Les investisseurs qui garderont le cap seront récompensés. (Photo: 123RF)
Les marchés de revenu fixe sont fébriles en raison des hausses de taux qui doivent être appliquées par les banques centrales en réaction à la poussée inflationniste actuelle. Et bien que les obligations de sociétés aient plus souffert que les titres gouvernementaux, le gestionnaire aguerri du revenu fixe Patrick O’Toole affirme que ces craintes sont surfaites et que les investisseurs patients seront récompensés.
«Nous nous attendions bien à ce que l’inflation soit plus problématique que ce que l’on pensait généralement pendant la deuxième moitié de 2021, bien que nous n’ayons pas prévu qu’elle fût aussi forte», dit Patrick O’Toole, vice-président, revenu fixe mondial à Gestion d’actifs CIBC (Toronto), et gestionnaire principal du Fonds d’obligations de sociétés Renaissance, série F. Nous réduisions les risques l’année dernière, puisque les écarts du crédit étaient assez faibles. Nous commençons maintenant à voir que les écarts du crédit sont de nouveau en train de redorer leur blason. Leur baisse a été importante au point d’en faire un des marchés baissiers les pires que l’on ait vus au Canada depuis les années 1950.»
Selon Patrick O’Toole, le marché est à un stade où les investisseurs pourraient chercher de nouveau à ajouter des obligations et où les gestionnaires de portefeuilles pourraient chercher de nouveau à acheter plus d’obligations à long terme. «Nous ne pensons pas que 2022 sera une réédition de 2021, où les rendements ont été négatifs.»
Le repli économique ne va pas se prolonger
Un vétéran qui a passé 33 ans dans l’industrie, entré à CIBC en 2004 et membre d’une équipe de 28 personnes qui supervise 85 milliards de dollars d’actifs à revenu fixe, Patrick O’Toole ne croit pas que le repli économique se prolongera, et même, le point le plus bas pourrait en être la fin de ce trimestre ou le début du trimestre prochain.
«Le marché intègre à ses prix pas mal de mauvaises nouvelles dans le domaine de l’inflation : six ou sept hausses de taux chacune pour la Réserve fédérale et la Banque du Canada. Nous croyons plutôt que nous n’en verrons que la moitié, que la croissance va ralentir et que l’inflation va elle aussi chuter après un mois ou deux.»
Le taux d’inflation aux États-Unis e été de 7% en janvier (5% au Canada), ce que Patrick O’Toole décrit comme «un pic de plusieurs décennies». Il maintient néanmoins que «c’est pratiquement un fait acquis: l’inflation va ralentir pendant la deuxième moitié de l’année. Les chiffres d’inflation mensuelle élevés que nous avons connus pendant la première moitié de 2021 n’entreront pas dans l’équation annuelle alors que le temps passera. Cela veut dire que l’inflation devrait ralentir au fil de l’année». Bien qu’il ne s’attende pas à ce que l’inflation en retourne de sitôt aux 2% ciblés par la plupart des banques centrales, il prévoit des chiffres d’inflation considérablement plus bas d’ici la fin de l’année, et envisage un chiffre de près de 3% pour le Canada et de près de 3 % pour les États-Unis.
Les trois D : dette, démographie et déflation
Patrick O’Toole observe que la période entre la crise financière de 2008-2009 et l’arrivée du Covid à la fin de 2019 a été une ère de croissance et d’inflation faibles. «Je l’appelle la période des trois D : une dette excessive, une démographie et une déflation causées par la mondialisation et l’innovation technologique. Ces trois D sont toujours là, et ils représenteront les grands moteurs de la croissance pendant le reste de la décennie, une fois l’année écoulée. L’inflation dépassera le taux cible des banques centrales pour 2022, mais nous devrions commencer à voir les trois D s’imposer de nouveau et ramener le PIB et l’inflation au-dessous des 2% visés à plus long terme. Simplement, il est difficile de lutter contre ces forces fondamentales.»
Les investisseurs qui garderont le cap seront récompensés. «Ce n’est pas la synchronisation du marché qui importe, mais la chronologie du marché. Les investisseurs devraient s’accrocher. Habituellement, il est payant d’adopter une perspective à long terme. Le rendement du point de repère que constitue le rendement des obligations sur 10 ans du gouvernement du Canada a augmenté de 75 points de base. Cela veut dire que les obligations sont bradées. Lorsque le marché boursier s’effondre, les gens se précipitent pour tirer leur épingle du jeu, parce que les actions se vendent au rabais. Quand les rendements obligataires augmentent, cela rend les gens nerveux. Mais ça arrive.» Les marchés baissiers du revenu fixe, ajoute-t-il, durent environ deux ou trois trimestres, et il faut avoir beaucoup de chance pour choisir le bon moment pour sortir du marché ou pour y entrer de nouveau. «Il faut avoir beaucoup de chance, parce que les reprises interviennent encore plus vite que les liquidations».
Des obligations à acheter?
D’un point de vue stratégique, Patrick O’Toole a affecté environ 80 % aux obligations de sociétés de qualité supérieure (une combinaison d’obligations cotées de A à AAA et cotées BBB), et 19% à des obligations à rendement élevé (cotées BB et plus bas). Du point de vue sectoriel, il y a 17% dans les services financiers (contre 29 % pour l’indice), 33% dans l’énergie (22% pour l’indice), 14 % dans les valeurs industrielles (sous- pondérées à 2%), et 10% dans l’immobilier (5% pour l’indice). Quant à ses choix géographiques, il y a 86% d’investis dans des titres canadiens et 14% dans des titres américains. Le fonds a un rendement courant de 2,8% avant les frais.
La construction de portefeuille commence par une approche macroéconomique de l’économie et par une réflexion sur la manière dont les banques centrales vont réagir à l’impact de l’inflation. Ensuite, il s’agit de sélectionner des actions, et Patrick O’Toole et son équipe déterminent les secteurs qui peuvent bien se comporter et ceux qui pourraient avoir des difficultés. «Nous aimons bien l’énergie, car elle génère pas mal de flux de trésorerie disponibles. L’immobilier a été assez malmené et il y a des obligations intéressantes dans cet espace.»
Gérant un portefeuille d’environ 500 titres individuels provenant de quelque 200 organismes émetteurs, Patrick O’Toole cite Athene Holding Ltd. (ATH), société américaine qui fournit un revenue-retraite et des produits d’assurance de rentes. Elle est représentée par une obligation de qualité supérieure datée 2028 et cotée A+ par Standard & Poor’s, qui a un rendement de 3,4% et un écart de 160 pdb par rapport aux obligations gouvernementales de date comparable. « C’est une obligation dite feuille d’érable de qualité supérieure », dit Patrick O’Toole, parlant de ces obligations de sociétés américaines libellées en dollars canadiens. « Elle a un capital règlementaire solide et de fortes mesures de levier.»
Un autre de ses choix est Albertsons Companies Inc. (ACI), grande chaîne de supermarchés qui exploite plus de 2 200 magasins dans 34 états. Elle est représentée par une obligation à rendement élevé qui arrivera à échéance en 2030 et qui a un rendement d’un peu moins de 5%, soit un écart de 300 pdb. L’obligation est cotée BB par Standard & Poor’s. «Elle est en train de subir une transformation qui entraîne de gros investissements dans la technologie, qui vont faire gagner à la société de grosses parts de marché, dit Patrick O’Toole. Nous pensons qu’une amélioration de son profil de crédit devrait conduire à des améliorations de ses cotes obligataires. Cela entraîne un prix plus élevé de l’obligation et des écarts de crédit plus resserrés, qui attireront plus d’acheteurs.»