Il n'y a pas si longtemps, le marché de l'usagé semblait être destiné à ceux qui peinent à joindre les deux ...
Il n’y a pas si longtemps, le marché de l’usagé semblait être destiné à ceux qui peinent à joindre les deux bouts. On avait alors en tête le bric-à-brac défraîchi qui s’accumule dans les ventes-débarras et les marchés aux puces.
Or, depuis l’émergence du seconde main en ligne, avec des joueurs tels Kijiji, LesPAC, Amazon et maintenant Facebook Marketplace, les articles usagés attirent une nouvelle clientèle de toutes les classes sociales qui peuvent désormais faire des achats d’objets chers, mais usagés. L’indice Kijiji 2019 nous apprend d’ailleurs que 35 % des gens qui participent à l’économie de seconde main ont des revenus annuels dépassant les 80 000 dollars.
Mathieu Tremblay, fin vingtaine, en est l’exemple parfait. Adepte du vélo de route, membre d’un club cycliste, il s’équipe exclusivement dans le haut de gamme. Sauf qu’il achète tout en seconde main, ce qui lui permet d’adoucir la facture. Il possède un vélo Louis Garneau Gennix R1 tout carbone qui vaut 10 000 dollars, mais payé 3 300 dollars, et un capteur de puissance Stages à 1 000 dollars, payé 350 dollars, le tout trouvé sur le groupe Facebook «Indépendant CC-Le bazar».
Sa conjointe et lui ont des revenus qui les placent dans la classe moyenne supérieure. Certes, ils ont une fille de 2 ans et une maison à payer, mais il a les moyens de s’offrir du neuf. «C’est sûr, admet-il. Mais on devrait faire des compromis ailleurs : je joue aussi au hockey et au golf, nous voyageons. Et ça laisserait moins d’argent pour la retraite.»
Colette Kikongi, 33 ans, vit elle aussi une passion par des achats de seconde main. Son faible, c’est la haute couture. Elle fréquente les boutiques de vêtements en consigne, ainsi que les sites spécialisés dans la haute couture de seconde main. Les perles qu’elle a dénichées : une jupe tailleur Dolce & Gabbana qui vaut au-dessus de 400 dollars, payée 50 dollars dans une boutique de vente en consignation. Une blouse Prada qui vaut près de 300 dollars, payée 70 dollars en liquidation.
En théorie, ce sont des articles qu’elle pourrait se payer neufs grâce à son emploi de professionnelle à la SCHL. Sauf que voici : «Je n’ai pas la patience d’épargner pour acheter les items de luxe que j’aime, avoue-t-elle candidement. Et comme l’offre est vraiment très intéressante dans le seconde main, j’ai trouvé cette solution qui répond bien à mon besoin.»
Un marché en effervescence
Se tourner vers le seconde main pour s’offrir des produits haut de gamme est une tendance mondiale. Un rapport de la firme Bain & Company montre que les dépenses en biens personnels de luxe (une catégorie incluant vêtements, montres, bijoux et autres accessoires) de seconde main ont augmenté de 28 % en trois ans à l’échelle mondiale, passant de 25 milliards de dollars en 2015 à 32 milliards de dollars en 2018.
«La croissance se fait sur deux plans, explique Myriam Ertz, responsable du Laboratoire sur les nouvelles formes de consommation de l’Université de Chicoutimi (UQAC) et membre du groupe de recherche de l’Indice Kijiji. Les dépenses en produits de luxe sont en progression partout dans le monde. Puis, il y a l’économie de seconde main qui, de manière générale croît encore plus fortement.» C’est aujourd’hui 82 % des Canadiens qui participent à l’économie de seconde main. Et le nombre annuel de biens échangés par personne ne cesse d’augmenter, passant de 76 en 2014 à 82 en 2018.
Au-delà des chiffres et des études, il suffit de naviguer sur les différentes plateformes de revente pour constater l’abondance de produits haut de gamme. Un vélo Trek Madone SLR 9 Disc 2019 détaillé à 17 900 $ sur le site du fabricant se vend à 10 500 dollars sur Facebook Marketplace. Une robe neuve Prada de 2 500 dollars est vendue 198 dollars sur le site Deuxième édition. Une montre Baume & Mercier d’une valeur de 2 407 dollars, neuve, est affichée à 910 dollars sur Collector Square.
D’où proviennent tous ces biens ? L’Indice Kijiji 2017 nous donne une première piste. Parmi les profils de vendeurs les plus actifs répertoriés dans cette édition, on trouve le «banlieusard prospère», qui a un revenu familial moyen de 190 797 dollars ; c’est le voisin gonflable qui, périodiquement, fait du ménage dans son garage en revendant des articles haut de gamme qu’il a à peine utilisés.
«Il existe plusieurs profils, précise Myriam Ertz. On voit beaucoup d’échanges de consommateur à consommateur. Mais il y a aussi des entreprises qui vendent directement aux consommateurs des produits qui ont été réusinés ou simplement retournés ; on parle alors de biens «préacquis» plutôt que «usagés». Puis, il y a des entreprises qui développent leur modèle d’affaires principalement autour du seconde main, des entreprises, par exemple, qui créent des applications pour faciliter la revente ou la location de vêtements.»
Le seconde main comme philosophie
Dans l’Indice Kijiji 2018, les acheteurs étaient appelés à évaluer leurs motivations à recourir au seconde main. La motivation la plus forte était économique (avec une note de 72/100), ensuite écologique (67/100) et finalement pour dénicher des perles (55/100).
Mathieu Tremblay, lui, y va d’abord pour les économies : «Étudiant, j’achetais toujours usagé parce que j’avais des moyens limités. Puis, lorsque j’ai eu un bon emploi, je ne voyais pas l’intérêt de payer 50 % plus cher pour du neuf. Puis, si je me fais «avoir» une fois ou deux avec des produits défectueux, je vais quand même économiser à long terme. Il faut dire que j’applique cette règle pour les autres achats de ma vie : auto, articles de bébé, etc.»
Pour Colette Kikongi, le simple geste d’acheter un vêtement haut de gamme a aussi une connotation écologique. «J’ai toujours eu une aversion envers la production rapide et les vêtements qui ne sont pas durables. Qu’on le veuille ou non, il y a une qualité qui vient avec les items de luxe. La jupe Dolce & Gabbana que j’ai achetée il y a plus de 10 ans est encore impeccable.»
Dans son cas, l’habitude du seconde main remonte à l’enfance. «Ma mère vient d’une fratrie de cinq enfants, où les vêtements passaient du plus vieux au plus jeune. C’est sous ce modèle que j’ai été élevée, en récupérant les vêtements des amis. Je me suis alors rendu compte que je pouvais avoir accès à une grande variété de styles. Mon conjoint et moi avons adopté cette philosophie pour notre famille. On achète presque tout de seconde main.»
Un bel avenir pour le seconde main de luxe
Dans son rapport 2018, Bain & Company annonce une croissance annuelle de 3 % à 5 % du marché des biens personnels de luxe, et ce, jusqu’en 2025. Comme la ferveur du seconde main ne semble pas vouloir s’essouffler, on peut raisonnablement conclure que le seconde main «de luxe» a de belles années devant lui.
La question qui se pose alors est la suivante : que se passera-t-il quand tous les acheteurs «de neuf» passeront à l’usagé et que plus personne ne voudra s’engager à faire l’achat initial qui dévalue le produit ? «Je serai peut-être obligée de m’habiller avec des sacs de patates !» plaisante Colette Kikongi, qui ne se voit pas payer le gros prix pour les beaux vêtements qu’elle aime tant porter.
Un bel avenir pour le seconde main de luxe
Dans son rapport 2018, Bain & Company annonce une croissance annuelle de 3 % à 5 % du marché des biens personnels de luxe, et ce, jusqu’en 2025. Comme la ferveur du seconde main ne semble pas vouloir s’essouffler, on peut raisonnablement conclure que le seconde main «de luxe» a de belles années devant lui.
La question qui se pose alors est la suivante : que se passera-t-il quand tous les acheteurs «de neuf» passeront à l’usagé et que plus personne ne voudra s’engager à faire l’achat initial qui dévalue le produit ? «Je serai peut-être obligée de m’habiller avec des sacs de patates !» plaisante Colette Kikongi, qui ne se voit pas payer le gros prix pour les beaux vêtements qu’elle aime tant porter.