Harmoniser nos valeurs à notre portefeuille avec virtuosité
Sophie Stival|Édition de la mi‑novembre 2020Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) préoccupent de plus en plus les investisseurs, et les ...
Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) préoccupent de plus en plus les investisseurs, et les fournisseurs de fonds négociés en Bourse (FNB) ont adapté leur offre en conséquence. Pour l’épargnant moyen, il devient parfois difficile de s’y retrouver entre les différentes approches et de savoir ce que contient vraiment leur fonds.
En dépit de la crise financière du printemps dernier et de la grande volatilité des marchés, les solutions ESG sont demeurées fort populaires. Ainsi, au premier trimestre de 2020, les fonds d’investissement ESG et les FNB ESG ont recueilli quelque 46 milliards de dollars, contrastant avec les quelque 292 milliards de dollars de parts vendues par les détenteurs de ce vaste univers, soulignait cet été au CFA Institute, Dan Lefkovitz, stratège de Morningstar.
«Adopter une nouvelle stratégie d’investissement en des temps aussi incertains est étonnant», observe Mark Raes, chef des produits à BMO Gestion mondiale d’actifs. «Cet intérêt montre que l’investissement ESG n’est pas une mode passagère», croit Daniel Straus, chef de la recherche et de la stratégie FNB à Financière Banque Nationale.
Au Canada, on dénombre une cinquantaine de FNB ESG, essentiellement des fonds d’actions. Chez nos voisins du Sud, ce chiffre avoisine 90, selon une étude publiée par l’équipe de recherche FNB de Financière Banque Nationale. Comment navigue-t-on dans ce marché somme toute nouveau ? Contrairement aux fonds passifs pondérés en fonction de la capitalisation boursière, le processus de sélection de titres de ces FNB pose des défis. «On veut bien comprendre les différentes catégories de FNB ESG et la méthodologie d’investissement utilisée par le fonds», souligne Daniel Straus.
Par ailleurs, il n’existe pas de définition claire de l’investissement responsable. Plusieurs termes et concepts se chevauchent. Ainsi, chacune des lettres E (environnement), S (social) et G (gouvernance) peut constituer un mandat en soi (voir les trois tableaux ). On va trier l’ensemble des titres en fonction de certaines valeurs environnementales ou sociales. On peut appliquer un filtre positif aux entreprises (ex. produire des énergies vertes) ou négatif, en éliminant les contrevenants qui émettent trop de gaz à effet de serre, par exemple.
Une autre approche de placement populaire est la sélection de titres en fonction d’un score ESG. Il faut alors quantifier certains critères, comme les revenus tirés des carburants fossiles, ce qui nécessite de traiter un volume important de données en faisant appel à des firmes d’analyse, comme les fournisseurs d’indices MSCI, Sustainalytics et S&P. Quant à l’investissement d’impact, il peut s’agir de gestion indicielle ou active, où l’on vise à générer un rendement financier, mais aussi des retombées positives et mesurables sur les plans social ou environnemental.
Pour ajouter à la confusion, plusieurs FNB n’affichent pas dans leur nom l’acronyme ESG, même si certains vont filtrer l’univers des actions et des obligations selon divers critères. Par exemple, la firme BlackRock aborde les changements climatiques en éliminant de tous ses fonds gérés activement tout placement lié à la production de charbon thermique, souligne l’étude de Financière Banque Nationale. De plus en plus de gestionnaires d’actifs s’engagent à ce que l’ensemble de leurs investissements suive une logique de développement durable. C’est le cas notamment de BMO, RBC et Vanguard.
Notons qu’il existe également des FNB ESG à revenu fixe de type indiciel ou gérés activement. Ils contiennent pour la plupart des obligations vertes (qui financent des projets écoresponsables), mais aussi des obligations de société filtrées selon la même philosophie de placement ESG que pour les actions.
Approche diversifiée ou concentrée
Il existe plusieurs manières d’harmoniser nos valeurs à notre portefeuille de placement. Deux grandes approches d’investissement se démarquent : une solution intégrée et une autre, davantage thématique. La première consiste à intégrer les facteurs ESG pour l’ensemble de notre portefeuille de placement en misant sur tous les secteurs d’activité. Dans la seconde approche, on ajoute un volet tactique au portefeuille et on s’en tient à une stratégie ou à un secteur plus précis. «Il y a beaucoup de confusion à ce propos chez les investisseurs», constate Alain Desbiens, directeur des FNB à BMO.
Par exemple, en choisissant un FNB qui réplique un grand indice de marché comme le MSCI USA ESG, on aura accès à un portefeuille largement diversifié de moyennes et de grandes entreprises dont les score ESG sont parmi les plus élevés (premiers de classe) par rapport aux acteurs d’un même secteur. Même si l’indice MSCI USA ESG contient quelque 300 titres, les pondérations par secteurs seront similaires à son parent, l’indice MSCI USA, qui est constitué de plus de 600 titres. Ces solutions permettent de ne pas trop diverger du rendement du marché pour ceux qui recherchent une solution passive indicielle.
Pour diverses raisons, certains investisseurs sont tentés d’éliminer de leurs placements des pans entiers de notre économie, par exemple, le secteur pétrolier. «En éliminant 25 %-30 % du marché canadien, le rendement généré par ce type de solution sera très différent du marché dans son ensemble», met en garde Mark Raes. On veut donc vérifier si notre FNB ESG contient des biais sectoriels importants. À ce propos, il est important de préciser qu’une majorité d’indices ESG exclut certains sous-secteurs ou industries qui suscitent la controverse. En tête de liste, on trouve le tabac et les armes ainsi que l’alcool, les jeux de hasard et parfois l’énergie fossile.
On pourrait aussi souhaiter harmoniser nos placements en prenant position sur une question qui nous tient à coeur. C’est ce que permet l’investissement d’impact. Par exemple, le FNB BMO Fonds leadership féminin (WOMN) géré activement investit dans des actions de sociétés nord-américaines «qui sont dirigées par une femme ou dont le conseil d’administration compte au moins 25 % de femmes, ou les deux». Il va sans dire que le rendement d’un tel fonds pourrait différer passablement des marchés boursiers canadien et américain. «Il y a donc des solutions qui s’appliquent à tout le portefeuille et d’autres, comme WOMN, qui sont davantage des investissements satellites et qui peuvent constituer une plus faible part de notre portion en action du portefeuille», affirme Mark Raes.
Rendements au rendez-vous ?
Les recherches montrent que ces dernières années, miser à long terme sur des entreprises socialement responsables peut réduire le risque d’un portefeuille de placement. Dans les faits, la performance historique de l’investissement responsable est limitée. La plupart des indices (Jantzi, MSCI) sont répliqués depuis une dizaine d’années au Canada. «Ces données montrent jusqu’ici des rendements stables, lorsqu’ils sont comparés aux grands indices boursiers, mais cela dépend aussi de la fenêtre d’observation. Les FNB ESG peuvent ajouter de la valeur pendant certaines périodes et en enlever dans d’autres», observe Daniel Straus.
«Il semble également y avoir une biais en faveur des entreprises de qualité qui ont de solides pratiques en matière de gouvernance», indique Mark Raes. Les sociétés de qualité ont généralement peu de dettes, de bénéfices ou de flux de trésorerie stables et une croissance des actifs constante. Plusieurs analyses du CFA Institute et de Morningstar confirment ce biais de qualité qui s’accompagne d’une concentration sectorielle avantageuse depuis quelques années. On constate une exposition légèrement supérieure au performant secteur technologique et une pondération un peu plus faible au secteur énergétique qui a moins bien performé.
«Vu le peu de données historiques disponibles, on ne sait pas encore ce qui cause quoi. Est-ce que les entreprises de qualité et ayant de saines pratiques de gouvernances priorisent naturellement les facteurs ESG ou est-ce plutôt le contraire ? Une société qui fait l’effort de suivre les règles ESG sera avec le temps moins endettée et de meilleure qualité», croit Daniel Straus.
Quelques thèmes ESG
Environnementaux
Changement climatique et émission de CO2
Pollution de l’air et de l’eau
Biodiversité
Déforestation
Efficacité énergétique
Gestion des déchets
Sources : BMO, CFA Institute
Gouvernance
Composition du CA
Rémunération des dirigeants
Lobbying
Contributions politiques
Sociaux
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Satisfaction de la clientèle
Diversité des genres
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