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Les prévisions de fin d’année des stratèges

Jean Décary|Édition de la mi‑septembre 2021

Les prévisions de fin d’année des stratèges

(Photo: 123RF)

Depuis le début de l’année, les marchés boursiers ont affronté la troisième vague de la pandémie de COVID-19 et la montée de l’inflation. Malgré tout, les principaux indices nord-américains se négocient aux alentours de sommets historiques grâce à la reprise économique. Après un assouplissement des mesures sanitaires et au moment où la quatrième vague et le variant Delta menacent, que nous réserve le reste de 2021? Trois stratèges ont bien voulu partager leurs réflexions avec Les Affaires.

 

Les ménages entrent en phase postrécession

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille à Gestion de patrimoine Desjardins

« C’est la poursuite des Années folles, comme dans les années 20 du siècle dernier après la Première Guerre mondiale, aussi marquées par une pandémie de grippe espagnole », illustre Michel Doucet. Bref, une reprise qui va se poursuivre, stimulée par la production et la consommation de masse et par des banques centrales et des gouvernements qui s’investissent sans retenue pour préserver les acquis, explique-t-il.

Les ménages entrent selon lui en phase postrécession en étant aussi riches — sinon plus — qu’avant la pandémie. « C’est une première dans l’histoire que les ménages soient aussi riches et que les entreprises soient en aussi bonne position au sortir d’une récession, souligne-t-il. Le choc pandémique a été colossal, mais la reprise l’est tout autant. »

Michel Doucet ne s’inquiète pas de l’inflation, qui est passée d’une moyenne de 0,73 % en 2020 à 2,26 % en 2021, selon les données de la Banque du Canada. Une tendance à la hausse qui s’observe depuis avril dernier. « Il y a des bienfaits à l’inflation, notamment comme outil pour baisser le taux de chômage. » À son avis, les banques centrales vont tout faire pour que la reprise économique se poursuive, quitte à laisser l’inflation dépasser sa cible annuelle moyenne d’environ 2 %. Il note que les marchés ne s’inquiètent plus autant de cette hausse inflationniste. « Cela a créé de l’inquiétude en mars dernier, mais il y avait une conjonction de facteurs avec la hausse du prix du pétrole et de la demande pour les voitures, la réouverture des restaurants et la frénésie immobilière. »

Le stratège de Desjardins se dit encore plus optimiste à l’égard du marché des actions qu’envers celui des obligations. « La politique monétaire expansionniste des banques centrales vient un peu chambouler l’environnement dans lequel on se trouve », rappelle-t-il.

En matière de répartition géographique, il aime particulièrement le Canada et les États-Unis. Il envisage une croissance économique au pays qui oscille entre 6 % et 6,5 % et de 6,5 % à 7 % au sud de la frontière. « En matière de ressources naturelles et de pétrole, c’est la continuité de la reprise au pays. » Résultat de son optimisme pour les marchés nord-américains, il sous-pondère l’Europe, le Japon et les pays émergents.

« Pour l’investisseur particulier, il est important de s’en tenir à son profil de risque et à sa stratégie initiale et de rééquilibrer son portefeuille sur une base régulière », résume l’expert. Il juge appropriée une pondération de 50 % à 55 % en actions, de 40 % en obligations et la balance en encaisse. « Cela a toujours bien fonctionné dans le passé. C’est ça, l’investissement : un processus rigoureux qui, s’il est suivi à la lettre, va procurer des gains à long terme. »

Michel Doucet s’attend par ailleurs, comme cela s’est fait aux États-Unis, à ce que le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) mette fin au moratoire et permette aux financières de racheter leurs actions et d’augmenter leurs dividendes d’ici un an. « Ils vont d’abord attendre que se terminent les différents programmes d’aide fédéraux qui ont été mis sur pied pour affronter la pandémie, afin de voir quel est l’état de la situation de l’emploi au Canada et si les gens seront alors en mesure de faire face à leurs obligations financières. »

Le stratège de Desjardins s’attend à une possible hausse du taux directeur, mais probablement pas avant la fin de 2022. Même s’il estime que le Canada n’est pas à l’abri d’un événement perturbateur, ce dernier ne viendra pas de la COVID-19. « Nous savons maintenant ce qu’il faut faire pour que l’économie fonctionne malgré la pandémie, donc nous pouvons agir en conséquence. » Il demeure en revanche préoccupé par l’état des relations commerciales du Canada et des États-Unis avec la Chine, et par le niveau d’endettement des ménages au pays.

 

Cibles des principaux indices à la fin de 2021

S&P/TSX: 21 500 points
S&P 500: 4 620 points
Prix du baril de pétrole: 70-75 $ US
Or: 1750‑1800 $ US/oz.

Répartition de l’actif

Plus: les financières, les communications, les soins de santé et l’énergie

Moins: la consommation de base et discrétionnaire, les services publics et l’immobilier

Risques: les relations sino-américaines et le niveau d’endettement des ménages

 

La reprise économique se poursuivra

Stéphane Rochon, chef stratège chez BMO Nesbitt Burns


La reprise économique se poursuivra

Stéphane Rochon, chef stratège chez BMO Nesbitt Burns

Le stratège de BMO croit que l’accélération de la reprise économique se poursuivra, malgré les doutes qui planent à propos d’une quatrième vague automnale. « Oui, une nouvelle vague pourrait tout faire dérailler, admet-il. D’un autre côté, les taux de vaccination continuent de progresser, même aux États-Unis. Je doute qu’on tombe à nouveau dans un scénario de confinement. »

Stéphane Rochon se dit optimiste à propos du marché boursier en général, « même s’il faut être très sélectif dans son choix de titres », précise-t-il. Le marché canadien recèle à ses yeux le plus de potentiel. « On a eu 10 ans de graves sous-performances du S&P/TSX. C’est seulement quand le marché des ressources naturelles va bien que les indices canadiens ont la chance de mieux performer que ceux des États-Unis. » La composition de l’indice canadien favoriserait ainsi sa croissance actuelle. « Ce n’est pas un marché équilibré, constate-t-il. Il y a environ 33 % de financières, 25 % d’énergie, 20 % de ressources naturelles avec, çà et là, quelques entreprises industrielles valables, comme les chemins de fer, mais très peu de sociétés dans les secteurs des biens de consommation et des technologies de l’information. »

« On l’a vu avec les ventes de voitures, de maisons, de véhicules tout-terrains et de bateaux, poursuit-il. Ce n’est pas un problème de demande, c’est un problème d’offre en raison de bouleversements dans les chaînes d’approvisionnement. » Des deux maux, soit celui de l’offre ou de la demande, le stratège préfère de loin celui de l’offre. « Quand c’est l’inverse, cela peut supposer une récession à l’horizon, note-t-il. Ce qui n’est pas le cas, ni cette année ni en 2022. »

Il remarque cependant un léger essoufflement des marchés boursiers. « On s’approche d’un sommet du momentum économique. » Quand l’économie s’améliore, que les vents sont favorables pour les actions, plusieurs investisseurs choisissent en effet d’encaisser des profits. « C’est le cas des fonds spéculatifs (hedge funds), surtout pour les actions un peu plus cycliques. » Il croit que de ven dre ses actions est néanmoins prématuré. « Cela ne veut pas dire que les évaluations ne peuvent pas demeurer élevées pour plusieurs trimestres, soutenues par de bons profits des entreprises », précise-t-il.

« Il y a encore des occasions d’achat pour profiter de la reprise. » Si le marché canadien reste plus attrayant — et moins cher que celui des États-Unis —, le stratège de BMO croit qu’il faut être sélectif dans ses choix. Le secteur canadien des ressources naturelles va bénéficier de la reprise. « On l’a vu avec la montée du prix du pétrole, où le peu d’investissements des dernières années n’a pas permis d’augmenter l’offre. » Il constate que la demande en essence est toujours là et qu’elle le sera encore longtemps. « Les grands transporteurs aériens américains disent que les réservations des particuliers pour des voyages sont revenues à ce qu’elles étaient avant la pandémie de COVID-19. Sans compter les vols d’affaires et tous les véhicules récréatifs sur la route. »

D’un point de vue géographique, il demeure circonspect par rapport à la Chine, qu’il juge préférable d’éviter. « Il y a trop d’ingérence politique, comme on l’a vu avec l’entreprise Alibaba, explique-t-il. Cela reste toutefois très difficile à quantifier comme risque. Il n’y a pas de recours légal réel en Chine, ce qui complique les investissements et met une limite aux multiples que l’on se dit prêt à payer. »

Si, historiquement, l’inflation est toxique pour les actifs financiers puisqu’elle force les banques centrales à augmenter les taux d’intérêt, Stéphane Rochon dit ne pas être préoccupé par la question à court terme. « On a vu un recul des taux obligataires récemment et cela nous indique que le marché des obligations est moins inquiet. » De nombreux investisseurs s’entendent pour dire que l’inflation est temporairement exacerbée par le problème des chaînes d’approvisionnement. Selon lui, la réalité est quelque part à mi-chemin. « Si le prix des ressources naturelles continue d’augmenter et qu’une main-d’œuvre qualifiée reste difficile à recruter dans certains secteurs, cela pourrait créer une pression à la hausse sur les salaires », avance-t-il. Si l’inflation est un risque, ce le sera plutôt dans les 18 à 36 prochains mois, croit-il.

 

Cibles des principaux indices à la fin de 2021

S&P/TSX: 24 000 points
S&P 500: 4 600 points
Prix du baril de pétrole: 75-85 $ US (100 $ d’ici 2 ans)
Or: 1900‑2000 $ US/oz.

Répartition de l’actif

Plus: le marché canadien dans son ensemble, le pétrole

Moins: le marché chinois, les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google)

Risques: un variant qui résiste aux vaccins, une détérioration des relations sino-américaines et, à plus long terme, une hausse de l’inflation

 

Il y a un ajustement à faire du côté des valorisations

Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Banque Nationale


Il y a un ajustement à faire du côté des valorisations

Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Banque Nationale

En matière de performance des marchés, ça pourrait être une deuxième moitié d’année un peu moins excitante que la première », mentionne d’emblée l’économiste, dont les cibles de fin d’année pour les marchés américain et canadien sont déjà presque atteintes. « Je vois les prochains mois comme une période de consolidation des marchés boursiers. »

Ce n’est pas que les perspectives de croissance des bénéfices ne sont pas bonnes aux yeux de Stéfane Marion. C’est qu’il y a un ajustement à faire du côté des valorisations et que le potentiel de croissance lui paraît limité. Selon lui, les taux d’intérêt ne reflètent pas la toile de fond économique actuelle. « Je comprends l’inquiétude au sujet de la COVID-19, mais il y a des valorisations boursières soutenues par des taux d’intérêt tenus artificiellement bas », avance-t-il.

De l’avis du stratège de la Banque Nationale, l’investisseur qui voudra tirer son épingle du jeu pourrait effectuer des rotations sectorielles qui reflètent à terme un réajustement probable des taux d’intérêt. « Je vois le taux 10 ans pour les obligations américaines à environ 1,7 % ou 1,8 % d’ici la fin de l’année, soit 60 points de base plus élevé qu’actuellement. »

Outre l’effet des variants dans les mois à venir — une donnée qui demeure difficile à évaluer —, il relève deux facteurs de risque à court terme. D’abord, la politique chinoise et sa mainmise sur ses entreprises cotées en Bourse, ainsi que les relations sino-américaines. « Tout cela crée de la volatilité et une toile de fond particulière qui amène une remise en question de la chaîne d’approvisionnement mondiale », explique-t-il. Il fait remarquer qu’une chaîne d’approvisionnement plus chère pourrait à terme affecter les marges des entreprises. D’où ses perspectives boursières moins élevées.

La complaisance des banques centrales par rapport à l’inflation constitue pour lui un autre facteur de risque. « Oui, cela peut n’être que transitoire, mais on oublie ici tout le phénomène de “vertflation” (greenflation), c’est-à-dire cette volonté des gouvernements de décarboner leurs économies. » Cela a entre autres pour effet de gonfler le prix des ressources naturelles, en particulier certains métaux (or, nickel, cuivre, etc.). Selon Stéfane Marion, il existe des façons de répartir ses actifs pour profiter de cette tendance qu’il juge « structurelle ».

Dans un contexte de reprise, il estime que les actions canadiennes, plus cycliques, seront favorisées par rapport aux actions mondiales. « L’énergie demeure un secteur à privilégier, illustre-t-il, avec un prix du pétrole peu susceptible de baisser et un manque à gagner en matière de barils. »

Globalement, ses indices de référence demeurent légèrement surpondérés en actions, à 50 %, laissant 45 % en obligations et la balance en liquidités. Le stratège de la Nationale a une perspective favorable de certains secteurs industriels, comme celui des biens d’équipements (capital goods), celui des contenants et des emballages (containers and packaging) et celui des métaux et des mines. Il sous-pondère toutefois les fiducies de placement immobilières et les sociétés de services publics, traditionnellement plus touchées par une remontée des taux d’intérêt. Il détient une position équipondérée du côté des financières.

Un autre élément de risque à surveiller tient à la capacité de la Réserve fédérale américaine de réduire son programme de rachat de bons du Trésor et d’autres titres sans créer trop de volatilité sur les marchés financiers, « dans le cas où, effectivement, l’inflation est moins transitoire que prévu », précise l’économiste. Il signale qu’actuellement, la Réserve fédérale achète environ 90 % des émissions obligataires du gouvernement américain, ce qui ne pourra pas durer éternellement.

 

Cibles des principaux indices à la fin de 2021

S&P/TSX: 20 600 points
S&P 500: 4 400 points
Prix du baril de pétrole: 75 $ US
Or: 2 000 $ US/oz.

Répartition de l’actif

Plus: l’énergie, les biens d’équipements, les contenants et emballages, les métaux et mines

Moins: les services publics et l’immobilier

Risques: la politique chinoise, la vertflation et la fin progressive du programme d’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale américaine