La route sera peut-être parsemée d’épisodes de volatilité, mais les marchés boursiers devraient ...
La route sera peut-être parsemée d’épisodes de volatilité, mais les marchés boursiers devraient continuer leur ascension en 2021 grâce au retour à la normale que laissent espérer les vaccins contre la COVID-19, s’entendent pour dire les trois experts interrogés par Les Affaires. Voici leurs prévisions.
Michel Doucet et Jean-René Ouellet
Les champions de Wall Street
La dominance des actions américaines n’est peut-être pas éternelle, admettent Michel Doucet et son collègue Jean-René Ouellet, mais il s’agit toujours du marché favori des deux stratèges d’investissement de Desjardins Gestion de patrimoine. La reprise économique pourrait redonner un élan aux titres de style valeur à court terme, mais le retour «à la normale»implique de revenir à un contexte de croissance économique relativement modeste, explique Jean-René Ouellet. Structurellement, la technologie et la santé, deux secteurs bien représentés à Wall Street, demeurent en bonne posture pour tirer leur épingle du jeu, selon eux.
Jean-René Ouellet ajoute que plusieurs sociétés au sein de ces secteurs ont des bilans solides, sont en forte croissance et font d’importants investissements en recherche et développement. Certes, des sociétés comme Microsoft (MSFT, 216,34 $US) ou Alphabet (GOOG, 1 754,40 $US) s’échangent entre 27 et 30 fois les bénéfices des 12 prochains mois, mais elles s’en tirent avantageusement quand on compare à «certaines sociétés de consommation de base qui s’échangent à une vingtaine de fois les bénéfices et n’enregistrent aucune croissance». Pour le marché canadien, les deux experts font passer leur recommandation de «sous-pondéré»à «neutre». Les conditions sont favorables aux banques canadiennes tandis que les pires craintes sur la solidité financière des ménages ne se sont pas concrétisées. Une éventuelle pentification de la courbe des taux d’intérêt est également une bonne nouvelle pour les marges des banques, selon eux. Leurs secteurs favoris sont toutefois mieux représentés à la Bourse américaine. Ils voient également d’un bon oeil les perspectives des pays émergents. Plus volatiles, leurs marchés sont bien placés pour profiter de l’accélération de l’économie mondiale, anticipent-ils. Les risques plus élevés les poussent toutefois à la «neutralité ou à une légère surpondération». «Oui, ce sont des marchés plus abordables avec un potentiel de croissance un peu plus fort à long terme, admet Jean-René Ouellet. Si j’ai le choix entre une entreprise américaine, où l’on connaît mieux les règles comptables, et une société chinoise, je vais avoir un biais de proximité.»Le duo de gestionnaires de portefeuille sous-pondère l’Europe. Depuis des années, les interventions de la Banque centrale européenne ne parviennent pas à stimuler une croissance économique plus vigoureuse. Les gouvernements ont également été moins généreux dans leur intervention que le Canada, les États-Unis ou le Japon, souligne Michel Doucet. Si le dollar américain tend à se déprécier quand l’économie mondiale se porte mieux, l’euro, pour sa part, tend à s’apprécier, ce qui vient freiner la reprise des pays de la zone euro et dévalue les revenus étrangers des entreprises européennes. «J’aimerais y croire, mais si j’avais mis vingt-cinq cents dans un pot chaque fois que l’Europe m’a déçu, je pourrais me payer un gros café», lance à la blague Michel Doucet.
La «police d’assurance» boursière
Côté obligataire, Michel Doucet décide de mettre plus de poids aux deux extrémités de la courbe. Dans l’ensemble, il vise une duration un peu inférieure aux indices de référence, donc un peu moins sensible aux taux d’intérêt.
Par contre, il surpondérera les obligations à court terme (qui fluctuent moins), mais aussi les obligations à long terme (plus sensibles). Si la valeur des obligations à long terme est plus malmenée lorsque les taux montent, la dette gouvernementale à long terme s’apprécie davantage lorsque les taux baissent, ce qui survient généralement lors des chutes boursières. Les obligations gouvernementales à long terme deviennent ainsi une forme de «police d’assurance», explique-t-il. «La plus grande valeur des obligations à partir de maintenant pourrait très bien provenir de sa corrélation négative avec les actions, ajoute Jean-René Ouellet. Le but n’est pas de générer des rendements élevés, mais d’avoir une composante du portefeuille qui va nous procurer des rendements positifs lors de baisses de marché pour avoir des munitions pour racheter des actions lorsqu’elles s’échangeront à meilleur marché. On veut des composantes qui ne tirent pas toutes dans la même direction au même moment.»Même si nos experts se prêtent aux exercices des prévisions, l’avenir demeure imprévisible et ils veulent se prémunir contre les risques. Malgré la tempête, les marchés américains ont terminé l’année 2020 sensiblement là où ils l’avaient prédit lors du même exercice l’an dernier. Pourtant, personne n’aurait pu prédire que nous aurions un marché baissier aussi court que brutal au printemps, suivi d’une reprise rapide qui nous mènerait en quelques mois vers d’autres sommets. «Ça renforce un message:l’importance d’avoir un plan et de le suivre à la lettre et de ne pas laisser les émotions prendre le dessus», plaide Michel Doucet.
Fred Demers
L’avantage technologique
Malgré les évaluations élevées des titres technologiques, Fred Demers, directeur de BMO Gestion mondiale d’actifs, les trouvent toujours attrayants. C’est l’une des raisons pour lesquelles il surpondère les marchés américains et les pays émergents.
Le stratège reconnaît qu’au moment où la valeur du S&P 500 représente 22,5 fois les bénéfices prévus des 12 prochains mois, «on ne peut pas qualifier le marché américain d’aubaine». «Les mesures traditionnelles de valorisation sont un peu myopiques», répond-il. Les bénéfices des sociétés du secteur technologique ont été résilients au cours de la pandémie tandis que d’autres entreprises ont subi d’importantes chutes de leur rentabilité, explique le directeur général de Solutions d’investissement multiactif. «Ces grandes sociétés continuent de nous surprendre par leur innovation et leur capacité à continuer à croître.»Il donne l’exemple de Microsoft (MSFT, 216,34 $US) et d’Amazon (AMZN, 3 165,89$US), dont les activités d’infonuagique progressent à un rythme de 40 % à 50 % avec de «hautes marges de profit». «Ça donne le vertige quand on regarde leurs revenus, mais leur modèle d’affaires est diversifié et hautement profitable.»Cet optimisme envers les plus grandes capitalisations boursières du monde s’accompagne aussi d’une surpondération à l’autre bout du spectre:les petites capitalisations. «Notre idée générale est qu’on mise sur la reprise et on ne veut pas mettre tous nos oeufs dans le même panier. L’aide fiscale des gouvernements partout dans le monde a été dirigée en grande partie vers les ménages, qui ont plus d’argent à dépenser, et les petites entreprises. C’est une situation qui est intéressante pour les petites capitalisations.»Les marchés émergents sont une autre catégorie d’actifs que surpondère Fred Demers. L’attrait du secteur technologique est d’ailleurs encore un facteur qui plaît au stratège. Il note que l’indice MSCI marchés émergents a près de 20 % de sa pondération dans le secteur technologique. «Ce n’est plus les pays émergents des années 1990 qui étaient plus sensibles aux matières premières. C’est maintenant un indice qui a plus de technologie que les indices en Europe ou au Canada.»Il ajoute que plusieurs pays asiatiques, notamment la Chine et la Corée du Sud, se sont mieux tirés d’affaire durant la pandémie. La reprise économique y a été plus rapide, ce qui a servi de catalyseur, au profit des entreprises de la région.
Les marchés européens sont, en contrepartie, moins chers que la Bourse américaine, admet Fred Demers. En théorie, une évaluation plus basse pourrait augmenter les chances surperformance, mais le stratège dit avoir été déçu à plus d’une reprise par l’Europe, qui doit composer avec des problèmes de productivité et la faiblesse de son secteur technologique.
Il sous-pondère également le marché canadien. «Le secteur pétrolier demeure important. Oui, il pourrait bien performer pour quelques mois, mais on ne pense pas que nous sommes en position d’avoir une surperformance soutenue. La demande pour les véhicules électriques va demeurer forte. Le télétravail va changer la façon dont les gens se déplacent. Il va y avoir une accélération de la transition vers la nouvelle économie, et je pense que les États-Unis et les pays émergents sont mieux placés pour en profiter.»
La part défensive
Dans le contexte de faibles taux d’intérêt et d’espoir d’une reprise économique, Fred Demers sous-pondère les obligations par rapport aux actions. Dans son portefeuille obligataire, il surpondère toutefois les obligations à long terme, même si une plus longue duration vient avec une sensibilité plus grande aux changements de taux.
Il croit que les obligations à long terme conservent leur rôle défensif. Les taux d’intérêt des obligations gouvernementales canadiennes et américaines peuvent encore se rendre à 0 % si jamais les espoirs d’une reprise devaient être contrecarrés par un autre choc économique. «Dans ce cas, un portefeuille obligataire pourrait aller chercher un autre 10 %.»Du côté des risques, les obligations à long terme perdraient davantage de valeur que les obligations à court terme advenant une hausse des taux. Par contre, il y aurait une limite à la hauteur que les taux peuvent atteindre. Les ménages et les gouvernements sont lourdement endettés et les banques centrales ne voudront pas risquer d’étouffer la reprise en poussant le bouchon trop loin, selon lui.
Dans le contexte de faibles taux d’intérêt, l’expert alloue une petite répartition de 5 % à l’or dans certains de ses portefeuilles modèles. «Ça reste un actif volatile, mais l’or peut jouer le rôle de valeur refuge et augmente la diversification d’un portefeuille.»
20%
C’est le pourcentage de pondération que l’indice MSCI marchés émergents a dans le secteur technologique, un facteur qui plaît à Fred Demers.
Clément Gignac
Les derniers seront les premiers
La perspective d’une reprise économique soutenue par le vaccin contre la COVID-19 est de bon augure pour les actions dans l’ensemble, mais les meneurs boursiers ne seront peut-être pas les mêmes cette année, croit Clément Gignac, économiste en chef de IA Groupe financier. «C’est possible que les gagnants de 2020 ne soient pas les gagnants de 2021 et qu’il y ait une rotation sectorielle, commente-t-il en entrevue. On se souvient que les titres technologiques ont remporté la palme l’an passé. Au fur et à mesure que le vaccin sera distribué, il y aura un point de bascule où l’on verra une accélération des bénéfices des financières, des entreprises cycliques, des matériaux et de l’énergie.»Un tel contexte serait favorable aux actions canadiennes que surpondère Clément Gignac. Les financières pèsent pour près de 30% du S&P/TSX. Les matières premières et l’énergie 14% et 11 %, respectivement.
L’hypothèse d’une rotation sectorielle et géographique amène l’ancien ministre du Développement économique à sous-pondérer les marchés américains, dominés par les géants technos, et à surpondérer les marchés européens, une préférence qui diffère des deux autres prévisions d’experts présentées dans ces pages. «Ça ne veut pas dire que le secteur technologique américain va mal faire, mais je pense qu’il va sous-performer le secteur financier.»Après plusieurs années de sous-performance des actions européennes, la situation s’est améliorée outre-mer, juge l’économiste. Il note que l’incertitude liée au Brexit est maintenant derrière nous. Il ajoute que les pays de l’Union européenne ont fait preuve d’une plus grande solidarité fiscale avec les pays ébranlés par la pandémie comme l’Italie et le Portugal. Il anticipe également que l’Allemagne concédera à davantage de stimuli budgétaires, ce qui contribuerait à une augmentation des taux d’intérêt. Les institutions financières, qui ont souffert des taux négatifs, profiteraient d’une augmentation des taux, selon lui.
Clément Gignac réitère son optimisme quant aux marchés des pays émergents à long terme. «Ce n’est plus les pays émergents d’il y a 20 ans. Leur santé financière est meilleure et leur déficit extérieur est moins important. L’indice est mieux diversifié et les technologies de l’information y sont plus importantes qu’avant. À 14 fois les bénéfices, le marché est moins cher que le marché américain à 22 fois. À long terme, les perspectives de croissance de bénéfices sont plus fortes, notamment en raison de la démographie et de l’urbanisation.»Dans l’ensemble, les perspectives sont favorables aux actions. La reprise économique devrait favoriser une croissance des bénéfices et les faibles taux d’intérêt amènent un afflux de liquidités vers les marchés boursiers. La pandémie a aussi été l’occasion pour les entreprises d’accélérer leur innovation et de réduire leur coût. Les leçons tirées de la crise devraient permettre à plusieurs entreprises d’améliorer leur productivité.
Un mal nécessaire
En raison des faibles taux d’intérêt, Clément Gignac sous-pondère les obligations. «La distribution n’est pas suffisante pour compenser l’inflation des trois à cinq prochaines années. On est presque assuré d’avoir des rendements réels négatifs. Sur un horizon de trois à cinq ans, les actions ont plus de chances de procurer un meilleur rendement.»Malgré tout, les obligations ont toujours leur rôle en portefeuille, car elles réduisent la volatilité, nuance-t-il. Dans cette portion du portefeuille, il préfère les obligations provinciales et d’entreprises et accorde un plus grand poids aux obligations à court terme.
Par ricochet, les taux anémiques rendent l’or plus attrayant, selon lui. Le fait que le métal précieux ne procure aucun revenu n’est plus un si grand désavantage quand «les obligations ne rapportent plus grand-chose de toute façon», explique l’économiste qui alloue entre une pondération de 3 à 4 % au métal précieux dans certains portefeuilles. «Pour moi, c’est une classe d’actif distinct qui peut réduire la volatilité du portefeuille.»
Clément Gignac anticipe que le dollar américain sera sous pression, ce qui profiterait aussi à l’or. Il note aussi que les banques centrales souhaitent une augmentation de l’inflation. «Ça va peut-être prendre deux à quatre ans avant que ça se matérialise, mais ce sont des facteurs favorables à l’or.»
«Au fur et à mesure que le vaccin sera distribué, il y aura un point de bascule où l’on verra une accélération des bénéfices des financières, des entreprises cycliques, des matériaux et de l’énergie.»