La concurrence entre joueurs d’une même industrie ne peut plus se jouer sur le comportement climatique disent-ils.
Les institutions financières prêtent 400G$US à l’industrie du transport maritime. Une industrie responsable de 2% à 3% des émissions de gaz à effet de serre mondiaux. Depuis le 18 juin dernier, 11 institutions (Citi, Société Générale, DNB, ABN Amro, Amsterdam Trade Bank, Crédit Agricole CIB, Danish Ship Finance, Danske Bank, DVB, ING et Nordea), représentant le quart de ces prêts (100G$US), ont signé les Principes de Poséidon. Ces quatre principes visent à arrimer le portefeuille des institutions financières aux cibles climatiques.
«C’est un précédent», souligne James Mitchell, directeur des initiative sectorielles liées au climat au Rocky Mountain Institute (RMI), de Boulder, au Colorado. Cet ONG est un des catalyseurs de l’initiative, et James Mitchell a contribué à l’élaboration des principes. Il s’agit de la première entente sectorielle, et globale, liée au climat entre des institutions financières. Les Principes de Poséidon redéfinissent le rôle du secteur financier dans le processus mondial de décarbonisation.
«Ces principes peuvent servir de point de départ pour définir le rôle du secteur financier dans l’atteinte des objectifs climatiques d’autres secteurs d’envergure mondiale – l’aviation et l’acier – et nationale – la production d’énergie et les services publics», poursuit James Mitchell.
Allons-y de la petite histoire des Principes de Poséidon
1-En décembre, 2015, on assiste à la signature des Accords de Paris sur le climat, premier accord universel sur le climat juridiquement contraignant. Il définit un plan d’action international pour maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 2 degrés;
2-En avril 2018, l’Organisation maritime internationale (OMI), des Nations-Unies, adopte une cible pour la réduction des émissions de GES des navires: une réduction du volume d’au moins 50% pour 2023, par rapport à 2008. Ceci tout en poursuivant une action en vue de l’élimination progressive de ces émissions;
3-Juin 2019, c’est le lancement des Principes de Poséidon, qui mettent à contribution le secteur financier pour l’atteinte de la cible établie par l’OMI en avril 2018.
Le changement climatique pose deux types de risques à l’industrie du transport maritime
1-Un risque physique: les températures extrêmes entraînent des événements qui influencent les activités du secteur;
2-Un risque de transition: les flottes doivent être renouvelées, ceci aura une incidence sur la performance financière des sociétés de transport.
Pourquoi passer par le secteur financier, et non par les acteurs du secteur maritime, pour transformer ce dernier?
«Le transport maritime est morcelé, explique James Mitchell. Il compte une foule de petits joueurs, car les barrières à l’entrée sont faibles. Le rendement aussi. On se doute que ces joueurs ont peu de personnel, donc leur reddition de compte s’avère limitée. Le transport maritime est un peu transparent. Il nous est donc apparu plus facile de se tourner vers un autre levier, soit le secteur financier – les banques et les agences de crédit à l’exportation – afin de créer des incitatifs à la décarbonisation.»
Voici les quatre Principes de Poséidon
1-Évalution de l’alignement climatique
Nous évaluerons chaque année l’alignement climatique pour toutes les activités commerciales, conformément au Guide technique.
2-Imputabilité
Nous reconnaissons le rôle important joué par les sociétés de classification, et d’autres organisations reconnues par l’OMI, pour fournir des informations impartiales à l’industrie. Et par la réglementation obligatoire établie par l’OMI pour la collecte de données et la déclaration de la consommation de mazout des navires. Nous nous appuierons sur les entités et les réglementations obligatoires, tel qu’indiqué explicitement dans le Guide technique, pour fournir les informations utilisées pour évaluer et rendre compte de l’alignement sur le climat.
3-Mise en œuvre
Nous exigerons que la conformité continue aux Principes de Poséidon soit contractuelle dans nos nouvelles activités commerciales à l’aide de clauses d’engagement standardisées. Nous contribuerons à la mise à jour et à l’ajout de clauses normalisées au cours du processus de révision annuelle.
4-Transparence
Nous reconnaîtrons publiquement que nous sommes signataires des Principes de Poséidon et nous publierons les résultats de l’alignement climatique de notre portefeuille d’activités, chaque année, conformément au Guide technique.
Ces principes ont été élaborés entre août 2018 et février 2019. Les trois organismes qui les ont produits – Rocky Mountain Institute, The Global Maritime Forum et University College London Energy Institute – se sont inspirés des avancées des dernières années en matière de gestion de risque.
En 2013, on assiste à la création des Principes de l’Équateur, un cadre de référence du secteur financier visant à identifier, évaluer et gérer les risques environnementaux et sociaux des projets industriels et d’infrastructure. À ce jour, 96 financières, de 37 pays, les ont adoptés. «À cette étape, il a été établi qu’il n’est plus acceptable qu’un projet ait des conséquences sociales ou environnementales négatives», résume James Mitchell.
En 2015-2016, les travaux du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (TCFD) pointent la nécessité de se pencher sur l’influence de ces changements sur la profitabilité des organisations. «À cette étape, il a été établi que les entreprises doivent évaluer, dévoiler et gérer leur risque climatique», poursuit-il.
Les Principes de Poséidon amorcent une nouvelle vague de changement, «Les organisations ne peuvent plus se contenter de réduire leurs dommages collatéraux et de dévoiler leurs risques. Elles doivent aussi contribuer à la résolution des enjeux sociétaux.»
Au fond, les Principes de Poséidon affirment que la concurrence entre joueurs d’une même industrie ne peut plus se jouer sur le comportement climatique. «La concurrence est un frein important à l’atteinte des cibles climatiques. Ces principes surmontent cet obstacle parce qu’ils sont globaux. Nous estimons réaliste de convaincre 90% des acteurs financiers mondiaux de les signer. Après tout, jusqu’ici, toutes nos avancées sont dues à la collaboration. C’est ce qui nous a permis d’élaborer des principes nuancés qui ouvrent la porte à la conversation. Désormais, tous les échanges entre les acteurs du transport maritimes et leurs institutions financières devraient inclure des références au risque climatique. Et les sociétés qui ne souhaitent pas, ou qui sont incapables, de contribuer à l’atteindre des cibles climatiques pourraient voir leur financement plus difficile à obtenir.»