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L’économie canadienne est-elle en bonne santé?

Morningstar|31 mai 2024

L’économie canadienne est-elle en bonne santé?

La confiance dans le huard est faible et s’atrophie. (Photo: 123RF)

Comme le pouls d’une personne, la monnaie d’un pays est un signe vital de son état de santé général. Or, depuis le début de l’année, le huard est apathique, triste et déprimé.

L’un des principaux moteurs du dollar canadien, le prix du pétrole, n’apporte plus son soutien traditionnel. Alors que le baril de brut est passé de 74 $US à 87 $US entre le 1er janvier et le 1er avril 2024, le huard a glissé vers le bas, passant de 0,76 $US à 0,74 $US.

Le même constat s’applique à d’autres matières premières qui donnaient de l’élan à notre oiseau national. La hausse de l’or et du cuivre de 9% et 5% respectivement a quand même vu notre huard planer vers le bas.

 

Le huard porte trop de charges

Le lien entre le huard et les matières premières «n’est pas rompu, mais affaibli», observe David Rosenberg, président et fondateur de Rosenberg Research. De nombreux autres facteurs exercent une pression à la baisse sur le dollar, rompant ainsi le lien traditionnel avec les matières premières.

Tout d’abord, insiste David Rosenberg, notre huard ne vole pas seul, mais en groupe. «La monnaie est un échange qui mesure une devise par rapport à une autre, qui agit comme un baromètre de confiance», poursuit-il. Et la comparaison cruciale est inévitable avec le billet vert de notre voisin, qui flotte sur un taux de croissance du PIB de 3%, alors que les ailes du huard manquent de soutien sur une croissance du PIB bien inférieure à 1%. «Malgré la poussée de l’immigration, souligne David Rosenberg. En termes réels par habitant, notre économie est en déclin ; nous sommes de moins en moins compétitifs par rapport aux États-Unis. Nous compterons de plus en plus sur un huard affaibli pour équilibrer notre économie avec le reste du monde. Nous acceptons une réduction de salaire parce que nous avons besoin du huard pour compenser notre faiblesse croissante».

La confiance dans le huard est faible et s’atrophie. Les raisons en sont nombreuses. L’un des principaux indicateurs de la vitalité économique, la productivité, est au plus bas. «En 2023, la productivité était négative à 0,5%, tout comme en 2022, où elle était de -0,6%», explique Mathieu Arseneau, économiste en chef adjoint à la Banque Nationale du Canada. «Il s’agit d’une baisse de notre niveau de vie.»

La plainte concernant la productivité anémique du Canada n’est pas nouvelle, mais les récentes lectures négatives ne devraient pas être alarmantes, estime Thomas Torgerson, directeur général, notations souveraines mondiales chez Morningstar DBRS. «L’arrivée d’un grand nombre de nouveaux travailleurs peut faire baisser le salaire moyen, ce qui peut donner l’impression que la productivité est plus faible. Mais ce n’est pas une raison pour paniquer».

 

Le Canada investit la moitié de ce qu’investissent les États-Unis

Le niveau anémique de l’investissement en capital est une source d’inquiétude certaine. Au cours du dernier trimestre 2023, l’investissement par travailleur était de 14 500 $ au Canada et de 27 800 $ aux États-Unis. «Les États-Unis investissent deux fois plus que nous, qu’il s’agisse de l’installation d’une nouvelle machine de fabrication, de la construction d’un entrepôt ou du développement d’une application logicielle», explique Bill Robson, président-directeur général de l’Institut C.D. Howe. «C’est un écart énorme, qui s’est creusé au cours de la dernière décennie.»

«Le niveau des dépenses d’investissement des entreprises dans ce pays n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était il y a vingt ans! déplore David Rosenberg. Il s’agit d’une véritable crise et c’est pourquoi le dollar canadien est confiné à l’infirmerie. Au lieu d’investir localement, les entreprises canadiennes prennent leurs capitaux et les déploient dans d’autres régions où ils sont bien accueillis. Au Canada, nous avons un gouvernement qui aime attirer les gens, mais le capital physique qui génère la croissance future de la productivité, lui, pas autant.»

En effet, ce ne sont pas seulement les entreprises et les investisseurs étrangers qui contournent le Canada, mais aussi nos principaux réservoirs de capitaux, les grands fonds de pension du pays. «Il me semble que les fonds de pension se trompent sur la manière dont ils s’acquittent de leur obligation fiduciaire, déclare Bill Robson. J’aurais tendance à privilégier les actifs domestiques, car, pour commencer, vous payez en dollars canadiens.»

Alors que les investisseurs nationaux et étrangers évitent le Canada, le gouvernement fédéral représente 27% de l’économie, calcule David Rosenberg, ajoutant qu’il constitue une présence massive qui interfère avec l’investissement, principalement par le biais des impôts et de la réglementation. «Le Canada avait un avantage dix ans plus tôt avec Paul Martin grâce à des taux d’imposition plus faibles sur les investissements, révèle Bill Robson. Mais les choses ont empiré depuis, en partie à cause de toute la rhétorique sur la taxation supplémentaire des bénéfices.»

 

Traiter le capital productif de la même manière que le résidentiel

Le remède semble évident, selon Bill Robson et David Rosenberg : réduire l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur les gains en capitaux. Mais dans le dernier budget, le gouvernement libéral a annoncé une augmentation du taux d’imposition des gains en capital. «Exactement ce qu’il ne fallait pas faire», tranche Bill Robson.

Selon David Rosenberg, le logement est l’actif emblématique du Canada et le plus prisé de tous, incarnant ce qui ne va pas avec l’économie canadienne. Il rappelle un point aveugle potentiel de la communauté des gestionnaires de patrimoine : «Pendant les dix années où j’ai travaillé à New York pour Gluskin Sheff, dit-il, jamais personne ne m’a posé la question que les gens posent constamment au Canada : “Où vont les prix des maisons?»

Notre fixation sur le logement est une obsession, pourtant une maison n’est pas un actif productif, insiste David Rosenberg. Au Canada, cet actif clé n’est pas taxé lorsqu’il s’agit de la résidence principale d’une personne. «Nous pouvons vendre notre résidence principale en franchise d’impôt, ce que nous revendiquons comme un droit fondamental, ajoute-t-il. Mais nous devrions traiter les investissements d’affaires de la même façon que le logement. Je considérerais la plus-value sur la vente d’une maison comme un actif imposable plutôt que de taxer les gains en capital productif.»

 

Un texte de Yan Barcelo pour Morningstar