EXPERT INVITÉ. En 2008, à Pékin, le nageur américain Michael Phelps est devenu le premier athlète, tous sports...
EXPERT INVITÉ. En 2008, à Pékin, le nageur américain Michael Phelps est devenu le premier athlète, tous sports confondus, à remporter huit médailles d’or lors des mêmes Jeux olympiques. Il a ainsi battu l’ancien record établi par son compatriote Mark Spitz, sept fois titré en natation aux Jeux olympiques de Munich, en 1972.
Sa consécration était pleinement méritée. Que ce soit pour ses qualités physiques exceptionnelles, ses entraînements rigoureux, ses exercices de visualisation, ses techniques de nage ou pour son état d’esprit sans égal, l’athlète fait partie d’une classe à part. Or, une question s’impose : quel rôle a joué la chance dans son succès ?
Plusieurs diront que la chance n’est certainement pas un facteur décisif dans le succès du nageur. Pourtant, lorsqu’il a récolté sa septième médaille d’or à l’épreuve du 100 m papillon, Michael Phelps a sûrement bénéficié de sa longue portée ou d’une petite vague dans le couloir du médaillé d’argent. En effet, en consultant la photo d’arrivée, il est impossible de déterminer celui qui a touché au mur en premier entre lui et son rival serbe Milorad Cavic. C’est bien normal, car un infime écart d’à peine un centième de seconde les séparait. Pour vous donner une idée, même un battement de cil dure plus longtemps !
Il faut reconnaître le rôle de la chance dans le sport de haut niveau… autant que dans le domaine de l’investissement. Pour mieux comprendre cette réalité, le concept du paradoxe de compétence est très utile.
D’après ce principe, le résultat de certaines activités est déterminé par la combinaison d’habiletés et de chance. Plus le degré d’habileté des participants est élevé, plus l’écart de compétence entre eux est minime, ce qui procure une importance accrue à la chance, un facteur qui demeure constant. Par exemple, au tennis professionnel, lors de chaque tournoi, une douzaine de joueurs ont les habiletés requises pour aspirer aux grands honneurs. Pendant les quelques jours de compétition, la chance joue donc un rôle prédominant. Qu’il s’agisse d’une contre-performance ou d’un favori qui déclare forfait en raison d’une blessure, nous devons accepter le fait que tout peut arriver à court terme. D’ailleurs, depuis le début de l’année, les 33 premiers titres chez les hommes et les femmes ont été remportés par 33 joueurs différents !
Le facteur chance à la Bourse
Depuis quelques années, de nombreuses études montrent que les gestionnaires de portefeuille sont généralement incapables de produire un rendement supérieur à celui produit par leur indice de référence. En 2018, seulement 36 % des gestionnaires de fonds communs de placement américains à grandes capitalisations ont mieux fait que le S&P 500, le principal indice de référence aux États-Unis.
Ce résultat peut paraître surprenant, car ce sont des personnes intelligentes et qualifiées ayant accès à de l’information financière de qualité ainsi qu’à une panoplie d’outils d’analyse sophistiqués. Par contre, comme la Bourse est la somme des connaissances, de l’expérience et du jugement de milliers d’investisseurs, il est difficile de se démarquer uniquement par ses aptitudes. Le concept de paradoxe de compétence s’applique donc et le facteur chance est ainsi bien présent, surtout à court terme. Prenons deux cas de figure :
1. La réaction des participants au marché est imprévisible. En 2018, bien que le PIB américain ait crû de 2,9 % et que près de trois millions d’emplois aient été créés, le S&P 500 a terminé l’année en baisse de 6 %. Pourtant, en 2009, le PIB a chuté de 2,5 %, ce qui n’a pas empêché le même indice de référence de clôturer l’année en hausse de 26 % !
2. Les impondérables. Par exemple, le lendemain de l’écrasement de l’un des appareils de Boeing, en Éthiopie, l’action de l’entreprise a perdu jusqu’à 13,5 % de sa valeur, ce qui correspond à une perte de plus de 30 milliards de dollars de capitalisation boursière. Bien entendu, personne ne pouvait prédire une telle tragédie.
L’être humain aime pouvoir s’expliquer un phénomène en établissant une relation de causalité. L’argument rationnel lui donne une impression de contrôle et lui permet de réagir adéquatement. Or, étant donné le caractère incertain et aléatoire du marché boursier, il n’y a aucune certitude quant au rendement à court terme d’un portefeuilliste.
En acceptant le rôle de la chance, l’investisseur optera alors pour une diversification de gestionnaires de placements et, surtout, jugera de leur performance sur un horizon de placement convenable (p. ex. : une période de cinq ans). Ainsi, à l’image de Michael Phelps, il ne laissera pas une occasion de générer un rendement satisfaisant à long terme lui filer entre les doigts.
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EXPERT INVITÉ
Michel Villa est détenteur de la charte CFA, opérateur de marché, formateur et conférencier sur la Bourse. Il publie sur son site Web michelvilla.com.