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Les télévirements peuvent comporter certains risques inattendus

La Presse Canadienne|Publié le 30 août 2022

Les télévirements peuvent comporter certains risques inattendus

Même si les chiffres en tant que tels sont assez faibles, les montants en question sont souvent importants. (Photo: La Presse Canadienne)

Toronto — Lorsqu’Alexander Nachaj a eu besoin de virer une mise de fonds pour acheter une maison, il ne s’en est pas beaucoup inquiété, il s’est simplement déplacé à sa succursale bancaire pour envoyer l’argent au notaire.

Alexander Nachaj assure avoir demandé au caissier de sa succursale de la Banque TD de vérifier les chiffres deux fois, car il avait dû signer un formulaire les dégageant de toute responsabilité sur l’acompte de 18 000 $. Le caissier a ensuite effectué le télévirement.

Et puis l’argent a disparu.

C’est ainsi qu’a commencé le périple de l’homme de Saint-Hyacinthe dans le système canadien des virements électroniques. La grande majorité du temps, ce dernier transfert avec succès l’argent de façon sécurisée et précise, mais comme Alexander Nachaj l’a découvert, il est loin d’être infaillible.

Difficile d’expliquer ce qui a mal tourné dans le cas de Alexander Nachaj, car la Banque TD a refusé de discuter des détails de l’affaire, mais il affirme que plusieurs semaines se sont écoulées avant qu’il n’obtienne une réponse quant à la destination de l’argent.

«C’est ahurissant qu’à notre époque, un transfert puisse disparaître dans la brume si longtemps, sans que personne n’en assume la responsabilité ni même ne puisse savoir ce qui s’est passé», a-t-il affirmé.

Entre-temps, Alexander Nachaj risquait de perdre sa nouvelle maison, dans un marché immobilier en ébullition, et il a dû constituer une autre mise de fonds avec l’aide de sa famille, puis envoyer cet argent, également par télévirement.

«C’était comme marcher sur une corde raide, ou quelque chose comme ça, c’était la chose la plus effrayante que j’ai jamais eu à endurer, parce que je me demandais si ça allait se reproduire.»

Le deuxième paiement s’est déroulé normalement. C’était une bonne nouvelle, parce qu’une partie du concept des virements électroniques est qu’ils sont généralement conçus pour être irréversibles, afin que le destinataire puisse utiliser l’argent en toute confiance, immédiatement.

«Dès qu’il y a des erreurs, nous avons de très gros problèmes»,
a expliqué Werner Antweiler, expert en finance internationale à la
Sauder School of Business de l’Université de la
Colombie-Britannique.

«Les virements bancaires sont problématiques, car une fois qu’ils sont dans le système, ils ne peuvent pas être rappelés et ça fait partie de leurs caractéristiques.»

 

Une source de plaintes

On ne sait pas à quelle fréquence les virements électroniques tournent mal, mais ils se classent parmi les cinq principales sources de plaintes visant les produits bancaires déposées auprès de l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement, avec environ 30 cas l’année dernière. Du côté de l’organisation rivale ADR Chambers Bureau des services bancaires, les virements électroniques sont parmi les 10 premières sources de plaintes.

Même si les chiffres en tant que tels sont assez faibles, les montants en question sont souvent importants. La plupart des plaintes ne parviennent pas non plus aux médiateurs externes, y compris celle de Alexander Nachaj. Dans son cas, après quelques mois, l’enquête interne de la banque a conduit au retour de son virement bancaire initial.

La porte-parole de la TD, Caroline Phémius, a indiqué dans un courriel que lorsqu’un transfert se perd, la banque travaille avec ses clients pour tenter de récupérer les fonds.

«Lorsqu’il y a une irrégularité dans un virement bancaire, nous prenons la situation très au sérieux, car nous accordons une grande valeur à la confiance de nos clients.»

Les risques entourant un virement bancaire et l’impossibilité de vérifier à l’avance qu’il sera dirigé au bon endroit sont suffisants pour que de nombreux notaires évitent de les utiliser si possible.

«Je n’encourage pas nos membres à transférer de l’argent par télévirement, simplement parce que si ça tourne mal, ils vont nous tenir responsables», a expliqué Daniel Boisvert, président de l’association des notaires de la Colombie-Britannique.

Daniel Boisvert croit qu’un système plus vérifiable serait formidable, mais en attendant, son personnel se rend toujours à la banque jusqu’à trois ou quatre fois par jour pour déposer des traites bancaires physiques. Et même s’il pense qu’il vaut mieux effectuer les grosses transactions, comme l’achat d’une maison, en personne, il existe des solutions de rechange telles que la coordination avec un avocat dans une autre ville qui peut accepter une traite bancaire.

L’autre grande raison pour laquelle Daniel Boisvert évite les télévirements est la fraude, pure et simple. Le Centre canadien pour la cybersécurité a mis en garde ces dernières années contre une augmentation des crimes voyant des personnes mal intentionnées intercepter des courriels et insérer les détails de leur propre compte, auxquels le client sans méfiance transfère ensuite l’argent.

«C’est tout simplement terrifiant pour moi, et je suis sûr que c’est simplement terrifiant pour les autres notaires», a fait valoir Daniel Boisvert.

Solutions possibles

Des solutions émergent pour au moins réduire les risques d’erreurs et de fraudes. Le Royaume-Uni a déployé en 2020 un système appelé Confirmation of Payee, dans lequel l’expéditeur vérifie que le nom et le numéro de compte sont conformes avant de confirmer le paiement. Et SWIFT, qui gère le système qui sous-tend de nombreux télévirements internationaux, a commencé plus tôt cette année à proposer une prévalidation de paiement qui vérifie la validité du compte du bénéficiaire avant de transférer l’argent.

Le Canada pourrait également améliorer la fiabilité des paiements par télévirement en se joignant au système de numéros de comptes bancaires internationaux utilisé par plus de 80 pays, comme le préconise le professeur Antweiler. Le système fournit plus de standardisation pour réduire les erreurs et dispose de chiffres de contrôle qui sont utilisés pour exécuter un algorithme afin de détecter les erreurs courantes, a-t-il expliqué.

Un tel changement nécessiterait l’adhésion de toutes les banques, et des erreurs se produisent toujours dans le système, a noté Paiements Canada, qui gère le système canadien de virement au nom des banques et des coopératives de crédit.

Les Canadiens qui envoient un télévirement doivent être vigilants et vérifier les numéros de compte, de succursale et d’institution nécessaires pour un virement. Les numéros peuvent être vérifiés sur un chèque annulé, tandis que le destinataire peut également appeler son institution financière pour revérifier, ce que l’expéditeur pourrait aussi faire auprès du destinataire.

Mais même les systèmes les plus vigilants auront des lacunes. Citigroup l’a appris à la dure en 2020 lorsque, plutôt que d’envoyer un petit paiement d’intérêts sur la dette de Revlon, elle a transmis la totalité de la dette de 900 millions de dollars US. Elle se bat toujours pour en récupérer une grande partie.

Quant à Alexander Nachaj, il assure qu’il prévoit de s’en tenir aux bons vieux chèques en papier et aux traites bancaires la prochaine fois qu’il aura besoin de déplacer de l’argent.

«Je n’effectuerai pas de télévirement à moins d’y être obligé, simplement parce que je n’ai pas l’impression d’entretenir une grande confiance envers cette partie du système en ce moment.»