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Les marchés émergents pourraient bien toucher le fond

Morningstar|Publié le 21 juin 2022

Les marchés émergents pourraient bien toucher le fond

Pour M. Langham, la plus grosse difficulté des 18 derniers mois vient de la Chine. (Photo: Jida Li pour unsplash)

Un fonds médaillé de RBC profite du «désespoir» des marchés émergents alors que s’agrandissent les rabais par rapport aux marchés développés.

Les trois dernières années ont été difficiles pour les actions des marchés émergents, mais cela ne veut pas dire que ça va durer.

Avec l’impact de la COVID-19, la Chine qui a du mal à maintenir un niveau de «tolérance zéro», le parcours en dents de scie du dollar américain sur lequel de nombreuses économies émergentes indexent leur monnaie, les gestionnaires de portefeuilles de ce secteur ont dû se livrer à des exercices délicats. Plus récemment, l’impact du conflit entre la Russie et l’Ukraine a contribué à l’envolée des prix pétroliers et mis la croissance mondiale sous l’éteignoir.

«Rien ne va plus»

«Je dirais que c’est un type de situation où rien ne va plus», dit Philipp Langham, gestionnaire principal du fonds d’action de marchés émergents RBC, série F, (4 étoiles, coté or, 5,8 milliards $ d’actifs sous gestion) et chef des actions de marchés émergents auprès de la société londonienne RBC Gestion mondiale d’actifs.

«La force du dollar américain est souvent un problème pour les actions des marchés émergents, qui ont tendance à mieux se comporter en période de faiblesse du dollar, situation que nous connaissons depuis quelques bonnes années. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, c’est certain, a aussi eu un impact, et les actions russes se sont totalement effondrées. Elles n’avaient pas une place majeure dans l’indice, mais leur chute a été si énorme jusqu’à présent que leur impact sur l’indice a été relativement important. De plus, elles ont amplifié les inquiétudes portant sur l’éventualité d’une inflation qui deviendrait plus structurelle que cyclique.»

Mais la plus grosse difficulté des 18 derniers mois, ajoute M. Langham, vient de la Chine.

La Chine est importante en raison de la place qu’elle occupe dans l’Indice MSCI Marchés émergents. À son sommet, il y a tout juste un an, elle se trouvait plus de 40% plus haut que l’indice des marchés émergents. Elle a baissé jusqu’à environ 31%. Un des changements les plus récents en Chine est la règlementation du secteur de l’internet, qui jadis représentait près de 50% du marché.

«Il y a eu un effondrement des actions de l’internet du fait de ce règlement», dit M. Langham.

Autre développement en Chine : une politique monétaire extrêmement serrée, en opposition complète avec les politiques accommodantes des pays occidentaux. «Nous avons vu très peu de prêts, et les taux d’intérêt réels étaient relativement élevés. Cette politique de resserrement a vraiment eu un impact sur la croissance globale», dit M. Langham, Londonien entré en 2009 à RBC, où il dirige une équipe de 10 personnes. Avant cela, il a travaillé au Crédit Suisse et au bureau des investissements du Koweït, et passé plusieurs années comme comptable agréé.  

Le problème épineux de la COVID-19 en Chine

«Plus récemment, le facteur qui a continué à affecter le marché, et c’est le plus important, est la politique de tolérance zéro de la Chine en matière de COVID», ajoute M. Langham.

«Cette politique a bien fonctionné pendant la plus grande partie de la pandémie. Toutefois, avec l’émergence du variant Omicron, elle est devenue très difficile à appliquer. À un moment ou à un autre, nous pensons que la Chine devrait abandonner cette politique comme l’a fait le reste du monde. Il faut qu’elle apprenne à vivre avec le virus. Toutefois, la Chine a du mal en ce moment parce que les taux de vaccination n’y sont pas aussi élevés et que l’efficacité de ses vaccins contre Omicron n’est pas aussi grande que celle des vaccins occidentaux.»  

Les investisseurs entrevoient-ils la proverbiale lumière au bout du tunnel? La réponse de M. Langham est de se concentrer sur les valorisations des actions des marchés émergents par rapport à celles des marchés développés.

«Les marchés émergents ont l’air très bon marché, et les devises ont aussi des valorisations très attrayantes. En même temps, on y voit des perspectives de croissance excellentes. La croissance à long terme devrait être solide, soutenue par la montée en force de la clientèle. On constate aussi des niveaux de pénétration assez faible de nombreux secteurs, mais qui ont la capacité de rattraper le terrain perdu grâce à la technologie et une démographie favorable. Ce que nous pensons, c’est qu’en dernier lieu, cela conduira à une amélioration des bénéfices et des marges. À long terme, cela permettra d’avoir des marchés bien meilleurs.»

Pas une autre crise asiatique

Mettant en perspective le marché baissier actuel, M. Langham note que le pire marché baissier qu’il ait connu a été la crise asiatique de la fin des années 1990. «On s’est beaucoup inquiété de la capacité qu’avaient les économies à financer le déficit courant de leurs comptes. À mon avis, ça a été la période la pire, observe M. Langham. De nos jours, les économies sont en bien meilleur état, ont des réserves beaucoup plus importantes et une résilience bien plus grande. Pour moi, c’est une époque différente.»

M. Langham estime que le rabais des marchés émergents par rapport aux marchés développés est de l’ordre de 40% sur la base du ratio cours/valeur comptable. «Il se trouve à son niveau le plus élevé depuis 20 ans, dit M. Langham. Ce rabais est relativement le même dans différents secteurs. Un secteur visiblement meilleur marché est la technologie, qui est assez chère dans de nombreux marchés développés. La plupart des secteurs jouissent de cette ristourne très élevée par rapport aux marchés développés.»

Combien de temps les rabais vont-ils durer?

Le problème est que les marchés émergents se négocient en cycles, avec de longues périodes haussières et baissières. «Il est très difficile d’identifier le tournant exact, mais il y a souvent beaucoup de désespoir qui succède à de longues périodes de sous-classement. Voilà en gros où nous nous trouvons actuellement, affirme M. Langham. Quand nous voyons les ristournes actuelles des actions des marchés émergents par rapport aux marchés développés, c’est sans doute que l’on est prêt à toucher le fond.»

Du 1er janvier au 6 mai, le fonds a eu un rendement de -13,62% contre -15,44% pour l’Indice Actions des marchés émergents. Sur trois, cinq et dix ans, le fonds a eu un rendement annualisé de -1,7%, 1,9% et 6,82%. Les rendements de la catégorie, quant à eux, ont été respectivement de -1,04%, 0,76% et 3,93%.

Il faudra une combinaison de facteurs positifs, comme une forte croissance locale, des gouvernements favorables aux investisseurs et un rabais important des actions des marchés émergents par rapport à celles des marchés développés, pour que les marchés reprennent leur marche en avant. «Généralement, quand on vient de traverser une période de croissance plus faible, cela indique clairement le besoin de faire des réformes, dit M. Langham. Il y a des marchés favorables aux investissements comme l’Indonésie, l’Inde et beaucoup de pays d’Amérique du Sud, où la situation politique devrait finir par s’améliorer. Et cela créera des facteurs propices à la croissance.» 

Du point de vue sectoriel, les services financiers sont le plus gros secteur du portefeuille à 28,37%, suivis par la technologie à 25,5%, les biens de consommation cyclique à 11,39%, les soins de la santé à 11,68% et la consommation défensive à 11,65%. Géographiquement, la Chine est la plus grosse pondération à 19,6%, suivie par Taïwan à 15,7%, l’Inde à 15,6%, et la Corée du Sud à 11,2%.

Spécialistes ascendants du choix d’actions, M. Langham et son équipe se concentrent sur des sociétés de qualité qui affichent une croissance régulière et des rendements élevés du capital, et dont le bilan est solide. «Une des choses pour laquelle nous consacrons aussi beaucoup de temps est la qualité de la direction», dit M. Langham, ajoutant qu’il cherche des directions fiables qui ont une perspective à long terme et sont prêtes à investir dans l’entreprise. «Nous pensons que cela peut présenter des différences significatives dans les résultats d’un avoir.»

Bien que M. Langham et son équipe aient un style largement ascendant, ils n’ignorent pas la dimension macroéconomique. «Nous pensons à des thèmes et des questions à long terme comme le risque politique et l’évaluation de la devise. Nous étudions aussi les domaines qui ont les chances de connaître la meilleure croissance à long terme: l’infrastructure verte ou la santé et le mieux-être sont des thèmes qui, selon nous, vont bien se comporter sur le long terme. Nous allons essayer de mieux y positionner notre portefeuille.»

Gérant un portefeuille d’une cinquantaine de titres qu’il a tendance à conserver, M. Langham cite des firmes comme SK Hynix Inc. (000660), fabricant sud-coréen de mémoires à semiconducteurs dont il a fait l’acquisition il y a environ deux ans. «Il y a de très fortes barrières à l’entrée compte tenu des fortunes que les trois protagonistes principaux ont dû dépenser en recherche et développement. C’est un secteur complexe à forte intensité de capital, dit M. Langham, ajoutant que les produits de la firme sont utilisés dans les serveurs, les téléphones intelligents, les ordinateurs personnels et les centres de données. «En raison de ces trois facteurs, nous pensons que Hynics sera un exemple de rendements élevés durables.» L’action se négocie un ratio cours/bilan comptable de 1,1 et à un rabais de 20% par rapport à ses pairs. «Pour nous, ce sont des niveaux très attrayants», dit M. Langham, ajoutant que le rendement des capitaux de la société est de 17 à 19%, et qu’elle génère une croissance annuelle des bénéfices de 10 à 15%.

Un autre de ses placements préférés est Bank Central Asia PT (BBCA), société européenne de services financiers qui figure au portefeuille depuis cinq ans. «C’est une banque de premier ordre qui a le rendement des actifs le plus élevé en Indonésie et l’un des plus élevés de toutes les banques des pays émergents. C’est la principale banque d’Indonésie», dit M. Langham, ajoutant que la banque a une bonne franchise de dépôts et que près de 80% de ses dépôts sont sous forme de comptes à faible taux d’intérêt. «La banque est très novatrice, et elle arrive fortement en tête de son secteur pour la numérisation.» Son action se négocie à un ratio cours/bilan comptable de 4, ce qui est certainement cher. «Elle coûte un peu d’argent, encore que ce soit en gros sa moyenne à long terme, dit M. Langham. Mais nous cherchons des sociétés au rendement élevé qui obtiendront de bons résultats sur le long terme. Voilà ce que nous voyons dans cette banque, et nous croyons qu’elle peut offrir une croissance de ses bénéfices solide (de l’ordre de 14 ou 15%) pendant de nombreuses années encore.