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IBM a besoin de plus que Red Hat

Stéphane Rolland|Édition de la mi‑novembre 2019

ANALYSE. Un an après avoir annoncé en grande pompe l'acquisition de Red Hat pour 34 milliards de dollars américains...

ANALYSE. Un an après avoir annoncé en grande pompe l’acquisition de Red Hat pour 34 milliards de dollars américains, la direction d’IBM (IBM, 133,73 $ US) n’éprouve aucun remords de l’acheteur depuis la transaction conclue en juillet.

Signe de l’enthousiasme du nouveau propriétaire, le nom de Red Hat a été mentionné plus de 50 fois par le chef des finances, Jim Kavanaugh, lors de la conférence téléphonique suivant la publication des résultats du troisième trimestre, publiés le 16 octobre dernier, souligne le Wall Street Journal.

Il s’agissait du premier trimestre où les résultats de la nouvelle division étaient incorporés à ceux d’IBM. Red Hat a fourni l’une des rares sources de réjouissance au troisième trimestre. Les revenus de l’acquisition ont augmenté de 19 %, un rythme plus rapide que lorsqu’il s’agissait d’une société indépendante.

IBM tente de se renouveler et de trouver d’autres avenues de croissance pour compenser le déclin de ses activités traditionnelles. L’acquisition du spécialiste du logiciel libre (open source) est perçue comme une pièce maîtresse de cette quête de réinvention. Avec Red Hat, l’entreprise centenaire veut redevenir un joueur notable dans le secteur de l’infonuagique. Pour le moment, elle n’est qu’au cinquième rang et n’accapare que 1,8 % des parts de marché, selon la firme Gartner.

L’infonuagique suscite beaucoup d’espoir chez les technos. Deuxième dans l’industrie, Microsoft (MSFT, 143,37 $ US) vit une véritable renaissance sous la gouverne du PDG, Satya Nadella. À son plus récent trimestre, la division Azure a affiché une croissance des revenus de 59 %. Pour Amazon (AMZN, 1776,66 $ US), sa division Amazon Web Services (AWS) est beaucoup plus rentable que le commerce de détail et les activités dans l’infonuagique viennent compenser les faibles marges de ses activités principales. Les deux géants accaparent près de 65 % du marché, toujours selon Gartner. Alphabet (GOOG, 1260,11 $ US) veut également y faire sa place, mais, à 4 % des parts de marché, elle demeure loin derrière.

L’infonuagique hybride

Encore plus loin derrière, IBM fait le pari qu’elle peut se démarquer dans l’infonuagique hybride. Elle mise ainsi sur les sociétés qui voudront héberger une partie de leurs données sur des serveurs externes, mais qui voudront aussi conserver une part de leurs données sur des serveurs internes.

Katy Huberty, de Morgan Stanley, voit la stratégie d’un bon oeil. L’analyste, qui émet une recommandation «surpondérer», juge qu’IBM ne peut concurrencer Amazon et Microsoft sur leur propre terrain. Elle pense toutefois que la société a des chances de se démarquer dans la stratégie hybride où les applications d’intelligence artificielle pourraient l’aider à présenter une offre qui se démarque. L’acquisition leur permet aussi d’optimiser son offre de services en combinant leurs expertises communes.

Le hic, c’est que Red Hat est encore bien petite par rapport au géant qu’est IBM. L’apport de la nouvelle acquisition pourrait ne pas être suffisant pour renouer avec une croissance des revenus si les activités traditionnelles ne prennent pas du mieux. Les revenus de Red Hat ne représentent que 5,7 % des revenus totaux de l’entreprise. Si bien qu’au troisième trimestre, les revenus totaux ont tout de même diminué de 3,9 % à 18 G$ US, une cinquième baisse trimestrielle consécutive.

Munjal Shah, d’UBS, estime que Red Hat ne sera pas suffisant pour contrebalancer le déclin des ventes. Pour cette raison, il a fait passer sa recommandation de «surpondérer» à «neutre». «Il sera difficile pour IBM de faire croître ses revenus aux alentours des 5 %, malgré la contribution de Red Hat, car les activités traditionnelles continuent de décliner.» Il note que le carnet de commandes, qui était à 116 G$ US en 2016, est rendu à 108 G$ US, ce qui augure mal pour un regain des revenus dans les prochains trimestres.

De l’argent dépensé dans le vide ?

La bonne nouvelle, c’est que la barre est basse pour IBM. Amit Daryanani, d’Evercore, juge que les optimistes et les pessimistes ont chacun de bons arguments. À près de 10,25 fois les prévisions de bénéfices des 12 prochains mois et avec un dividende de 4,78 %, le risque à la baisse est modéré par rapport au potentiel de hausse. Si les pessimistes ont raison, il voit le titre descendre à 110 $ US. Par contre, si les optimistes ont raison, le titre pourrait monter à près de 200 $ US, selon lui.

Si le lent déclin d’IBM détruit de la valeur pour ses actionnaires, il faut cependant préciser que l’entreprise n’est pas au bord du gouffre pour autant. La société génère toujours d’importants flux de trésorerie qui lui permettent de faire des acquisitions, de réduire son endettement et de retourner de l’argent aux actionnaires. «Malgré la léthargie de ses activités principales, IBM profite d’une large base de clients, commente Mark Cash, de Morningstar. Ses produits et services demeurent adhésifs, car ils sont souvent d’une grande importance pour la mission stratégique de ses clients.»

Si les flux de trésorerie d’IBM apportent une certaine protection, ceux-ci n’ont pas été déployés de manière à générer de la valeur pour les actionnaires dans les dernières années. Sous la gouverne de Ginni Rometty, la société a cherché différentes façons de revigorer la croissance, mais l’élan à long terme espéré ne s’est pas encore concrétisé.

Même avec le retour d’argent direct aux actionnaires, IBM n’a pas eu la main heureuse. Depuis 20 ans, IBM a racheté pour 154 G$ US en actions, note Charlie Biello, responsable de la recherche chez Pension Partners. Or, IBM ne vaut que 118 G$ US à la Bourse. Signe qu’elle a payé trop cher pour les titres qu’elle a rachetés.

Même si IBM n’est pas en péril, elle devra tôt ou tard prouver qu’elle est capable d’opérer un redémarrage réussi. Le titre se trouve à 40 % sous son sommet de 2013. Les actionnaires de longue date doivent trouver le temps long.

stephane.rolland@tc.tc

@srolland_la