord son titre de CFA, puis sort du parquet après y avoir passé trois ans pour aller travailler dans de grandes institutions, comme la Caisse de dépôt et placement, TAL et une banque privée suisse.
Sa carrière est alors bien lancée. Roulant confortablement dans la voie rapide professionnelle, elle cherche et obtient les promotions les unes après les autres. « Je voulais monter les échelons », se souvient-elle. Pourtant, malgré les succès, quelque chose la chicote : après avoir fait le tour du « buy-side » [acheteurs] et du « sell-side » [vendeurs], elle constate que les produits financiers traditionnels ne conviennent pas exactement aux besoins des clients. « J’avais l’impression que les institutions financières créaient des produits centrés sur leurs propres besoins plutôt que sur ceux des clients, dit Geneviève Blouin. Alors j’ai décidé de lancer ma firme. »
Pourquoi l’alternatif
C’est en 2010 que Geneviève Blouin fonde Altervest, dont elle est aujourd’hui la présidente. Son constat, à l’époque, était que les investisseurs individuels avaient « presque zéro accès » aux produits alternatifs. Cette lacune était importante parce que ces produits peuvent être très utiles pour gérer le risque dans un portefeuille.
La mission d’Altervest, depuis lors, est donc simple : permettre aux plus petits investisseurs d’intégrer des produits alternatifs dans les portefeuilles traditionnels, un peu comme le font les grands fonds de pension. « On cherche à améliorer le rendement ajusté pour le risque, explique Geneviève Blouin. L’idée, finalement, est d’améliorer la diversification, et donc, ultimement, d’avoir des portefeuilles aussi performants, mais plus stables. »
Une firme, quatre stratégies
La firme Altervest, qui emploie cinq personnes et sert principalement les clients à valeur nette élevée, a développé quatre stratégies. La première, nommée Alpha pur, est basée sur une gestion tactique de la volatilité. Elle peut avoir recours, entre autres, à des contrats à terme sur la volatilité ou encore à d’autres types de contrats à terme, à des options cotées en Bourse et à des fonds négociés en Bourse. « Les produits dérivés, c’est ma spécialité depuis mes débuts, et je crois fermement en leur intégration. Quand c’est fait de manière consciencieuse, ils permettent de mieux gérer le risque », dit Geneviève Blouin.
La seconde stratégie, Haute valeur et qualité, est une stratégie d’actions mondiales incluant des options dans certains cas. La troisième, Opportunités nord-américaines, vise à réaliser des investissements de façon opportuniste et conserve un niveau d’encaisses élevé — 25 % — lui permettant de saisir les occasions lorsqu’elles apparaissent. « On bat le marché », illustre Geneviève Blouin. En 2020, par exemple, cette stratégie a réalisé un rendement de 18,7 % contre 10,9 % pour l’indice de référence (50 % iShares Core SP500 et 50 % TSX).
La quatrième stratégie, Actions canadiennes ESG, a été lancée en mars dernier. « L’investissement responsable me tient à cœur, dit la présidente. Ç’a toujours été important pour moi de pouvoir offrir à mes clients une répartition d’actifs qui tient compte des facteurs ESG, alors ici, on vient mélanger l’investissement responsable et alternatif. »
Altervest collabore aussi avec Laplace Insights, une firme sherbrookoise spécialisée en intelligence artificielle, afin de développer de nouveaux produits d’investissements. Geneviève Blouin estime que l’intégration de l’IA dans sa gestion de portefeuille pourrait lui conférer un avantage important en ce qui a trait à la gestion proactive du risque.
Faire émerger les gestionnaires québécois
Geneviève Blouin se dit fière d’avoir fondé sa firme. Questionnée à savoir si elle aurait aimé savoir certaines choses plus tôt dans sa carrière, elle répond à la blague que non, elle est bien heureuse de n’avoir pas tout su dès le début. « Si j’avais su que c’était si difficile de me lancer en affaires, je ne l’aurais peut-être pas fait ! Mais, j’étais jeune et naïve, alors je me suis lancée, et je ne regrette rien, même si ç’a pris plus de temps que je pensais au départ. »
Partant de cette réalisation, elle veut maintenant s’assurer de rendre les choses plus faciles pour ceux et celles qui voudront marcher dans ses pas à l’avenir. C’est notamment pour cette raison qu’elle a mis sur pied, en 2013, le Conseil des gestionnaires en émergence, un OBNL qui vise à promouvoir et à contribuer à la croissance des gestionnaires émergents canadiens en montrant aux allocateurs d’actifs les avantages d’investir auprès des gestionnaires émergents locaux. « Les petits gestionnaires n’ont pas de manière de se faire connaître, dit Geneviève Blouin. L’idée, c’est donc de former une communauté pour augmenter notre visibilité. »
Le Conseil organise entre autres des événements de formation pour aider les gestionnaires à mieux se promouvoir. Il invite aussi les grandes institutions, par son site web, à le contacter lorsqu’ils cherchent un gestionnaire, de sorte à pouvoir les aiguiller vers quelqu’un qui détient la bonne expertise. « À long terme, je veux meubler le terrain pour que ce soit plus facile, d’une génération à l’autre, d’établir une firme de gestion d’actifs, dit Geneviève Blouin. En diversifiant le secteur et en favorisant les interactions entre petits et grands acteurs, je pense vraiment qu’on vient le rendre plus fort. »