Dans l'ensemble, les gestionnaires des fonds de couverture ont conservé pour eux-mêmes 64% des rendements au-delà de l’indice LIBOR (un indice sur les prêts interbancaires à court terme) qu'ils ont générés. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Une étude affirme que les gestionnaires conservent la majorité des profits pour eux-mêmes et laissent des miettes aux investisseurs.
Les fonds de couverture représentent un domaine d’intérêt fascinant, pour deux raisons. Premièrement, ils impliquent les stratégies et les instruments les plus sophistiqués, tels que la vente à découvert, les produits dérivés et l’effet de levier. Les gestionnaires de fonds de couverture jouissent d’une liberté sans égal pour maximiser les profits. La deuxième raison est que les fonds de couverture attirent les meilleurs professionnels; la presse financière rapporte régulièrement que certains des traders les plus talentueux quittent leur emploi dans des banques, des sociétés de conseil en placement et des fonds de dotation pour lancer leur propre société de fonds de couverture. Il est bien connu que ces traders — déjà très bien payés par leurs employeurs — sont généralement motivés à partir à leur propre compte par une seule chose: gagner beaucoup plus d’argent pour eux-mêmes. Cette histoire est confirmée par une étude récente d’un trio de professeurs de l’Université Ohio State et de l’Université de l’Arizona.
Dans un article intitulé avec justesse The Performance of Hedge Fund Performance Fees*, les chercheurs ont étudié les performances de près de 6 000 fonds de couverture sur la période 1995 à 2016. Pour éliminer le biais de survie dans les données, ils ont veillé à inclure dans leur base de données tous les fonds qui ont cessé leurs activités au cours de la période sous revue. Fait intéressant, seuls 1 200 fonds avaient survécu du début à la fin de la période de 22 ans.
Leurs constats sont stupéfiants: dans l’ensemble, les gestionnaires des fonds de couverture ont conservé pour eux-mêmes 64% des rendements au-delà de l’indice LIBOR (un indice sur les prêts interbancaires à court terme) qu’ils ont générés, contre seulement 36% pour les investisseurs. En d’autres termes, sur les 5,4% de valeur ajoutée produite par les fonds, les firmes de gestion ont accaparé 3,4% contre seulement 2% pour les investisseurs.
Comment est-ce possible?
Plusieurs facteurs sont à l’œuvre ici. Les fonds de couverture facturent deux types de frais. Il y a tout d’abord un frais de gestion de base qui est calculé en pourcentage des actifs sous gestion: ce pourcentage est de 1,5% dans la présente étude. De plus, il existe une deuxième couche appelée «frais de performance», qui vise à motiver les gestionnaires à maximiser les rendements. Ce frais de performance est calculé comme un pourcentage du rendement du fonds au-delà d’un indice de référence, tel que le rendement de l’indice LIBOR. Le pourcentage typique que les gestionnaires retirent de cet excès de rendement est de 20%.
L’astuce
Individuellement, le frais de performance contractuel des fonds de couverture est d’environ 20% en moyenne. Mais collectivement, les gestionnaires récoltent près de 50% du rendement excédentaire brut, déduction faite du frais de gestion de base. Il y a trois raisons à cela. Premièrement, alors que les gestionnaires qui génèrent des profits perçoivent leur frais de performance de 20%, ceux qui perdent de l’argent ne remboursent pas les investisseurs. Les frais de performance sont asymétriques. Un autre facteur en jeu est que les investisseurs ont tendance à retirer leurs billes lorsque les fonds de couverture qu’il détiennent sous-performent, cristallisant ainsi leur mauvaise performance.
Enfin, les fonds de couverture qui perdent de l’argent connaissent un taux de mortalité élevé qui, une fois de plus, pèse sur la performance collective de l’industrie des fonds de couverture. Détail important, les frais de performance des fonds de couverture sont soumis à un «high watermark»; autrement dit, un fonds de couverture qui tombe dans le rouge ne peut pas percevoir de frais de performance avant d’avoir recouvré intégralement ses pertes. Le «high watermark» est conçu comme une protection pour les investisseurs, mais il entraîne en même temps un effet secondaire négatif. Lorsqu’un fonds de couverture subit de lourdes pertes, la firme de gestion de portefeuille est incitée à cesser les activités du fonds, car la probabilité de percevoir à l’avenir des frais de performance devient extrêmement faible.
Globalement, les gains des fonds de couverture gagnants sont partiellement annulés par les pertes des fonds perdants, de sorte que dans l’ensemble, les frais de performance représentent 49,6% du rendement excédentaire brut, déduction faite du frais de gestion de base!
En fin de compte, les fonds de couverture sont un produit complexe et dispendieux et leurs frais de performance incitent les gestionnaires à prendre de gros risques pour récolter de gros dollars. Si les choses ne se passent pas bien, ils peuvent toujours fermer le fonds et en démarrer un nouveau.
Traditionnellement, les fonds de couverture étaient des placements privés réservés aux investisseurs fortunés. Toutefois, il existe au moins une demi-douzaine de FNB de fonds de couverture au Canada et plus de vingt aux États-Unis.
À mon avis, les investisseurs sont bien mieux servis avec des FNB d’obligations et d’actions qui répliquent fidèlement la performance des marchés mondiaux à faible coût.
Raymond Kerzérho est chercheur principal et chef des services de recherche partagés avec PWL Capital. Il co-anime également le balado Sujet Capital.
*Ben-David, I., Birru, J., Rossi, A., The Performance of Hedge Fund Performance Fees, 2021.