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Les banques ont un problème de crédibilité, selon Tim Johal

Morningstar|Publié le 01 septembre 2023

Les banques ont un problème de crédibilité, selon Tim Johal

«Les banques centrales sont passées d'une situation où elles considéraient l'inflation comme plus transitoire et ne bougeaient pas sur les taux à court terme, à une situation où elles ont augmenté les taux au rythme le plus rapide de l'histoire moderne», dit Tim Johal. (Photo: 123RF)

Les forces inexorables de l’inflation, conjuguées à de solides chiffres de l’emploi et à des signaux contradictoires de la part des banques centrales, ont produit un marché boursier canadien qui semble resté dans les limbes. Néanmoins, le gestionnaire Tim Johal de Mackenzie affirme que face à l’incertitude et à la volatilité persistantes, il est préférable de se concentrer sur les entreprises dont les flux de trésorerie sont solides et les dividendes fiables. 

« Au début de 2023, les multiples s’étaient contractés et les prévisions de bénéfices un peu réduites. Le consensus prévoyait une récession au premier semestre 2023, mais il est devenu évident que la récession ne se produirait pas au cours du premier semestre, et les bénéfices des entreprises se sont avérés plus persistants que prévu », dit Tim Johal, vice-président de la société torontoise Placements Mackenzie et vétéran de 25 ans dans l’industrie. Ce dernier est le gestionnaire principal du Fonds de dividendes canadiens Mackenzie F, c’est-à-dire 2,4 milliards de dollars d’actifs sous gestion.

Tim Johal, vice-président de la société torontoise Placements Mackenzie et vétéran de 25 ans dans l’industrie (Photo: courtoisie)

Quand la récession se produira-t-elle? 

En ce qui concerne l’avenir, Tim Johal admet qu’il y a beaucoup d’incertitude sur les marchés. «Y aura-t-il une récession? Et si oui, quand? L’utilisation d’un processus ascendant s’explique en partie par le fait qu’une approche macroéconomique a été très difficile. Le marché parle de récession depuis plus d’un an. Quiconque s’était positionné en prévision d’une récession n’aurait pas été bien servi. Compte tenu de cette incertitude, je m’attends donc à une volatilité persistante et à des attentes modestes en matière de rendement. En fait, cette approche favorise les actions à dividendes et les sociétés qui versent de l’argent liquide aux actionnaires.» 

Alors que le consensus a changé et prévoit une récession plus probable à la fin de 2023 et au début de 2024, l’équipe de Mackenzie a anticipé une récession de type «atterrissage en douceur» en 2023. Remarquablement, dit Tim Johal, les marchés boursiers ont mieux accepté le risque. 

«Le consensus s’oriente désormais vers un atterrissage en douceur plutôt qu’en catastrophe. La différence entre les deux points de vue réside dans l’ampleur de la contraction possible de l’emploi et dans les dommages que cela causerait à l’économie. Mais cela a provoqué un mouvement en direction du risque sur les marchés boursiers.» 

Par ailleurs, jusqu’à la faillite de deux banques américaines en mars, la Réserve fédérale avait utilisé le resserrement quantitatif et les hausses de taux pour réduire la liquidité dans le système. « Mais de façon perverse, lorsque les banques se sont effondrées, la Fed y a en fait réinjecté de la liquidité, pour s’assurer de son bon fonctionnement. À mon sens, cette injection de liquidité a excessivement dopé la reprise et les multiples ont été revus à la hausse », dit Tim Johal.   

 

Problème de crédibilité 

Bien que l’inflation ait peu à peu diminué, Tim Johal estime que le principal souci est l’inflation des salaires, qui est alimentée par des chiffres de l’emploi solides. «Les marchés de l’emploi restent tendus. Aux États-Unis, pour chaque demandeur d’emploi, il y a 1,7 poste vacant. La Fed souhaite que la croissance des salaires diminue, mais il n’y a aucun indicateur qui nous montre que cela ira dans ce sens jusqu’à présent», explique Tim Johal. 

«Le problème de la croissance des salaires est que l’on peut entrer dans une « spirale » des prix salariaux, où les salaires continuent d’augmenter, ce qui stimule la demande et la tarification des biens et des services. Cette spirale peut empêcher la Fed d’atteindre son objectif d’une inflation de 2 %. La Fed devra prendre les devants. C’est le risque auquel elle est confrontée : qu’elle doive continuer à relever les taux. Mais le marché ne tient pas compte de ce risque. Il pense que tout va bien». 

Bien que Tim Johal soit essentiellement un spécialiste du choix d’actions, il s’inquiète bel et bien des développements macroéconomiques. « Les banques centrales ont comme qui dirait un problème de crédibilité. Elles sont passées d’une situation où elles considéraient l’inflation comme plus transitoire et ne bougeaient pas sur les taux à court terme, à une situation où elles ont augmenté les taux au rythme le plus rapide de l’histoire moderne », dit Tim Johal. 

« La Fed a commencé à relever ses taux en mars 2022, mais nous n’avons pas encore vu l’effet du passage de 0,25 % à 5 %. C’est un risque. A-t-elle été trop dynamique ou pas assez? Il faut attendre un peu pour voir. » 

Entre-temps, Johal note que la reprise du marché s’est limitée à certains acteurs technologiques, tels que Microsoft (MSFT), Alphabet (GOOG) et Meta Platforms (META). À l’inverse, les secteurs les moins performants sont les services publics, les services de télécommunications et les services financiers, sur lesquels Tim Johal et son équipe concentrent leurs efforts.

 

Surclassement à long terme

« Notre approche descendante est importante en termes de construction de portefeuille et de niveau de risque que nous sommes prêts à prendre dans certaines positions, et de degré de concentration dans le portefeuille. Elle joue également un rôle dans la modélisation de nos sociétés et de leurs prévisions de bénéfices, dit Tim Johal. Nous réfléchissons à des questions telles que : où se trouve la récompense potentielle sur le marché ? Quels sont nos objectifs de prix et quel est le rendement que nous attendons de nos titres? Et surtout, quel est le niveau de risque que nous prenons pour atteindre ces objectifs de prix? 

Tim Johal note que, de temps en temps, le groupe est à contre-courant et vend ou élague des actions proprement valorisées. « Nous voulons être payés pour les risques que nous prenons. Si nous ne sommes pas payés, nous vendrons ou élaguons ces actions », explique-t-il, précisant qu’il a vendu certains noms technologiques et de consommation discrétionnaire qui avaient atteint leurs objectifs de prix, mais étoffé d’autres noms dans les services publics et la consommation de base qui étaient devenus attrayants. Les règles de conformité l’empêchent d’être plus précis. 

Du point de vue du rendement, le Fonds de dividendes canadiens Mackenzie F a enregistré un rendement de 1,61 % du début de l’année au 29 juin, contre 2,49 % pour la catégorie Actions canadiennes de dividendes et de revenu. Cependant, sur une base de 5 ans et de 10 ans, le fonds a surclassé la catégorie. Il a affiché un rendement annualisé de 6,93 % et de 8,17 % pour les périodes correspondantes, la catégorie ayant pour sa part enregistré un rendement annualisé de 6,11 % et 6,96 %. 

Tim Johal remarque qu’en 2022, le fonds a connu une forte performance relative, mais qu’il en a perdu une partie, principalement dans sa partie américaine. « Cette année, les positions défensives aux États-Unis n’ont pas été aussi performantes qu’en 2022. Nous sommes davantage axés sur la valeur. Mais la croissance a fonctionné sur le marché américain et cela nous a fait du tort », admet le gestionnaire, qui ajoute que le fonds n’a pas acquis de sociétés d’ingénierie et de construction très performantes parce qu’elles sont chères et qu’elles ne génèrent pas de dividendes.

 

Les actions canadiennes semblent plus attrayantes

D’un point de vue stratégique, le fonds est réparti entre 80% d’actions canadiennes, 16% d’actions américaines et 4% d’actions internationales. « Il y a de bonnes raisons d’investir dans une stratégie de dividendes canadiens. Le Canada est un marché axé sur la valeur et son prix est très raisonnable », dit Tim Johal, qui note que l’indice composé S&P/TSX qui est son point de référence se négocie à 13,2 fois ses bénéfices prévisionnels, contre 19,5 fois pour l’indice S&P 500. 

En fait, selon Johal, dans un environnement où les rendements peuvent être plus modestes, le rendement en dividendes devrait représenter une plus grande part du rendement total à l’avenir. « Cela n’a pas été le cas au cours des dix dernières années sur les marchés américains et mondiaux, dit-il, mais si l’on remonte des décennies en arrière, le rendement en dividendes a représenté plus de la moitié du rendement total au fil du temps. Si nous revenons à un environnement plus « normal », où les dividendes représentent une part plus importante du rendement total, le Canada en profitera, car c’est un marché au rendement plus élevé. L’indice composé S&P/TSX affiche un rendement en dividendes de 3,6 %. Pour l’indice S&P 500, le rendement n’est que de 1,6 %. Si les dividendes doivent jouer un rôle important dans le rendement total, le Canada semble naturellement plus attrayant ». 

Le portefeuille, qui compte environ 45 actions canadiennes et quelque 90 actions américaines et internationales, est réparti par secteurs : 37,4 % dans les services financiers, 16 % dans l’énergie, 8,8 % dans les valeurs industrielles, 5,9 % dans les services publics, 5,5 % dans la consommation cyclique et de plus petites positions dans des secteurs tels que les matériaux de base et la consommation défensive. Le rendement sous-jacent global du fonds est de 3,8 avant les frais.

 

Leurs principales actions 

L’un des principaux titres est la Financière Sun Life (SLF), grande compagnie d’assurance qui détient des participations sur les marchés canadiens, américains et asiatiques. «Il s’agit d’une société de qualité supérieure dirigée par une équipe de gestion très solide et compétente, qui a su ajouter de la valeur au fil du temps. Elle y est parvenue en adoptant une culture du risque très forte», dit Tim Johal. Il note que l’entreprise dispose de trois soi-disant moteurs qui vont impulser les bénéfices :

1. L’investissement dans les activités d’assurance santé et d’assurance collective aux États-Unis, où Tim Johal voit une croissance significative, sur la base d’un capital allégé.

2. La plateforme de gestion d’actifs alternatifs de la Sun Life, pour laquelle Tim Johal prévoit une forte croissance.

3. Les activités asiatiques de la compagnie, qui connaissent également une forte croissance ajustée selon le risque.

 

La FSL se négocie à 10,5 fois son bénéfice prévisionnel, ce qui est légèrement inférieur à son ratio cours-bénéfice historique de 11,5. Son rendement en dividendes est de 4,4 %. « À moyen terme, nous voyons un fort potentiel de rendement à deux chiffres. » 

Emera (EMA), une société canadienne de services publics spécialisée dans la transmission et la distribution d’électricité en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve, en Floride, au Nouveau-Mexique et dans les Antilles, figure également parmi les meilleurs titres de l’indice. 

« Le moteur de l’action est la Floride, qui est en situation de croissance démographique », précise Tim Johal, ajoutant que le bénéficiaire est Tampa Electric, ou Teco, société dont Emera a fait l’acquisition en 2015. « Teco connaît une très forte croissance de sa charge de base, qui dépasse ce qu’Emera observe sur d’autres marchés. Par ailleurs, EMA a quelques centrales au charbon qu’elle est en train de convertir à l’énergie solaire, ce qui améliorera son score ESG (environnemental, social et de gouvernance). « Cet investissement lourd contribuera également à la croissance de sa charge de base. » 

Ema, dont le rendement en dividendes est de 5,2 %, se négocie à 16 fois son ratio cours-bénéfice prévisionnel, contre un ratio historique de 18 fois. «Elle a un certain effet de levier sur le bilan. Mais la création de flux de trésorerie disponible y a été forte et nous pensons qu’Emera aura la capacité de réduire sa dette, dit Tim Johal. Cela devrait entraîner une réévaluation de l’action à la hausse.»