Investisseurs: attention aux pratiques d’information financière
Stéphane Préfontaine|Édition de Décembre 2019EXPERT INVITÉ. Deux critères importants dans mes décisions d'investissements sont la ...
EXPERT INVITÉ. Deux critères importants dans mes décisions d’investissements sont la qualité des dirigeants et la durabilité des avantages concurrentiels. À mon avis, ce sont ces deux facteurs qui auront le plus d’effet sur le succès à long terme. C’est important puisque nous cherchons des entreprises que nous pouvons conserver en portefeuille très longtemps.
Un des aspects de la qualité des dirigeants est leur habileté à créer une culture d’entreprise gagnante. Évaluer la culture implique un jugement sur des éléments intangibles, mais certains éléments plus tangibles peuvent parfois aider. La structure de rémunération des dirigeants est l’un d’eux. Dans ce texte, j’en aborderai plus particulièrement trois autres : les choix comptables sous les PCGR, les profits ajustés ainsi que les indicateurs de succès et leur communication.
Les choix comptables sous les PCGR
La façon de présenter les chiffres selon les Principes comptables généralement reconnus (PCGR) nous donne des indices sur la culture de l’entreprise, en regardant si la direction est plutôt du type «promotionnel» et étire l’élastique pour présenter de meilleurs résultats, ou si elle est prudente et constante d’une période à l’autre. Un grand nombre d’entrées de revenus et de dépenses impliquent un jugement subjectif, des estimations et des projections. Cela requiert pour l’investisseur une lecture assidue des notes aux états financiers. Avec l’expérience, nous finissons par déceler les entreprises qui communiquent clairement et simplement, ne cachent pas des facteurs cruciaux dans les notes aux états financiers et ont à coeur l’intérêt à long terme de leurs actionnaires.
Les «profits ajustés»
Les profits «ajustés» sont la nouvelle norme pour juger de la profitabilité et servent souvent de base aux évaluations. L’objectif de l’ajustement est de donner une meilleure idée de la dynamique réelle d’une entreprise que les PCGR ne permettent pas toujours de dévoiler. Cependant, il n’existe pas de définition uniforme de ces ajustements qui sont à la discrétion des dirigeants, et cela rend les comparaisons encore plus difficiles entre les entreprises et pour la même entreprise d’une période à une autre. La technique la plus courante d’ajustement est d’exclure des dépenses jugées «extraordinaires» et d’ajouter certaines réductions de coûts anticipées pour présenter une meilleure profitabilité sous-jacente. Le «drapeau rouge» auquel les investisseurs doivent porter attention est de savoir si la direction d’une entreprise cotée est incitée à «étirer» les chiffres pour influencer le marché en vue de l’exercice à court terme de leurs options d’achat d’actions.
Les indicateurs du succès et leur communication
Les dirigeants font des choix d’indicateurs de succès. Les entreprises qui mettent de l’avant des cibles de chiffre d’affaires et de bénéfice avant intérêts, impôts, et amortissement (BAIIA) et qui paient des bonis ou émettent des options aux dirigeants s’ils atteignent ces cibles me font souvent lever un drapeau rouge.
Disons de façon générale qu’en plus d’être un chiffre à la discrétion des dirigeants, l’utilisation des BAIIA «ajustés» comme mesure de succès contient des limites importantes :
1. Le BAIIA ne tient pas compte des dépenses en immobilisations nécessaires pour continuer à opérer ou pour faire croître l’entreprise, ni de la gestion efficiente du fonds de roulement, ni du coût des acquisitions, ni des impôts ;
2. Le BAIIA ne tient pas compte du risque d’affaires, représenté en partie par le levier opérationnel (poids des frais fixes).
De façon générale, une bonne mesure de succès devrait considérer ce qui reste vraiment aux actionnaires après toutes les dépenses, incluant les immobilisations et en tenant compte du coût du capital. Sans entrer dans le détail des types d’entreprises et d’industries, j’aime voir des cibles de flux de trésorerie libres et de rendement sur le capital investi.
À part les chiffres, un accent mis dans les communications sur le renforcement des actifs stratégiques de l’entreprise et la réduction des risques d’affaires est révélateur d’une vision à long terme; tout comme l’est une discussion sur l’amélioration du positionnement de l’entreprise vis à vis ses clients et fournisseurs qui permettra des hausses de prix et des réductions de coûts futures. C’est la stratégie d’affaires qui m’aidera à estimer la source et la viabilité à long terme des profits. Finalement, je regarde si la direction est disciplinée dans l’allocation du capital excédentaire. Est-elle patiente pour attendre un bon prix pour ses acquisitions ou pour le rachat de ses actions ou est-elle pressée à montrer au marché une croissance, indépendamment du coût de cette croissance ?
En somme, la direction est-elle plus motivée par les profits à court terme et la hausse temporaire du titre en Bourse que par la santé à long terme de l’entreprise ? C’est rarement noir ou blanc, mais plutôt une question de degré ou d’emphase. La nature humaine étant ce qu’elle est, la structure de compensation des dirigeants est importante pour créer un incitatif à une vision à long terme et un «désincitatif» à la comptabilité et à la communication agressives.
EXPERT INVITÉ
Stéphane Préfontaine, LLM, MBA, est président de Préfontaine Capital inc.