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L’inflation expliquée aux enfants

Claudine Hébert|Édition de la mi‑juin 2022

L’inflation expliquée aux enfants

(Photo: 123RF)

FINANCES PERSONNELLES.Le pays se dirige vers une ère inflationniste qui ne s’est pas vue depuis plus de 40 ans. Comment aborder le sujet avec les enfants ? Comment les préparer au tsunami économique qui prend forme ?

La tâche ne s’annonce pas facile, reconnaît Julie Brissette, conseillère budgétaire à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de l’est de Montréal. «Plusieurs adultes ne saisissent pas eux-mêmes ce qui se passe actuellement. Bon nombre n’ont jamais vécu cette situation», indique la jeune professionnelle de 30 ans qui vit, elle-même, sa toute première période d’hyperinflation.

Selon Statistique Canada, près du tiers de la population adulte québécoise actuelle n’était pas né en 1980 et près d’un autre tiers était âgé de moins 15 ans à cette époque. Autrement dit, deux adultes sur trois pénètrent en zone inconnue. «Ils sont nombreux à n’avoir aucune idée de comment ce phénomène va chambouler leurs finances personnelles et, par ricochet, leurs comportements de consommation au quotidien», signale la conseillère de l’ACEF.

Les hausses de taux d’intérêt de la Banque du Canada ont déjà des répercussions sur les taux d’emprunt hypothécaire qui avoisinent les 5 %. Financer un véhicule (achat ou location) à des taux de 8 %, 9 %, 10 % risque d’être la nouvelle normalité d’ici la fin de l’année 2022, signale-t-on dans l’industrie financière automobile. Sans compter que l’essence est bien installée à plus de 2 $le litre et que le panier d’épicerie coûte plus de 10 % plus cher qu’à pareille date l’an dernier.

 

Privilégiez la simplicité

Dans un tel contexte, comment aborder avec nos enfants le sujet de l’inflation qui affecte déjà tous les secteurs de l’économie ? Julie Brissette suggère aux parents d’emprunter la voie de la simplicité. «Il faut faire comprendre aux enfants que papa et maman ont désormais besoin de plus de temps, de plus d’efforts pour se procurer des biens et des services. Ils doivent même se priver ou modifier le contenu de leurs achats pour ne pas s’endetter. Si ce n’est pas déjà le cas», explique-t-elle.

Cette nouvelle réalité qui oblige à réviser la valeur des biens affecte aussi l’enfant, avertit le planificateur financier à la Banque Scotia, Boyan Ivanov. Ce dernier conseille aux parents d’aider l’enfant à se fixer de nouveaux objectifs réalistes. «Si l’enfant reçoit, par exemple, 2 $pour chaque tâche ménagère qu’il effectue, l’exercice consiste à déterminer combien de tâches il devra désormais exécuter pour s’offrir l’objet convoité.»L’important, insiste-t-il, est de privilégier des mots, des termes, des pro-duits qui sont familiers à l’enfant. Après tout, leur univers est beaucoup plus restreint que celui des adultes.

Une approche que préconise également Stéphane Rochon, vice-président et directeur général de l’équipe-conseil Portefeuilles de BMO Nesbitt Burns. «Aborder par exemple la hausse du prix de l’essence aura beaucoup plus d’impact auprès d’un adolescent qui vient de décrocher son permis de conduire qu’auprès d’un enfant âgé de moins de 12 ans plus préoccupé par sa collection de blocs Lego.»

 

D’autres recettes

L’inflation peut aussi être abordée de façon ludique, renchérit Julie Brissette. Pour mieux comprendre l’incidence de l’inflation sur le portefeuille, les enfants peuvent, par exemple, questionner leurs grands-parents sur le prix de certains biens de consommation (barres de chocolat, gomme balloune, hamburger, paquet de cartes de hockey…) lorsqu’ils étaient jeunes. En les écrivant sur un papier, ils peuvent comparer ces prix avec ceux d’aujourd’hui. «C’est un début», dit-elle

La figure de style se révèle également une option. «Dites à l’enfant de s’imaginer en train d’écouter la télévision dans le salon, alors que son petit frère ou sa petite soeur s’installe dans la pièce d’à côté avec sa batterie et commence à en jouer», raconte l’ex-analyste de la Banque du Canada, David Dupuis, qui enseigne aujourd’hui à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke. «Les coups de baguette sur la batterie vont faire tellement de bruit que l’enfant va perdre des bouts de son émission. C’est ça l’inflation, c’est tout ce bruit qui nous empêche de prendre de bonnes décisions. C’est du bruit qui vient brouiller les cartes et qui nous empêche de bien comprendre ce qui se passe actuellement dans l’économie.»

 

Surmonter l’anxiété des enfants…

Le sujet de l’inflation n’est toutefois pas le bienvenu à la tablée de toutes les chaumières. Chez Catherine, maman de deux jeunes bambins âgés de trois et de sept ans, pas question d’aborder la hausse des coûts avec eux. «Ils sont beaucoup trop jeunes. Pourquoi les embêter avec ce sujet d’adulte? Ils n’ont pas besoin de se faire du souci à leur âge. Déjà que le professeur de mon aîné parle de la guerre en Ukraine en classe… je ne veux surtout pas stresser mes enfants avec ça», soutient la jeune maman trentenaire, d’un ton enflammé.

Il y a bien sûr un temps et un âge pour aborder les sujets relatifs à l’argent, concède l’économiste David Dupuis. Mais que les parents évitent à tout prix de parler du brouhaha économique qui entoure la vie des adultes n’est pas une bonne stratégie, croit-il. «Mieux vaut que les enfants soient préparés et confrontés aux réalités de la vie le plus tôt possible.»

À quel âge, justement, l’enfant est-il plus apte à saisir le concept de l’argent et, par le fait même, capable d’adopter des comportements qui l’aideront à combattre l’inflation ? D’après deux chercheurs de l’Université de Cambridge, au Royaume-Uni, David Whitebread et Sue Bingham, la réponse serait sept ans. Dans une étude publiée en 2013, les deux experts en psychologie, ont déterminé que la plupart des enfants âgés de sept ans reconnaissent la valeur de l’argent, sont capables de reporter une décision et de comprendre que certains choix sont irréversibles. «En fait, c’est à cet âge que les enfants adoptent les bonnes ou les mauvaises habitudes envers la gestion de l’argent qui vont les suivre toute leur vie», soutenaient les deux universitaires.

 

… et celle des parents

Or, comme le montrent de récents sondages au pays, ces apprentissages sont loin d’être une formalité au sein des familles. «Près de trois familles canadiennes sur quatre ne parlent toujours pas régulièrement d’argent aux enfants. Dans la majorité des cas, les parents ne le font pas, car ils ne s’estiment pas assez compétents pour le faire», relate le planificateur financier indépendant Marc-Olivier Desmarais.

«L’idée n’est pas de jeter le blâme sur les parents, mais chacun d’eux devrait prendre acte de ses responsabilités», maintient-il. Les valeurs fondamentales quant à l’argent se développent durant l’enfance et sont transmises par les parents. Plus ces valeurs sont inculquées rapidement, mieux c’est, dit-il. «Les parents sont les premiers repères de l’enfant. Pas l’école, pas les amis, ni même les oncles et les tantes. Si les parents ne savent pas par où commencer, c’est dans leur intérêt d’aller chercher de l’aide», insiste le financier.

Selon lui, l’inflation historique qui frappe l’économie de plein fouet est une belle occasion pour les parents d’initier leurs enfants aux principes de base de la valeur de l’argent. «C’est le bon moment pour leur apprendre à mieux dépenser, à mieux investir et surtout à faire fructifier leur capital le plus rapidement possible.»Il s’agit, à ses yeux, du meilleur coffre d’outils à offrir aux enfants pour vaincre l’inflation qui s’installe. «Et si les parents ne sont pas stressés, les enfants ne le seront pas.»