Le ratio cours/bénéfice prévisionnel: gare aux impondérables!
Simon Lord|Édition de la mi‑octobre 2020Le ratio cours/bénéfice fait partie des indicateurs financiers les plus connus et les plus utilisés. Son proche ...
Le ratio cours/bénéfice fait partie des indicateurs financiers les plus connus et les plus utilisés. Son proche cousin, le ratio cours/bénéfice prévisionnel, remplace le bénéfice actuel par le bénéfice prévu au cours des 12 prochains mois. Une mesure potentiellement utile… quand l’économie est stable.
Comment se calcule le ratio cours/bénéfice prévisionnel, plus précisément ? Tout simplement en divisant le cours actuel de l’action par une prévision des bénéfices par action au cours des 12 prochains mois. Généralement, le consensus des analystes est utilisé, bien qu’il soit aussi possible de faire notre propre prévision.
D’emblée, ce ratio peut sembler drôlement utile si nous désirons évaluer une société. Comme un investisseur s’intéresse à la rentabilité future d’une entreprise, ce ratio peut avoir l’air plus pertinent que le simple ratio cours/bénéfice, ou encore d’autres mesures financières.
Il a effectivement des avantages, note Bernard Gauthier, gestionnaire de portefeuille, actions canadiennes, chez Jarislowsky Fraser. «C’est un outil qu’on peut utiliser pour évaluer combien on paie pour une entreprise en fonction de la croissance de ses profits», dit-il. L’indicateur peut aussi être utilisé pour comparer une entreprise à son propre historique, ou par rapport à une autre similaire, pour essayer de déterminer si un titre est surévalué ou sous-évalué.
Si la Banque Royale, par exemple, s’échange à un multiple de 12 fois les profits prévus, et qu’une autre banque américaine est à 15 fois, on pourrait croire que la Banque Royale sera un meilleur titre à détenir. «En même temps, peut-être que l’écart est justifié, dit Bernard Gauthier. Peut-être, par exemple, qu’il existe une différence dans le capital détenu. Il faut toujours tenter de déterminer s’il y a quelque chose qui peut justifier l’écart.»
Le problème de la prévision
L’ennui, avec le ratio cours/bénéfice prévisionnel, c’est qu’il se base sur une prévision. Le ratio n’est donc seulement aussi bon que la prévision sous-jacente. «Il n’y a personne, vraiment, qui est capable d’estimer précisément les bénéfices par action dans les 12 prochains mois, dit Bernard Gauthier. Il y a tellement d’impondérables, surtout dans le contexte économique des derniers mois, à cause de la COVID-19.»
C’est sans compter que lorsque l’économie va mal, et par conséquent la Bourse aussi, les bénéfices ont tendance à diminuer plus rapidement que les ratios. Le chiffre peut donc être trompeur.
À la fin septembre, par exemple, le ratio cours/bénéfice prévisionnel du S&P 500 était de 21. La moyenne des cinq années précédentes était d’environ 15. «Mais ça ne veut pas dire que le marché est nécessairement plus cher, dit Bernard Gauthier. Ça signale surtout que beaucoup de compagnies sont moins profitables.»
Pour cette raison, Bernard Gauthier dit se servir du ratio cours/bénéfice prévisionnel surtout quand l’environnement économique est plus stable. Quand les marchés financiers connaissent une période difficile, il se fie à d’autres indicateurs.
«On peut calculer le ratio cours/bénéfice en utilisant les bénéfices dans trois ans. Dans le cas des banques, par exemple, on pourrait aussi utiliser le ratio du cours par rapport à la valeur comptable moyenne, qui est plus stable dans le temps tout en étant lié à la profitabilité. C’est une affaire de jugement.»
Pas de profits, pas de ratio
Une autre des limites du ratio cours/bénéfice prévisionnel est que celui-ci peut se calculer uniquement pour les entreprises qui affichent un bénéfice, rappelle Karine Turcotte, gestionnaire de portefeuille et associée chez Medici.
«Si on regarde des entreprises comme Shopify ou Amazon, qui réinvestissent leurs profits pour prendre de l’expansion et faire de la R-D, le ratio calculé donnera l’impression que les titres sont chers, explique-t-elle. Il faut donc faire très attention quand on calcule ce ratio-là.»
Karine Turcotte explique également que certaines entreprises sont cotées au Canada, ce qui fait que le cours sera en dollars canadiens, mais rapportent leurs bénéfices en dollars américains puisque ce sont des entreprises internationales. Naturellement, pour un analyste novice, cela peut porter à confusion.
La gestionnaire de portefeuille met donc en garde les investisseurs qui font leurs premiers pas, et les invite à la prudence. «Il faut faire attention, dit-elle. On doit comprendre ce qu’on fait. C’est risqué de simplement se lancer à calculer le ratio cours/bénéfice prévisionnel pour une foule d’entreprises, et de s’en servir ensuite pour trier les entreprises et sélectionner celles qui ont l’air moins cher que le marché.»
Il importe donc de comprendre notamment le modèle d’affaires, de déterminer si l’industrie est sur une lancée ou si elle est en train de péricliter, et de tenir compte de plus d’une mesure dans notre analyse.
«Il n’y a personne, vraiment, qui est capable d’estimer précisément les bénéfices par action dans les 12 prochains mois.»
Bernard Gauthier, gestionnaire de portefeuille, actions canadiennes, chez Jarislowsky Fraser