CLASSE D'ACTIFS. Le pouvoir de séduction des dividendes est indéniable. On s'enrichit en recevant une part...
CLASSE D’ACTIFS. Le pouvoir de séduction des dividendes est indéniable. On s’enrichit en recevant une part grandissante des profits des sociétés dans lesquelles on investit. Fiscalement, ils sont aussi moins taxés que les revenus d’intérêts au Canada. Miser sur les dividendes s’est révélé payant depuis quelques décennies lorsqu’on compare cette stratégie à la performance de l’ensemble du marché.
Pour plusieurs investisseurs, les titres de qualité qui versent des dividendes sont une manière de compenser les faibles paiements d’intérêts du marché obligataire. Le rendement de ces entreprises est souvent plus stable et ce sont pour la plupart des sociétés rentables et bien établies. Pensons à BCE (BCE) ou à la Banque CIBC (CM) au Canada, et à Walmart (WMT) ou à Johnson & Johnson (JNJ) aux États-Unis.
Il existe également des indices boursiers qui regroupent les titres aristocrates, des entreprises qui versent un dividende croissant depuis de nombreuses années. Pour mériter le qualificatif d’aristocrate aux États-Unis, une action cotée en Bourse doit avoir augmenté son dividende annuellement depuis 25 ans d’affilée sans jamais l’avoir abaissé. Au Canada, les entreprises doivent avoir augmenté leur distribution au cours d’au moins quatre des cinq dernières années.
Il existe des fonds négociés en Bourse qui répliquent leur performance tels le iShares S&P/TSX Canadian Dividend Aristocrats (CDZ) ou le ProShares S&P500 Dividend Aristocrats (NOBL) chez nos voisins du Sud.
À cause de l’éclatement de la pandémie au printemps, la réaction des titres aristocrates a donc surpris beaucoup d’experts. Ces entreprises phares ont été particulièrement malmenées.
Dans les faits, la plupart des actions canadiennes et américaines qui paient de généreux dividendes ont été affectées plus négativement que le marché à la suite de l’éclosion de la COVID-19. Les investisseurs ont craint des coupes dans la distribution versée aux actionnaires en raison du ralentissement économique.
De bons résultats
Les données historiques suggèrent qu’en misant sur les titres de dividendes, on peut obtenir de meilleurs rendements que le marché. Une récente étude américaine de Hartford Funds (hartfordfunds.com/dam/en/docs/pub/whitepapers/WP106.pdf), qui gère plus de 100 milliards de dollars d’actifs, constate que les dividendes ont joué un rôle prépondérant dans le rendement du S&P 500 depuis 50 ans. Ainsi, entre 1970 et 2019, 78 % du rendement total de l’indice serait attribuable au réinvestissement des dividendes et au pouvoir des intérêts composés.
Les analystes donnent l’exemple d’un investissement de 10 000 $ en 1970 (dividendes réinvestis) qui aurait valu 1 626 370 $ à la fin de 2019. Si on considère seulement l’appréciation du prix des actions de l’indice S&P 500 (en excluant les dividendes versés), ce montant initial de 10 000 $ vaudrait plutôt 350 144 $, soit un montant nettement inférieur.
Toutefois, d’une décennie à l’autre, les dividendes n’ont pas toujours été aussi dominants, souligne la recherche de Hartford Funds. Entre 1930 et 2019, la contribution des titres versant des dividendes au rendement total du S&P 500 a été de 42 %. Ce pourcentage n’était que de 16 % pendant les années 1990, au moment où les entreprises réinvestissaient massivement leur capital à l’interne (avant la bulle technologique).
Peut-on alors atteindre l’indépendance financière en misant seulement sur des titres aristocrates ? «On aime l’idée de vivre à la retraite uniquement du revenu de dividendes que nous procurent nos titres, peu importe comment le marché boursier se comporte», remarque Benjamin Felix, gestionnaire de portefeuille à PWL Capital, à Ottawa. Or, cette idée romantique doit être déconstruite, croit-il.
«Qu’une société paie une part de ses bénéfices en dividendes ou choisisse plutôt de les réinvestir à l’interne n’a aucune incidence pour l’investisseur. Le versement d’un dividende aux actionnaires va réduire le prix de l’action de manière équivalente après le paiement. On devrait donc être indifférent au fait d’en recevoir ou non», souligne-t-il.
Une entreprise qui ne verse pas de dividende pourrait préférer réinvestir ses bénéfices dans des projets internes. Elle espère que ces montants rapporteront un rendement supérieur en faisant monter le prix de l’action. Cette société pourrait aussi utiliser ses profits pour racheter ses actions dans le marché sans verser de dividende.
«Ce sont notamment nos présomptions qui expliqueraient cette préférence pour l’argent comptant», estime Benjamin Felix. La comptabilité mentale nous incite à accorder une valeur différente à l’argent en fonction de son origine. Or, on devrait plutôt s’attarder au rendement total de nos placements, peu importe qu’ils proviennent du versement de dividendes ou de l’appréciation du prix de l’action.
«On a peut-être l’impression qu’en recevant un revenu trimestriel, ces actions sont plus sécuritaires, même si ce n’est guère différent que de vendre un petit montant d’actions», observe Ian Tam, directeur de la recherche en investissement de Morningstar Canada.
D’un point de vue fiscal, le dividende est taxé dans une moindre mesure que le revenu d’intérêts d’une obligation. Toutefois, si on n’a pas besoin de ces revenus de dividendes pour vivre, en optant pour des titres qui n’en versent pas, l’impôt sur le gain en capital qu’on devra débourser sera différé dans le temps et seulement la moitié du gain est imposé, ce qui peut être une bonne chose, d’après Benjamin Felix.
Attention à la concentration sectorielle
Par ailleurs, en choisissant des titres qui versent des dividendes, on limite l’univers des placements qui s’offre à nous. «D’après une étude de Dimensional Fund Advisors, près de 60 % des actions américaines et de 40 % des actions internationales ne versent pas de dividendes. En éliminant autant de titres, on se retrouve avec des portefeuilles moins bien diversifiés. On exclut aussi beaucoup de titres de petite capitalisation (small-cap)», remarque le gestionnaire de portefeuille de PWL Capital.
Une analyse récente de Morningstar Canada met en évidence cette concentration sectorielle des titres aristocrates. «On a constaté que la sous-performance de ces actions après l’éclatement de la pandémie était avant tout sectorielle. L’indice S&P/TSX Canadian Divident Aristocrats contient effectivement très peu de titres de matières premières ou du secteur des technologies», indique Ian Tam. Ces titres versent peu ou pas de dividendes à leurs investisseurs. Pensons également à des titres de métaux précieux, comme les aurifères.
Par exemple, la plateforme de commerce en ligne Shopify a été l’un des titres les plus prisés et les plus performants de l’indice boursier canadien ces derniers mois, bien que la société n’ait encore jamais versé de dividendes. Un investisseur qui ne mise que sur les titres de dividendes n’en aurait pas dans son portefeuille et son rendement va donc dévier de celui de l’ensemble du marché, vu le poids important de ce titre dans l’indice S&P/TSX.
«Il y a beaucoup de mérite à investir dans des titres qui versent des dividendes. Mais comme toute bonne stratégie poussée à l’extrême, elle peut devenir nuisible, croit Dan Hallett, vice-président, analyste et directeur de la recherche à HighView Financial Group. Pourchasser les rendements est un jeu dangereux, particulièrement quand on veut remplacer les revenus obligataires par des revenus de dividendes.»
D’après lui, focaliser uniquement sur les titres de dividendes peut augmenter la volatilité d’un portefeuille durant certaines périodes, comme on l’a vu récemment. La portion obligataire du portefeuille a un rôle précis à jouer. Elle offrira une stabilité, puisque ces titres performeront relativement bien lorsque le marché boursier chute.
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Le piège du taux de rendement du dividende
Avant d’acheter une action, plusieurs vont s’attarder au taux de rendement du dividende. Afin de maximiser notre rendement, on souhaite qu’il soit le plus élevé possible. C’est un piège à éviter. « On devrait plutôt s’assurer que la société convoitée verse un dividende soutenable à long terme. Une entreprise qui accroît son dividende dans le temps est un indicateur de bonne santé. Plutôt que s’attarder au taux de dividende, on voudra mesurer le ratio de distribution du dividende par rapport aux bénéfices », explique Ian Tam, directeur de la recherche en investissement chez Morningstar Canada. L’analyse dépendra notamment du secteur d’activité de l’entreprise. « On souhaite généralement que ce taux de distribution du dividende soit inférieur à 80 % des bénéfices d’exploitation pour qu’il demeure soutenable. Dans le cas des sociétés immobilières, énergétiques ou du secteur public, on utilisera plutôt ce taux par rapport aux flux monétaires et non pas les bénéfices. Un taux raisonnable sera inférieur à 60 % », indique l’expert.