L’éternel débat entre les projections à court et à long terme
Institut de planification financière|Publié le 27 mai 2022Prévoir le rendement des placements, la valeur d’une maison ou le taux d’inflation sur une période de 20, 30 ou 40 ans s’approche de la spéculation. (Photo: 123RF)
EXPERT INVITÉ. Les planificateurs financiers aiment bien être mis au défi par leurs clients. D’ailleurs, certains de ceux-ci remettent en cause les hypothèses que nous retenons lorsque vient le temps de projeter dans le futur les revenus de retraite, et ce, avec raison.
Après tout, prévoir le rendement des placements, la valeur d’une maison ou le taux d’inflation sur une période de 20, 30 ou 40 ans s’approche de la spéculation dont le résultat sera peut-être mitigé. Ainsi, cela génère parfois des échanges difficiles entre clients et planificateurs financiers.
Prenons l’exemple du taux de rendement prévu. L’indice S&P500, qui représente environ 500 grandes entreprises américaines, est souvent utilisé comme point de référence par les investisseurs autonomes et les médias. Il faut préciser, toutefois, qu’il est rare qu’un portefeuille soit entièrement investi dans ce seul indice.
Les rendements des années 2019, 2020 et 2021 ont été de 31 %, 18 % et 28 %. Cependant, depuis le début 2022, il est de -17,26 % (au 25 mai 2022).
Avant la dernière correction, il arrivait, surtout avec les « boursicoteurs autodidactes », qu’on me demande d’élaborer une prévision avec des rendements « conservateurs » supérieurs à 10 %. Fait à noter : je projette environ 4 % pour un rendement à long terme! Cet écart de 6 % en dit long sur nos perceptions respectives de la réalité.
Et que dire du taux d’inflation?
Avant cette année, j’utilisais une inflation de 2 %. Maintenant, j’ai ajusté à… 2,10 %. Vous direz que c’est peu, surtout lorsque l’on voit les médias et réseaux sociaux qui projettent des scénarios catastrophes. S’il est vrai que les derniers chiffres publiés en avril 2022 rapportent une inflation de 6,8 % au Canada, mes hypothèses demeurent inchangées. Voyez-vous, la moyenne de l’inflation au Canada depuis 20 ans n’est que de 2 %.
Il faut remonter à 1982, soit il y a 40 ans, pour retrouver une inflation supérieure à ce que nous connaissons aujourd’hui. Personne ne peut le prédire avec certitude, mais ce que nous vivons actuellement ressemble plutôt à une anomalie qu’à une tendance historique. Et comme les projections sont à très long terme, on voit bien que le court terme ne devrait pas avoir d’impact sur les résultats des projections à long terme.
Toutefois, j’avoue qu’une des hypothèses utilisées dans les projections est plus que défaillante, je parle ici de l’espérance de vie. Nous sommes d’accord : vivre jusqu’à 100 ans coûtera plus cher que vivre jusqu’à 65 ans. Le problème est que nous ne connaissons pas la date de notre trépas. Comme les facteurs de risque des habitudes de vie individuelles ont une incidence importante sur cette fameuse espérance de vie, faire un point de référence de celle-ci peut s’avérer complexe puisqu’elle varie beaucoup d’une personne à l’autre.
Tout cela étant dit, vous êtes-vous déjà demandé sur quoi les planificateurs financiers se basent pour vous présenter un rapport de planification de retraite? Ayant eu la chance de voir des rapports préparés par des collègues, je constate que les hypothèses de base sont assez uniformes. C’est que beaucoup d’entre nous utilisent comme point d’appui les Normes d’hypothèses de projection de l’IQPF, qui sont mises à jour chaque année. Elles viennent d’ailleurs d’être publiées le 28 avril dernier.
Ces normes sont le fruit d’un travail colossal d’un comité composé de membres de l’Institut québécois de planification financière (IQPF) et du Conseil des normes de FP Canada. Le comité s’appuie sur des sources variées et surtout crédibles – et non des Youtubeurs et groupes Facebook.
Revenons à l’espérance de vie, l’âge choisi correspond au moment où la probabilité de survie n’excède pas 25 %. C’est pour cela que les projections sont souvent jusqu’à 94 ou 96 ans, ce qui, je l’admets, peut sembler irréaliste pour certains.
Voici quelques hypothèses retenues pour 2022 :
– Taux d’emprunt 4,3 %
– Inflation 2,1 %
– Rendement revenu fixe long terme (avant frais) 2,8 %
– Rendement actions canadiennes (avant frais) 6,3 %
– Rendement actions pays développés (avant frais) 6,6 %
Ce qui est intéressant au sujet de ces normes, c’est qu’elles sont publiques. Vous pouvez non seulement les consulter, mais aussi accéder à l’Addenda qui permet de voir une multitude de données qui ont été utilisées pour en arriver à un résultat crédible.
Toutefois, avouons-le : il est possible que la réalité future ne corresponde pas aux hypothèses retenues. Trop d’événements peuvent survenir et affecter notre société sur les plans démographique, politique ou économique. On n’a qu’à penser à l’impact dramatique de la COVID-19 au cours des deux dernières années. Il n’en demeure pas moins que la méthode utilisée pour guider les gens dans leur planification de retraite devrait assurément se rapprocher le plus possible de la réalité, d’où l’importance d’utiliser des hypothèses réalistes.
André Lacasse, MBA, Pl. Fin.