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Investir davantage dans les pays émergents, un choix judicieux?

Simon Lord|Édition de la mi‑novembre 2020

Le poids des pays émergents reste relativement faible dans les fonds négociés en Bourse (FNB) indiciels d'actions ...

Le poids des pays émergents reste relativement faible dans les fonds négociés en Bourse (FNB) indiciels d’actions mondiales. Pourtant, ces économies sont un puissant moteur de croissance à l’échelle mondiale. Vaudrait-il la peine de s’écarter des indices et de leur donner plus grande place dans son portefeuille ?

Dans le cas du iShares MSCI All Country (XAW), par exemple, les pays émergents représentent environ 12 % de l’indice. Notons que ce FNB exclut les actions canadiennes et qu’il se veut un complément au volet canadien d’un portefeuille d’actions, que vous les choisissiez individuellement ou à l’aide d’un FNB. Dans un fonds tout-en-un d’actions, comme le Vanguard All-Equity porfolio (VEQT), la pondération n’est que de 7,6 % dans les pays émergents, comparativement à 41,6 % pour les États-Unis et 30 % pour le Canada.

Est-ce la marche à suivre ou vaudrait-il mieux s’exposer davantage aux pays émergents ? Pour sa part, Martin Lefebvre, chef des placements et stratège à la Banque Nationale, privilégie la répartition cible suivante : 35 % au Canada, 35 % aux États-Unis, 20 % en Europe, en Asie, et en Extrême-Orient, et 10 % dans les marchés émergents. S’il convient que ce type de portefeuille pourrait déjà être trop risqué pour la plupart des investisseurs, il prévoit une bonne croissance dans les marchés émergents au cours des cinq prochaines années, et pourrait donc augmenter sa pondération dans les années à venir. «Le marché américain est relativement cher, dit M. Lefebvre. Les valorisations boursières nous disent qu’il y a plus de potentiel dans les marchés émergents. À un moment donné, il va falloir prendre nos profits dans nos actions américaines et graduellement aller dans les marchés émergents.»

Il rappelle toutefois que les marchés émergents, ce sont surtout des entreprises asiatiques, mais plus important encore, beaucoup de sociétés du secteur technologique. Un peu comme le marché américain. Si un investisseur est déjà présent aux États-Unis et qu’il décide d’allouer une plus grande portion de son portefeuille aux marchés émergents dans le but précis d’en augmenter la diversification, il pourrait donc ne pas y trouver son compte. Il profitera certes d’une diversification géographique, mais pas nécessairement sectorielle. Une réalité à garder en tête.

 

Perspectives positives

Jean-Pierre Couture, économiste en chef et gestionnaire de portefeuille à Hexavest, s’attend aussi à de bonnes années de croissance dans les marchés émergents. «En termes absolus, ce n’est pas le deal du siècle, admet-il, mais le marché américain est rendu très cher.» Il parle même de surchauffe.

Selon ses calculs réalisés avec les données de juin, le S&P 500 est en moyenne dans le 95e centile historique pour six mesures différentes de valorisation boursière, incluant le ratio cours/bénéfices prévus, le ratio cours/valeur comptable et le ratio cours/flux de trésorerie. Quoique pas aussi chère, note Jean-Pierre Couture, l’Europe commence aussi à le devenir encore plus. En comparaison, les marchés émergents sont donc attirants. «Il y a des années où presque 100 % de la croissance mondiale provient des marchés émergents.»

À son avis, plusieurs facteurs laissent croire que les conditions économiques seront favorables dans les pays émergents et, plus précisément, en Asie, au cours des prochaines années. «Il y a une grosse vague de fond qui soutient les marchés, et il s’agit de la croissance économique et démographique. C’est certainement le cas en Chine, où on voit une large part de la population accéder à la classe moyenne.»

Ces changements induisent une transformation des habitudes de consommation, explique l’économiste. On n’observe pas une tendance dans les pays développés.

S’il reconnaît que les pays en développement ont historiquement dû lutter à répétition avec des problèmes d’inflation, il observe que ce problème est mieux géré qu’il ne l’a été dans le passé. «Ça aide énormément à soutenir le pouvoir d’achat des ménages», dit Jean-Pierre Couture. Selon lui, un investisseur qui voudrait s’exposer à cette croissance devrait toutefois le faire en s’exposant aux entreprises locales.»

Autrement dit, il faut investir directement dans les marchés émergents, selon lui. Mieux vaut éviter d’essayer de s’exposer aux marchés émergents indirectement en investissant dans des entreprises des pays développés qui y font des affaires.

S’il hésite à suggérer une pondération à cibler spécifiquement pour les marchés émergents, il croit toutefois qu’il faut s’y exposer au-delà de 5 % si l’on désire profiter de leur croissance. Cela dit, il reconnaît que ces marchés sont plus volatils et qu’un investisseur devrait faire preuve de discernement. «Si on achète pour deux ans, ce n’est pas une bonne idée, dit M. Couture. Il faut viser plutôt 10, 15 ou 20 ans.»

 

Mieux gérés, plus performants

Les pays en développement sont mieux gérés qu’ils ne l’étaient, estime François Têtu, vice-président et gestionnaire de portefeuille à RBC Gestion de patrimoine.

Au moment de la crise économique asiatique, en 1997, les pays émergents étaient aux débuts de leur croissance. Ils se sont ensuite repositionnés et sont aujourd’hui dans une période que M. Têtu qualifie d’adolescence. «Aujourd’hui, si l’on étudie la performance du MSCI Emerging Markets Index pour les 14 dernières années, on réalise que les pays émergents on produit à huit reprises des rendements annuels de plus de 10 %.»

Pour un investisseur qui est capable de vivre avec la volatilité de ces marchés et qui désire investir à moyen ou à long terme, ceux-ci sont en mesure de livrer des rendements substantiels. Quelle fourchette viser en matière d’allocation ? «Selon notre profil d’investisseur, nous pourrions considérer allouer une pondération de 5 % à 15 % aux pays émergents dans notre portefeuille. Je n’irais pas jusqu’à 20 %. Il faut trouver le bon dosage», consent François Têtu. Surtout dans le contexte des tensions économiques et politiques entre les États-Unis et la Chine, qui pourraient affecter les rendements. En effet, selon lui, l’élection américaine pourrait bien faire souffler un vent de changement sur les relations entre les deux pays, mais l’évolution de la situation est difficile à prédire.

«J’irais avec parcimonie, conclut-il. On peut commencer avec une première position et attendre trois ou six mois pour voir comment évoluent les choses avant de décider si l’on désire investir davantage. Autrement dit, on peut se mettre le pied dans la piscine avant de se tremper jusqu’à la taille.»

 

Le risque de devise

Au-delà des risques politiques, investir dans les pays émergents implique également des risques de devises, soit le danger pour l’investisseur de voir la devise qu’il a utilisée pour acheter son placement fluctuer à son désavantage. Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion de patrimoine, l’illustre en chiffres.

Il donne l’exemple de l’indice MSCI Emerging Markets. Entre le début de l’année 2020 et le 31 juillet, l’indice a produit des rendements de 1,78 % en dollars canadiens, mais de -1,53 % en dollars américains. «L’effet de la devise est vraiment important dans notre stratégie», souligne-t-il.

Devrait-on investir en dollars canadiens ? Devrait-on choisir un produit couvert ? «C’est important de se poser ces questions parce qu’on pourrait avoir prédit correctement la croissance du marché, mais avoir tort sur l’évolution de la devise. On laisserait alors plus d’argent sur la table qu’on en a fait.»

Pour sa part, il vise une répartition cible de 10 % pour les pays émergents. Il se permet d’aller jusqu’à 12 %, ou à l’inverse, à 8 %, bien qu’il soit déjà allé jusqu’à 5 %.

En même temps, considérant les risques politiques, les risques de change et les risques de politique monétaire, Michel Doucet explique qu’il comprendrait un investisseur qui préférerait éviter complètement les pays émergents. «Si quelqu’un me disait qu’il préfère rester dans les pays développés, je ne pourrais pas en débattre longtemps avec lui», dit-il.