Investir dans les actions canadiennes, qui sont peu chères et qui devraient bien performer en raison des surpondérations de son indice boursier dans les secteurs de l’énergie, des financières et aussi des mines, peut aider à passer à travers cette période instable..(Photo: 123RF)
FAUT-IL CRAINDRE LA STAGFLATION? L’inflation galopante et la remontée des taux d’intérêt prévue au printemps inquiètent. Si nos économies ralentissent, on pourrait vivre des épisodes de stagflation. Comment protège-t-on notre portefeuille de placements?
En janvier, l’inflation annuelle au Canada a touché un sommet depuis 1991 en atteignant 5,1 %. Au même moment, nos voisins du Sud connaissent une hausse des prix à la consommation de 7,5 %, une première en 40 ans. L’Europe n’est pas en reste puisque plusieurs pays vivent une période de stagflation, soit une activité économique qui ralentit, jumelée à une montée des pressions inflationnistes.
Le mot stagflation, la contraction des termes «stagnation» et «inflation», nous rappelle les années 1970 alors que les chocs pétroliers ont provoqué une hausse importante des prix et des déficits budgétaires, en plus d’avoir des conséquences négatives sur l’économie mondiale (voir encadré). «L’énergie occupait à l’époque une part bien plus importante des budgets des ménages. Les banques centrales n’avaient pas de cible d’inflation. Les anticipations d’inflation ont dérapé, causant des récessions aux États-Unis», explique Jimmy Jean, économiste en chef et stratège au Mouvement Desjardins. La situation est bien différente aujourd’hui, d’après lui.
La turbulence liée au contexte pandémique qui perdure crée de la distorsion dans les données économiques. «Je ne vois pas de stagnation de la croissance, laquelle devrait se poursuivre, mais plutôt un climat d’incertitude combiné à une croissance qui demeure volatile et une inflation inconfortablement élevée. C’est une sorte de variante de la stagflation», observe-t-il. Par ailleurs, l’offre mondiale reste bouleversée par des goulots d’étranglement, notamment dans le transport maritime, alors que l’on constate des pénuries dans bien des secteurs tels que ceux des semi-conducteurs, des matériaux de construction et de plusieurs matières premières. La crise énergétique en Europe semble également loin d’être terminée.
«L’impact des prix du gaz naturel, à des niveaux extrêmement élevés, combiné à un risque d’escalade entre la Russie et l’Ukraine pourraient avoir des conséquences importantes», croit Jimmy Jean. L’Europe importe le quart de son pétrole et près de la moitié de son gaz naturel de la Russie, rappelle ce dernier. On constate ainsi un phénomène de contagion du prix du gaz naturel sur l’aluminium et l’ammoniac, un engrais fort utilisé. Il y a une chaîne de transmission d’inflation vers les prix agricoles, mais aussi de l’alimentation et de la consommation discrétionnaire. Un véritable effet domino…
Quant à la Chine, sa politique «zéro COVID» pourrait révéler une vulnérabilité importante si le virus se propage et qu’on ferme des usines, des ports et des infrastructures. «C’est une source majeure de risque pour les chaînes d’approvisionnement mondiales», souligne l’économiste en chef de Desjardins. Cela combiné à un marché immobilier qui connaît un fort ralentissement en Chine alors qu’il représente près du tiers du PIB.
Quels types de placements?
Maintenant, comment gère-t-on nos placements en période d’inflation forte et de possible ralentissement économique? Nos investissements doivent minimalement générer un rendement après inflation et frais de gestion positifs. Avec une hausse du coût de la vie autour de 4 % à 5 % et un frais de gestion oscillant entre 1 % et 2 %, il nous faudra dégager un rendement net après impôts de quelque 6 % pour ne pas s’appauvrir. Si on place le tiers, voire près de la moitié de nos avoirs dans des obligations de qualité offrant des rendements moyens d’au plus 2 %, le défi s’avère de taille.
Dans un environnement où la Banque du Canada remonte à quelques reprises son taux directeur pour juguler l’inflation, les titres à revenu fixe devraient mal réagir puisqu’il existe une relation inverse entre les taux d’intérêt et le prix des obligations. Lorsque les taux augmentent, les obligations perdent de la valeur. On cherche donc à préserver notre capital tout en générant du revenu. Il pourrait être avisé de raccourcir la duration du portefeuille, soit la moyenne pondérée de la durée des différents titres obligataires. Les fonds négociés en Bourse (FNB) à taux variable sont un bon moyen d’y parvenir puisque le paiement d’intérêt sera ajusté afin de refléter les changements de taux d’intérêt.
«Si la courbe des taux des obligations gouvernementales au Canada dans les termes de 10 ans et 3 mois devait s’aplatir en deçà de 100 points de base, on voudra avoir une approche plus défensive pour notre portefeuille», remarque Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale. Pensons à une remontée plus rapide qu’anticipée du taux directeur de la Banque du Canada qui pourrait nous inciter à réduire la portion en actions du portefeuille et à augmenter les liquidités.
Adopter une approche plus tactique pourrait aussi nous permettre de minimiser les effets de la hausse du coût de la vie. Pensons aux travailleurs autonomes ou à ceux dont le salaire n’est pas indexé à l’inflation. «Si on peut acheter un peu d’obligations à rendement réel qui s’ajustent à l’inflation, cela pourrait être une façon de se protéger», ajoute Jimmy Jean.
Soulignons que les obligations à rendement réel (ORR) vont payer plus qu’une obligation nominale d’un terme équivalent seulement si l’inflation réalisée jusqu’à l’échéance est supérieure aux attentes. Malgré la bonne qualité de ces titres gouvernementaux, leur longue durée peut les rendre très sensibles à un mouvement des taux d’intérêt. On peut en ajouter avec modération au portefeuille à des fins de diversification. De plus, on veut acheter les ORR dans un compte non taxable, comme le REER, puisque l’ajustement de l’inflation au prix nominal sera considéré comme du revenu réalisé chaque année même si ces montants ne seront versés qu’à l’échéance du titre.
Autre catégorie d’actifs qui pourrait bien s’en tirer: les actions privilégiées à taux révisable tous les cinq ans. Cette catégorie d’actifs est dominée par les banques qui devraient bien performer dans un contexte de hausse de taux et en début de cycle économique. «Si on jumèle une inflation élevée à une croissance économique plus anémique, mais sans décroissance, les actions privilégiées et les obligations à rendement réel pourraient se démarquer», croit Pierre-Philippe Ste-Marie, chef des placements des titres à revenu fixe à Optimum Gestion de placements.
«L’or est également intéressant à considérer en période inflationniste alors que le prix de cet actif fait du surplace. En ajouter un peu dans le portefeuille comme mesure de protection n’est pas une mauvaise idée», souligne Jimmy Jean.
Dans un contexte inflationniste, alors que plusieurs chaînes d’approvisionnement sont mises à l’épreuve, les entreprises qui ont la capacité de refiler la hausse des coûts dans leurs prix seront nettement avantagées. Pensons aux titres de l’énergie, aux matières premières ou aux secteurs financier et bancaire.
Plaidoyer pour l’investissement ESG
Autre aspect à considérer: la décarbonisation de nos économies. «Depuis 20 ans, la production manufacturière vient essentiellement de la Chine, qui nous a récompensés par des prix qui n’ont pas augmenté. Aujourd’hui, avec les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) cela change complètement les choses», affirme Stéfane Marion. Le passage aux énergies propre et le stockage des batteries pour les véhicules électriques nécessiteront l’extraction de plusieurs minéraux.
«On veut investir au Canada puisque tout le monde veut du cuivre et du lithium», ajoute-t-il. Démarrer l’exploitation d’une mine peut prendre jusqu’à 10 ans, voire plus. Quant aux aspects sociaux et de gouvernance, ils doivent aussi être pris en compte et sont inflationnistes. Par exemple, on ne désire plus importer des produits chinois faisant appel au travail forcé de la minorité ouïghoure.
Le Canada n’est pas le pays où investir si on veut le faire de manière responsable, lit-on souvent. «Pourtant, l’investissement ESG milite pour des placements au Canada et historiquement, en période inflationniste, le S&P/TSX fait mieux que le S&P500, et le dollar canadien va généralement s’apprécier», ajoute Stéfane Marion.
Avec le sous-investissement dans le secteur des énergies fossiles depuis une décennie au pays, on n’aura pas le choix de se tourner vers le pétrole pour nos produits chimiques et même le gaz de schiste, croit l’économiste de la Banque Nationale. N’oublions pas que la Chine remplace graduellement sa dépendance au charbon par du gaz naturel provenant de la Russie. Conclusion: les actions canadiennes sont peu chères et devraient bien performer en raison des surpondérations de son indice boursier dans les secteurs de l’énergie, des financières et aussi des mines.
«Les entreprises du secteur énergétique devraient également générer de bons flux monétaires qui se traduiront par des hausses de versements de dividendes», a souligné Hugo Ste-Marie, directeur de la stratégie de portefeuille et analyse quantitative à la Banque Scotia, dans le cadre de l’événement Perspectives 2022 présenté par CFA Montréal, en janvier dernier. Ce dernier croit aussi que la transition verte profitera au Canada, notamment dans les secteurs financier et minier.
«Aux États-Unis, le secteur des technologies souffre de la remontée des taux d’intérêt et cela devrait se poursuivre en 2022 avec l’intervention de la banque centrale américaine», précise-t-il. Les ménages américains sont cependant en très bonne posture pour absorber les hausses de coûts liées à l’inflation, vu le niveau de liquidité et la richesse accumulée depuis deux ans. Les bénéfices des entreprises devraient donc demeurer élevés et les marchés boursiers nord-américains vont en bénéficier.
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D’où vient la stagflation?
Le terme stagflation serait né avant le premier choc pétrolier de 1973. Au milieu des années 1960, Iain Macleod, député du Parti conservateur britannique aurait été le premier à utiliser ce mot pour dépeindre le contexte économique de l’époque alors que la production stagnait et qu’il y avait une inflation salariale. Le 17 novembre 1965, il affirme à la Chambre des communes:«Nous avons aujourd’hui le pire des deux mondes: non seulement de l’inflation d’un côté ou de la stagnation de l’autre, mais les deux à la fois. Nous avons en quelque sorte une situation de “stagflation”». Selon la théorie keynésienne, l’inflation devrait ralentir lors d’une récession puisqu’il y a une pression à la baisse sur les salaires alors que les consommateurs et les entreprises vont moins dépenser, ce qui ultimement diminuera la demande sur les biens et services et contribuera à la baisse des prix.