Les transporteurs ferroviaires sont-ils trop choyés?
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑septembre 2019ANALYSE. Faut-il se surprendre que les chemins de fer soient un secteur cyclique aussi prisé ? Les titres des...
ANALYSE. Faut-il se surprendre que les chemins de fer soient un secteur cyclique aussi prisé ? Les titres des transporteurs ferroviaires se sont appréciés de 1 736 % depuis 2000, par rapport à 121 % pour le S&P 500. Au Canada, l’appréciation de 1 802 % du Canadien National (CNR, 119,63 $) et celle de 942 % du Canadien Pacifique (CP, 308,22 $) sont tout aussi spectaculaires. Depuis le mois de mai, le secteur marque le pas. Le volume du transport intermodal, soit les marchandises transportées par conteneurs qui passent des trains aux camions, a chuté de 4,1 % depuis 12 mois, un rare déclin qui est survenu à seulement deux autres occasions en 19 ans, note l’équipe de Yardeni Research.
Une résolution du conflit entre la Chine et les États-Unis donnerait un nouvel élan aux titres, croient les analystes de cette firme, mais certains signaux laissent croire que le meilleur est peut-être passé en ce qui a trait aux marges et à la productivité «légendaire» des transporteurs ferroviaires, préviennent-ils.
Après tout, leurs marges bénéficiaires ont déjà explosé de 8,5 % en 2004 à 28,4 % si l’on se fie aux prévisions des analystes pour 2019.
Dans le contexte actuel, la firme de recherche indépendante s’étonne que la croissance prévue des bénéfices reste aussi élevée pour 2019 (11,2 %) et pour 2020 (12,1 %).
L’effet Amazon
Outre le ralentissement économique et la guerre commerciale, l’industrie ferroviaire doit aussi composer avec les bouleversements dans la chaîne d’approvisionnement qu’apportent les avancées technologiques. Yardeni Research cite notamment l’effet Amazon (AMZN, 1 821,50 $ US), qui expédie elle-même la moitié de ses colis, ainsi que l’offensive de FedEx (FDX, 152,45 $ US), qui veut doubler la capacité d’expédition consacrée au commerce électronique.
«Amazon et Uber Freight ne bâtiront pas leur propre chemin de fer», concèdent les analystes de Yardeni, mais leur percée dans le transport par camion rendra les camionneurs encore plus avides de contrats. Ils deviendront donc des concurrents plus féroces pour les chemins de fer.
Ce n’est pas un hasard si le Canadien National choisit de s’intégrer verticalement afin de capter les marges de services additionnels et surtout de rester un maillon privilégié de la chaîne d’approvisionnement de ses clients.
Prudence, si le passé est un bon guide
Pour sa part, Fadi Chamoun, de BMO Marchés des capitaux, craint que le recul de la quantité de marchandises transportées se prolonge plus longtemps que ne le laissent croire les cours des titres des chemins de fer.
Les titres du Canadien National (CNR, 121,19 $) et du Canadien Pacifique (CP, 310,15 $) ont rebondi de 21 % à 25 % depuis le début de l’année dans l’espoir que l’économie ne vive actuellement qu’un simple ralentissement. Leur gain modeste de 3 % sur un an fait tout de même écho aux craintes économiques.
La demande pour le transport par train a commencé à ralentir dès septembre 2018. Cette pointe dans la demande coïncide d’ailleurs avec le sommet d’évaluation de 18,7 fois les bénéfices prévus pour l’industrie du chemin de fer nord-américaine.
Cette année, le volume transporté baisse carrément depuis février. Les indicateurs précurseurs de BMO suggèrent encore de trois à six mois de faiblesse.
L’analyste rappelle néanmoins que lors des dernières «récessions du transport», celle de 2015 à 2016 et celle de 2008 à 2010, le recul des volumes a duré 22 mois.
«Cette fois, le volume décline depuis sept mois, mais l’évaluation des chemins de fer est encore supérieure à celle du S&P 500», ajoute M. Chamoun.
Cette divergence incite l’analyste à la prudence à l’égard de l’industrie dans son ensemble. Il a aussi réduit ses prévisions de bénéfices pour 2020 parce que la faiblesse de la demande persistera.
L’analyste a bien sûr des titres préférés dans son secteur. Il recommande le Canadien Pacifique, qui dégage de meilleures marges de chaque unité de volume de marchandises transportées, ainsi que l’Américaine Union Pacific (UNP, 167,10 $ US), qui est au coeur d’un vaste plan de redressement de son efficacité.
En d’autres mots, les titres reflètent un scénario de ralentissement et de reprise. Leur cours est donc vulnérable à toutes mauvaises surprises qui obligeraient les analystes à réduire leurs attentes élevées.
Le secteur, qui est apprécié pour sa résilience, est plus tributaire de l’économie qu’on le croit, dit aussi Cameron Doerksen, de Financière Banque Nationale.
Entre 2007 et 2008, les revenus par tonne-mille du Canadien National et du Canadien Pacifique ont chuté de 14,4 % par rapport au recul de 1 % par année du produit intérieur brut canadien.
Ce recul se compare au déclin de 7,5 % du volume de transport par camion et de seulement 1,4 % du trafic aérien au pays, précise aussi l’analyste.
M. Doerksen est, en conséquence, neutre envers les chemins de fer canadiens, pour lesquels il entrevoit peu de rendement, à part le dividende, d’ici 12 mois.
Martin Roberge, de Canaccord Genuity, croit qu’une nouvelle accélération de la croissance des bénéfices est possible l’an prochain, si l’économie prend du mieux et que l’Alberta exporte plus de son pétrole.
À court terme, sa stratégie sectorielle est neutre à l’égard des transporteurs ferroviaires, mais M. Roberge s’attend tout de même à ce que leurs actions résistent mieux au ralentissement actuel que d’autres segments du secteur industriel tels que les fournisseurs de machinerie.