L’inversion de la courbe des rendements, signe d’une récession?
Simon Lord|Édition de la mi‑octobre 2022(Photo: 123RF)
STRATÉGIE. Le phénomène s’est produit de nouveau cet été après avoir été observé ce printemps: la courbe des rendements des obligations américaines s’est inversée. On a constaté le même phénomène au Canada. Si une telle inversion est depuis longtemps présage de récession, s’agit-il toujours d’un indicateur valide aujourd’hui? Et comment son évolution devrait-elle influencer votre gestion de portefeuille?
D’emblée, décortiquons ce qu’est une courbe de rendements.
« Une courbe de rendements est une représentation graphique des rendements des obligations en fonction de leur échéance », résume Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion de patrimoine.
Sur l’axe horizontal, les échéances sont placées en ordre croissant. Celles à plus court terme se retrouvent donc à gauche, et celles à plus long terme, à droite. Sur l’axe vertical, on trouve les rendements (taux d’intérêts) qui correspondent à chacune de ces échéances.
Naturellement, en temps normal, la pente de la courbe qui en résulte est positive – elle monte vers la droite. Comme l’avenir est incertain, et que l’avenir lointain l’est plus que l’avenir proche, les investisseurs demandent généralement à être mieux rémunérés quand ils placent leur argent pour plus longtemps.
« Mais la courbe est vivante, dit Michel Doucet. Elle intègre la somme des attentes des investisseurs en temps réel. »
En fonction de ces attentes, la courbe peut donc aussi être horizontale, ou même inversée.
Si une courbe positive laisse entrevoir une croissance économique rigoureuse, une courbe neutre indique une économie et une inflation qui sont à leur potentiel. Quant à la courbe inversée, elle est de mauvais augure : elle signale une récession ou un ralentissement économique.
Un indicateur fiable
Accorde-t-on trop d’importance à cet indicateur? Pas selon Michel Doucet, qui explique que la courbe a eu, pas le passé, un bon pouvoir prévisionnel.
Aux États-Unis, par exemple, une partie de la courbe de rendement s’est inversée avant chaque récession qui est survenue aux États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale.
« La courbe a envoyé un faux signal à deux occasions seulement, soit en 1998 et au début des années 1960. Dans l’ensemble, la courbe a un excellent pouvoir prévisionnel. Elle ne s’est pas trompée bien souvent », dit Michel Doucet.
Il explique que si l’on regarde spécifiquement la différence entre les rendements des obligations américaines à deux ans et à dix ans, le délai moyen entre l’inversion et le début d’une récession est de 15,9 mois.
Comme la courbe s’est inversée en avril et en juillet, une récession pourrait donc survenir aux États-Unis à quelque part vers le troisième trimestre de 2023 — si l’indicateur dit vrai.
Une récession serait aussi à prévoir au Canada, puisque la courbe des rendements des obligations canadiennes s’est aussi inversée au pays en juillet. Plus spécifiquement, à la fin du mois, les obligations à deux ans étaient à 2,94 % alors que les obligations à dix ans étaient à 2,65 %.
David Stonehouse, vice-président principal et chef des investissements nord-américains et spécialisés chez Placements AGF, formule toutefois une mise en garde : hors des États-Unis, l’inversion de la courbe des rendements est rarement un aussi bon indicateur de récession à venir.
Au Royaume-Uni, par exemple, seulement quatre des six dernières récessions ont été précédées d’une inversion de la courbe de rendement.
« Même aux États-Unis, cet indicateur a été beaucoup plus fiable dans les derniers 50 ou 60 ans qu’au cours des décennies précédentes », explique David Stonehouse.
Ajuster ses placements
Que devrait faire un investisseur qui constate que la courbe des rendements s’est inversée?
Certains ajustements du portefeuille peuvent être de mise, comme une certaine réallocation vers les obligations plutôt que les actions. « Mais il faut également garder en tête le contexte plus général », dit David Stonehouse.
Il note que, dans le moment, les obligations viennent de connaître deux années difficiles, et qu’elles ont tendance à prendre de la valeur lorsqu’une récession survient. « C’est peut-être un peu hâtif de le faire tout de suite, mais ç’aurait du sens, dans une certaine mesure, de commencer à accroître son exposition aux titres à revenu fixe et de continuer dans cette direction pendant un moment. »
Quant aux actions, les marchés ont tendance à précéder la conjoncture économique plus générale de trois à six mois, explique David Stonehouse, qui ajoute que les marchés ont déjà commencé à absorber les craintes de ralentissement ou de récession.
« Notre préoccupation est que les marchés ne reconnaissent peut-être pas encore pleinement l’impact que pourrait avoir une récession, dit le vice-président principal. Les bénéfices pourraient donc toujours reculer de nouveau si une récession survient l’an prochain. »