Le début de la hausse des taux et l’arrivée de l’inflation nuisent aux valorisations. (Photo: 123RF)
«Il y a eu une fuite vers la sécurité à l’échelle mondiale», déclare John Rekenthaler, vice-président de la recherche chez Morningstar. Et la sécurité n’est pas là où elle était auparavant, à savoir aux États-Unis.
«Au cours de la dernière décennie, poursuit John Rekenthaler, les États-Unis ont été perçus comme le plus sûr des marchés mondiaux, avec une attitude favorable aux investisseurs et un gouvernement accommodant; par conséquent, les cours boursiers ont entraîné une prime avec des multiples supérieurs et des prix plus élevés par rapport à la valeur comptable. Cette perception semble s’inverser. Le début de la hausse des taux et l’arrivée de l’inflation nuisent aux valorisations. Les États-Unis ne sont probablement plus une aussi “bonne affaire” et sont peut-être trop chers.»
Quelle est la solution pour les investisseurs? Où doivent-ils s’orienter?
Qu’en est-il du Canada ?
Le Canada apparaît certainement comme un havre de paix pour les investisseurs meurtris, avec un ratio cours/bénéfice boursier de 16, «ce qui est un creux de près de 15 ans comparé aux États-Unis», reconnaît John Rekenthaler.
Toutefois, à la suite d’événements politiques récents, notamment « l’état d’urgence » de février, le Canada pourrait subir un certain vent contraire, prévient Aidan Garrib, responsable de la stratégie et de la recherche macroéconomique mondiale, chez Pavilion Global Markets. «J’ai reçu des courriels de clients internationaux me demandant si le Canada était un endroit où nous voulons être, rapporte-t-il. Le Canada est considéré comme un pays où règne l’état de droit, mais si même le Canada peut faire de vous une entité non financière d’un simple trait de plume, cela soulève des questions.»
Où investir?
D’autres marchés développés présentent des valorisations intéressantes, souligne John Rekenthaler, notamment l’Allemagne, la Suède et l’Australie — mais pas tant le Royaume-Uni. « Si on me donnait le choix entre les États-Unis et certains de ces pays, je choisirais ces derniers. Ce sont des marchés pleinement développés, très stables politiquement, non corrompus et de tradition capitaliste. Ils ne disposent pas d’autant de technologies de pointe, ils ont plus de réglementation gouvernementale, des impôts plus élevés, mais l’écart entre les valorisations là-bas et aux États-Unis semble trop important à l’heure actuelle. »
Aidan Garrib privilégie quelques marchés émergents. « Certains ont été assez résilients récemment parce qu’ils sont assez bon marché, principalement les pays producteurs de matières premières comme l’Afrique du Sud, le Pérou, le Chili et le Brésil.» Mais les faibles valorisations ne sont certainement pas une garantie en soi: « Vous pouvez obtenir des actions ukrainiennes à des multiples de deux », nous rappelle John Rekenthaler. Aidan Garrib en convient : « Certains marchés devraient être assez résilients, mais aucun ne sera vraiment sûr. »
Quels secteurs sont judicieux ?
Peu de secteurs reçoivent les éloges des deux analystes. Le pétrole, ils en conviennent, offre un bon refuge en ce moment, sa forte hausse initiée depuis août dernier ayant été favorisée par le conflit ukrainien. Bien sûr, cette industrie est destinée à prendre le chemin de « la calèche et du fouet », rappelle John Rekenthaler, même si cela n’arrivera certainement pas dans les 20 prochaines années, mais « le pétrole paraît très bien en ce moment », ajoute-t-il rapidement.
Aidan Garrib trouve que les fiducies de placement immobilier (FPI ou REIT en anglais), les services publics et les soins médicaux constituent «de bonnes zones défensives et des succédanés obligataires, dit-il. S’il devient clair que la Réserve fédérale resserre sa politique, ces poches de résistance devraient tenir un peu mieux.» Bien sûr, ce ne sont pas des paris sans faille.
Les actions à dividendes sont un autre domaine que le stratège privilégie, notamment les FNB de dividendes à faible volatilité. «Ces rendements de dividendes deviennent plus attrayants au fur et à mesure de la baisse des rendements obligataires, explique Aidan Garrib. Avec l’affaiblissement de la croissance, nous aurons des rendements obligataires à 10 ans plus faibles et la courbe des rendements s’aplatira, donc nous voyons toujours les valeurs défensives s’améliorer avec des dividendes qui deviendront plus attrayants. »
La haute technologie n’est certainement pas considérée comme un refuge défensif à l’heure actuelle, mais, contre toute attente, Aidan Garrib la désigne comme le secteur de qualité par excellence, composé d’entreprises ayant fait leurs preuves, dotées de bilans “forteresse”, de tonnes de liquidités, d’une dette plus faible et d’une plus grande immunité contre l’inflation». Les investisseurs doivent garder l’œil ouvert : «Si le repli se poursuit, on pourrait assister à une nouvelle hausse des grandes entreprises technologiques, dit-il. Lorsque la détérioration de la croissance sera prise en compte dans les prix, la croissance reprendra.»
Le creux de la vague pour la haute technologie « est difficile à quantifier », reconnaît Aidan Garrib, mais il pourrait ne pas être très éloigné si l’on considère que le NASDAQ s’est négocié dans une fourchette de 23-25 cours/bénéfices au cours des cinq dernières années. Après avoir atteint un pic à 42 en janvier 2021, il a glissé jusqu’à sa zone actuelle autour de 27. «Je peux le voir descendre encore de 3 ou 4 points», juge-t-il. (Le vendredi 6 mai la prévision de Bloomberg pour le cours/bénéfice du NASDAQ des 12 prochains mois est de 21 -NDLR)