Au pays, les dossiers d’insolvabilité — incluant les faillites et les propositions — ont été cette année 22 % plus nombreux pour les huit premiers mois de l’année 2023 que pour l’année 2022 entière, observe Pierre Fortin, président de Jean Fortin et associés, un syndic en insolvabilité. (Photo: 123RF)
Les dossiers d’insolvabilité sont en hausse au pays et les grandes sociétés mondiales sont aux prises avec un problème d’endettement sans équivalent depuis dix ans. Faut-il craindre le pire? Voici quelques conseils pour s’y retrouver malgré la tempête.
Les multinationales ont contracté pour un montant record de 456 milliards de dollars américains (G$ US) de nouvelles dettes nettes au cours de la période 2022-2023. C’est le constat du rapport annuel de Janus Henderson publié cet été, qui suit 933 grandes entreprises publiques non financières à travers le monde.
Cette hausse a porté l’endettement net du panel d’entreprises à 7802 G$ US au 1er juin 2023. C’est le niveau le plus important depuis le début de la compilation des chiffres, en 2014. À taux de change constant, c’est une hausse de 6,2 % sur un an.
Les taux d’intérêt plus élevés risquent de réduire l’appétit des sociétés pour de nouveaux emprunts, note le rapport, ce qui constituerait une bonne nouvelle. Mais si la qualité du crédit des entreprises a bien résisté jusqu’à présent, elle risque de décliner à l’avenir, estime le gestionnaire d’actifs.
Le problème le plus important à surveiller sera peut-être celui du refinancement de la dette, prédit pour sa part Martin Rosenthal, leader pour l’est du Canada de la Division de la stratégie et des transactions à EY-Parthenon.
« Il ne s’agit pas simplement de surveiller le niveau d’endettement, dit-il. Beaucoup d’entreprises ont des dettes à terme et devront les renouveler d’ici peu. Soudainement, en raison de la hausse des taux d’intérêt, leur coût d’emprunt peut passer de 3 %, 4 % ou 5 % à 10 %, 11 % ou 12 %. Ça va faire mal. »
Du gris à l’horizon
La situation va se détériorer avant de s’améliorer. C’est le pronostic de Martin Rosenthal, qui prévoit que la rentabilité de plusieurs entreprises se dégradera en raison d’un service de la dette plus coûteux.
Dans un contexte économique qui semble se dégrader lui aussi, et qui pourrait ainsi affecter la rentabilité des entreprises, ce sera véritablement un double coup que devront encaisser les sociétés. Forcées de payer plus d’intérêt avec moins de profits, un bon nombre d’entre elles se retrouveront sous « énormément de pression ».
À moyen terme, le nombre d’entreprises affectées sera donc à la hausse, anticipe Martin Rosenthal. « Je ne pense pas qu’on ait encore atteint le sommet, surtout dans le contexte où le Bureau du directeur parlementaire du budget, à Ottawa, ne prévoit aucune croissance économique en fin 2023 ni au début de 2024. »
Poussée d’insolvabilité
Les statistiques sur l’insolvabilité ne donnent pas beaucoup plus de raisons d’être optimistes à moyen terme. Au pays, les dossiers d’insolvabilité — incluant les faillites et les propositions — ont été cette année 22 % plus nombreux pour les huit premiers mois de l’année 2023 que pour l’année 2022 entière, observe Pierre Fortin, président de Jean Fortin et associés, un syndic en insolvabilité.
« Si on compare les huit premiers mois de 2023 à la période correspondante en 2022, on constate plutôt une hausse de 36 % », dit-il, ajoutant que l’automne et l’hiver pourraient s’avérer des périodes particulièrement difficiles.
« Il y a un cycle annuel, explique Pierre Fortin. L’été, ce sont les vacances, et en décembre, c’est la période des fêtes. À ces moments-là, les gens ont autre chose à faire que de gérer des dossiers de faillite. Mais entre les deux, en octobre et en mars, c’est là qu’on voit les sommets. »
Avec un certain nombre de prêts d’urgence, offerts par les gouvernements durant la pandémie, qui arrivent à échéance en décembre et en janvier prochains, plusieurs entreprises pourraient être acculées au pied du mur.
« On voit beaucoup de sociétés dans cette situation-là, rapporte Pierre Fortin. Elles ont pris le prêt pour colmater des fuites, mais cet argent n’a pas servi à améliorer leur productivité. Elles auront donc de la difficulté à rembourser. »
Le président s’attend ainsi à une recrudescence importante des dossiers d’insolvabilité dans les mois qui viennent et au cours des deux prochaines années. « Dans la restauration, pour qui l’hiver est une période tranquille, c’est une tempête parfaite qui se prépare. »
Analyser la trésorerie
Que faire, sur le plan de l’investissement?
Pierre Fortin note que le nerf de la guerre, pour les entreprises, est le flux de trésorerie. C’est donc un élément à garder en tête au moment d’analyser une entreprise.
Est-ce qu’une entreprise génère des profits? Si oui, elle pourrait avoir une chance de rembourser ses dettes. Selon lui, la profitabilité est l’élément clé qui donne une marge de manœuvre aux entreprises pour se sortir d’une situation d’endettement.
« Quand on est devant une demande de restructuration d’une entreprise, c’est la première chose qu’on regarde, dit-il. Une entreprise qui génère des profits peut rembourser une partie de ses dettes. Une entreprise qui n’est pas dans cette situation en sera incapable, même si on lui réduit sa dette. »