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Les raisons derrière un fractionnement d’actions

Simon Lord|Édition de la mi‑juin 2022

Les raisons derrière un fractionnement d’actions

(Photo 123RF)

STRATÉGIE. À la fin de l’hiver, Amazon et Alphabet ont annoncé qu’elles allaient fractionner leurs actions: chaque détenteur de titre se retrouverait avec vingt actions qui valent vingt fois moins. Apple et Tesla ont aussi fractionné leurs actions en 2020. Qu’est-ce qui peut justifier de changer ainsi quatre trente sous pour une piastre ?

Le fractionnement d’actions (stock split) ne survient pas n’importe quand. De façon générale, une entreprise entreprendra de faire un fractionnement quand son action s’est appréciée fortement à la suite d’une longue période de croissance soutenue.

«L’idée générale, habituellement, c’est vraiment de rendre l’action plus accessible pour un plus grand nombre d’investisseurs», explique Charles Marcotte, gestionnaire de portefeuille à la Financière Banque Nationale. Accessoirement, un fractionnement peut également permettre aux employés d’entreprises comme Amazon, qui sont rémunérés en actions dans certains cas, de gérer plus facilement les titres qu’ils détiennent.

Dans le cas d’Alphabet, par exemple, l’action valait environ 2750 $au moment de l’annonce du fractionnement. Une fois que celui-ci sera mis en oeuvre, en juillet, et admettant que le titre s’échange toujours au même prix, chaque détenteur d’action verra le prix de son titre tomber à 137,50 $et recevra 19 actions additionnelles de l’entreprise.

«Un titre à 2000 $n’est pas accessible à toutes les bourses. Un fractionnement permet donc à des gens d’investir dans l’entreprise alors qu’ils n’auraient pas pu ou voulu le faire, auparavant», note Charles Marcotte.

«Si je souhaite placer un titre dans le portefeuille de mon client, mais que je veux que cette entreprise représente au plus 3 % de la valeur totale investie, ce n’est parfois pas possible de faire fitter l’action dans le portefeuille quand son coût est trop élevé», dit-il.

En théorie, un fractionnement d’actions peut ainsi entraîner un certain engouement pour un titre, et donc une augmentation de sa valeur. En pratique, le sujet reste peu étudié dans la littératie financière.

 

Accéder au Dow Jones

Dans le cas d’Amazon, certains ont spéculé que la décision de fractionner l’action pourrait aussi être justifiée par un désir de voir son titre être inclus dans le calcul du Dow Jones Industrial Average (DJIA).

Cet indice, bien que de nombreux professionnels le jugent inadéquat pour donner le pouls du marché américain, voire archaïque, est un des plus vieux indices boursiers des États-Unis. Calculé sur la base de 30 titres vedettes, il occupe une place presque mythique dans l’imaginaire collectif de Wall Street et de la finance mondiale. Sauf que pour pouvoir y être inclus, les titres doivent avoir des valeurs similaires:la méthodologie de calcul du DJIA est telle que les entreprises sont pondérées dans l’indice en fonction de leur cours en Bourse plutôt que de leur capitalisation boursière, comme c’est le cas plus généralement.

Après fractionnement, le titre d’Amazon se retrouverait au milieu des valeurs des sociétés incluses dans le calcul du Dow Jones.

Charles Marcotte estime qu’une inclusion d’Amazon au Dow Jones pourrait contribuer à créer un engouement pour le titre. «Le marché des fonds négociés en Bourse a explosé en popularité, et certains d’entre eux répliquent des indices. Si, tout d’un coup, un nouveau titre est inclus dans un indice, ces fonds-là devront l’acquérir. Cela peut créer du volume.»

 

Acheter ou attendre

Tout cela étant dit, un fractionnement devrait-il être une raison pour un investisseur de se ruer sur un titre ? Les experts consultés par Les Affaires ne pourraient pas en être moins sûrs.

«Un fractionnement ne change strictement rien à rien en ce qui concerne la valeur de l’entreprise. Ça ne fait que multiplier les bouts de papier», dit Jean-Philippe Tarte, maître d’enseignement en finance à HEC Montréal.

Oui, certains investisseurs tenteront de spéculer sur les titres visés par un fractionnement. Estimant qu’un certain nombre de nouveaux investisseurs voudront acquérir l’action en question, créant potentiellement un volume supplémentaire et donc une appréciation du prix, ceux-ci pourraient acheter le titre en prévision de le revendre plus cher plus tard.

Pour un investisseur qui se base sur l’analyse financière et fondamentale, toutefois, un fractionnement ne change pas grand chose. La qualité du bilan est inchangée, le conseil d’administration reste aussi compétent (ou pas) et les processus demeurent également les mêmes.

 

Améliorer la liquidité

Un fractionnement d’actions peut à l’occasion améliorer la liquidité d’un titre et, de ce fait, son écart acheteur-vendeur (bid-ask spread), considéré comme un coût de transaction. C’est moins vrai pour de très grandes entreprises, puisque leurs titres sont achetés et vendus à une échelle incomparable. Dans le cas d’Amazon, par exemple, ce sont quatre millions d’actions qui changent de mains chaque jour, en moyenne, remarque Jean-Philippe Tarte. «Certaines entreprises canadiennes ou de petites capitalisations américaines pourraient toutefois voir un avantage, Améliorer la liquidité à cet égard, à fractionner leur titre.»