Foi de collectionneurs de grands vins d’ici et du monde, l’investissement vaut le coup. (Photo: 123RF)
Depuis une quinzaine d’années, le marché des grands vins est en pleine effervescence. Soutenue par une forte demande internationale, particulièrement de la Chine, la valeur de plusieurs produits français et italiens a atteint des sommes inégalées. La vente d’une bouteille Romanée-Conti millésime 1945 (750 ml) par la maison Sotheby’s, à New York, en octobre 2018, adjugée à 558 000 $US, en est un bel exemple.
Plus près d’ici, « les quelque 1000 plus importants collectionneurs de grands vins de la province auraient réalisé un rendement annuel moyen supérieur à 10 % au cours de la dernière décennie », soutient Guy Doucet, président de la plateforme Alfred Technologies. La plateforme regroupe plus de 16 000 petits, moyens et grands collectionneurs de vins du Québec, incluant plusieurs restaurants et hôtels.
Les indices Liv-ex, qui enregistrent les variations de prix de différents grands vins, tendent à lui donner raison. Bien que la plupart de ces indices aient connu une baisse depuis deux ans, certains d’entre eux affichent des rendements de 30 % (100 meilleurs vins italiens) et de 45 % (50 meilleurs champagnes au monde) sur cinq ans.
Il faut toutefois être sélectif lorsqu’on sélectionne une bouteille, car selon plusieurs experts qui suivent le marché, à peine 500 des quelque deux millions de viticulteurs dans le monde produisent du vin de qualité dont la valeur augmentera avec le temps.
Depuis sa création en 2012, la plateforme Alfred Technologies permet aux amateurs de grands vins de recenser leur stock et de suivre l’évolution de la valeur marchande réelle de leurs produits au fil des années. Un service très apprécié par les principaux assureurs (Chubb, Beneva, Intact…) qui offrent des polices adaptées à la protection de ces précieux nectars, avance le fondateur de l’outil, lui-même amateur de grands vins.
Le service Alfred tient aussi un rôle d’intermédiaire pour la revente légale de vins et de spiritueux au Québec. « De 2021 à 2023, le nombre de transactions sur la plateforme Alfred.vin est passé de 800 à près de 1700 », note son créateur. Ce nombre tend toutefois à se stabiliser en 2024. « Depuis le début de l’année, il y a beaucoup plus de vendeurs que d’acheteurs », observe Guy Doucet. L’économie et le changement d’attitude des jeunes générations à l’égard de la consommation d’alcool sont les principaux facteurs qui expliquent ce ralentissement, croit-il. Notons que plus du tiers des transactions survenues en 2023 étaient liées à des produits provenant de collections de « baby-boomers » vendues en tout ou en partie.
Tous les vendeurs doivent verser une commission de 20 % du montant de leur transaction afin de couvrir les frais de crédit, de garantie, sans oublier la cote qui revient à Alfred et à la SAQ.
Les encans
Depuis la pandémie, le nombre de ventes de vins a aussi grimpé en flèche au sein d’Enchères Champagne, l’un des deux encans (avec Iegor) qui permettent légalement les transactions de produits vinicoles entre particuliers au Québec.
En 2023, au moins six encans de plus de 200 lots de produits ont été supervisés par l’entreprise montréalaise. « Le double d’il y a cinq ans », affirme son vice-président, Christopher Champagne. Ici aussi, une commission de 20 % du montant de la vente est retenue. Une partie est versée à l’encan, l’autre à la SAQ.
Parmi les plus importantes ventes conclues depuis le début de 2024, Christopher Champagne cite un lot de neuf grands crus de Bordeaux de l’année 2005, incluant un Château Cheval Blanc, un Château Lafite Rothschild ainsi qu’un Petrus, qui s’est vendu 14 000 $. Une bouteille Romanée-Conti 1985, vendue 12 000 $ aux enchères, se hisse, elle aussi, dans le cercle des transactions majeures de l’année en cours.
La valeur de la plupart des collections de grands crus au Québec oscillerait entre 25 000 $ et 100 000 $. Seulement une cinquantaine d’entre elles dépasserait le cap du million de dollars, nous chuchote une source au sein de cette communauté qui souhaite garder l’anonymat.
Trouver ses grands crus
Les collectionneurs peuvent également participer aux diverses loteries en ligne de la SAQ pour effectuer leurs emplettes. Au fil des ans, le nombre de loteries a justement triplé, pour atteindre la dizaine chaque année. L’an dernier, ce sont plus de 175 000 produits qui ont trouvé preneur grâce à ces tirages ouverts à tous.
Les quelque 300 agences d’importation privée que l’on trouve au Québec font aussi partie des options pour garnir son cellier. « Nos clients investissent en moyenne de 700 $ à 800 $ par année pour acquérir des vins plus nichés. Offerts en quantités très limitées, ce sont, par exemple, de petites perles dénichées en Autriche ou encore des produits sélectionnés pour leur potentiel de garde, tels que des Chablis, des grands crus de Bourgogne, ou qui sont produits en Afrique du Sud », indique Élaine Côté, responsable du service aux particuliers à l’agence Rézin. Créée il y a 25 ans, cette agence travaille avec plus d’une centaine de vignerons de partout sur le globe.
« Généralement, on suggère aux amateurs de vin d’acheter au minium trois bouteilles d’un même produit », conseille Nadia Fournier, chroniqueuse de vin. Cette stratégie, dit-elle, permet d’apprécier le produit à différentes périodes de sa maturité. Selon l’experte, les grands Rieslings allemands sont parmi les trésors vinicoles les plus sous-estimés de la planète. Des vins de garde qui demeurent élégants, fruités et qui ne prennent pas de rides avec les années.
Conserver ses trésors
Pour conserver les grands vins à la maison, le cellier est indispensable. Cet accessoire propose des conditions idéales pour maximiser le vieillissement du vin : une température ambiante de 12 °C à 14 °C, un environnement sans vibrations ainsi qu’un taux d’humidité se maintenant à plus de 50%. Conseil de pro : on privilégie les formats de plus de 100 bouteilles pour ne pas se retrouver à l’étroit. Ces versions coûtent en moyenne de 2000 $ à 3000 $.
Il existe aussi les caves à vin sur mesure. Un produit en pleine expansion, confirme le directeur de compte de 12° en cave, Éric-Olivier Panneton. L’an dernier, l’entreprise montréalaise a réalisé plus de 1300 projets, le double d’il y a cinq ans. Ces produits sur mesure s’invitent de plus en plus comme mur séparateur entre le salon et la salle à manger d’une maison ou d’un appartement en copropriété, dit-il. En moyenne, la clientèle a payé entre 10 000 $ et 20 000 $ pour ce type de cellier moderne et stylisé contenant 350 bouteilles.
Faire ses devoirs
Avant de se lancer dans l’aventure des grands vins, toutefois, on fait ses devoirs. « Bâtir un solide cellier n’est pas tant une question d’argent que de temps et de recherches effectuées pour savoir ce que l’on souhaite boire et conserver », avertit Nadia Fournier.
Surtout, insiste-t-elle, il faut goûter. Avant d’investir des centaines de dollars et des années pour faire vieillir leurs vins, les gens devraient goûter au moins une fois de vieux nectars pour voir s’ils aiment ça, conseille-t-elle. « Au fil de ma carrière, j’ai rencontré de trop nombreux amateurs de vins dont la patience n’a pas été récompensée. Ils ont constaté, déçus, qu’ils préféraient le naturel fruité des vins jeunes à celui de sous-bois et de champignon que développent certains vins avec l’âge », raconte l’experte qui a produit « Le guide du vin » pendant près de 20 ans.