De récentes règles permettent aujourd'hui aux investisseurs de mesurer la valeur des conseils financiers reçus. ...
De récentes règles permettent aujourd’hui aux investisseurs de mesurer la valeur des conseils financiers reçus. Encore faut-il trouver et comprendre l’information fournie par notre institution financière.
L’acronyme est rebutant. Le MRCC2 ou «Modèle de relation client-conseiller – Phase 2» est une série de règles qui obligent le secteur des valeurs mobilières à plus de transparence. Désormais, si vous faites affaire avec un courtier en placement ou un représentant en épargne collective, par exemple, on doit vous remettre chaque année un relevé, papier ou numérique, qui détaille la performance de vos placements et les frais en dollars (une partie du moins) prélevés dans votre portefeuille. Ces changements réglementaires mis de l’avant par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) visent à informer les investisseurs afin qu’ils prennent des décisions financières plus éclairées.
Jany Renaud traite avec trois institutions financières pour ses placements. Comme bien des Québécois, son épargne est essentiellement investie dans des fonds communs de placement. Elle reçoit des relevés trimestriels de ces firmes. Jusqu’ici, la comptable de 56 ans colligeait les valeurs marchandes de ses placements dans un chiffrier Excel afin d’avoir une vue d’ensemble de ses actifs et de mieux comprendre sa situation financière. Elle pointe le diagramme circulaire qui détaille son allocation d’actifs. «Où se trouvent mes rendements ? Ce n’est pas clair. Je ne sais pas où regarder», observe-t-elle. Les pourcentages représentés par des pointes de tarte colorées oscillent entre 5,68 % et 33,16 % et sont des pondérations accordées aux types d’actions et d’obligations détenues dans son portefeuille. Ce ne sont en rien des taux de rendement.
Jany n’avait pas remarqué que ses relevés au 31 décembre 2018 lui fournissaient davantage d’informations qu’habituellement. Dans le cas de ses comptes enregistrés de régimes d’épargne-retraite (REER), deux annexes sont ajoutées à la fin de son relevé de 10 pages : Rapport de rendement des placements (2018) et Rapport de frais et de rémunération (2018). L’écriture est très petite et il y a quelques définitions. Dans le premier rapport, on trouve son taux de rendement personnel des trois dernières années et celui de 2018, qui est négatif. «Je sais que le marché boursier canadien n’a pas bien performé l’an dernier, alors cela ne m’étonne pas, précise-t-elle. Mon conseiller m’en avait fait part.»
Notons que le taux de rendement personnel tient compte des dépôts et des retraits effectués par Jany durant la dernière année. Cela lui permet de voir si elle atteint ses objectifs financiers personnels, mais cette mesure n’est pas utile pour évaluer la performance des gestionnaires de fonds commun de placement qu’a choisi son représentant. Pour ce faire, il faudrait plutôt calculer le taux de rendement pondéré en fonction du temps qui exclut les mouvements d’encaisse dans son compte. En d’autres mots, si Jany n’effectue aucun dépôt ou retrait en argent dans son compte une année donnée, son taux de rendement personnel sera équivalent au taux de rendement pondéré en fonction du temps.
Pourtant, ce taux de rendement n’est pas fourni dans les rapports de Jany. «On veut probablement éviter que l’investisseur soit encore plus mêlé en observant deux taux de rendement pour un même compte», souligne Maxime Gauthier, chef de la conformité et représentant en épargne collective chez Mérici services financiers. Le taux de rendement personnel permet à l’investisseur de mieux mesurer les impacts de ses comportements sur ses rendements lorsqu’il dépose ou retire des sommes dans son compte. «Contrairement à ce que certains croient, ce rendement ne permet pas de juger de la valeur ajoutée du courtier ou du représentant quant à la sélection des fonds qu’il a faite pour son client», explique Maxime Gauthier.
Certaines firmes de courtage de plein exercice fournissent ces deux taux dans leur relevé annuel, mais cela demeure assez rare, semble-t-il. Lorsque c’est le cas, en plus du taux de rendement pondéré en fonction du temps, on pourrait ajouter le rendement d’un indice de référence. Cela permet à l’investisseur de comparer sa performance à celle du marché. «Le relevé annuel devra alors donner une description de l’indice utilisé, et son choix doit être pertinent par rapport aux placements dans le portefeuille du client», ajoute Maxime Gauthier. Ainsi, on pourrait trouver dans un même rapport de performance trois taux de rendement. Il va sans dire qu’en l’absence d’explications, l’investisseur risque de s’y perdre…
Comprendre ses frais
Qu’en est-il de frais ? Dans son compte REER, Jany a payé l’an dernier 425,22 dollars, soit un peu plus de 1 % de ses actifs en commission de vente et commission de suivi à son représentant. Elle trouve cela raisonnable. Jany ignore cependant que tous les frais de gestion de ses fonds ne sont pas divulgués dans ce rapport annuel. «Présentement, la portion des frais qui est versée aux gestionnaires des fonds n’est pas divulguée, ce qui pourrait s’élever à 1 % par année, voire plus», confirme Maxime Gauthier. Ils n’apparaissent donc pas dans le relevé annuel de frais, bien qu’ils viennent réduire la performance financière du fonds et, ultimement, celle de l’investisseur.
Ainsi, seule une partie des frais payés au gestionnaire du fonds est versée à la société de courtage ou au représentant en échange des services offerts à leurs clients. Ce qu’on appelle habituellement les commissions de suivi est versé annuellement durant toute la période de détention du fonds par l’investisseur. Cette rémunération pourrait aussi inclure des frais d’acquisition qui sont prélevés sur le montant lors de l’achat. Finalement, dans ce relevé annuel de frais, on trouve aussi tous les dépenses administratives liées au compte, comme des frais de transfert, des frais annuels, etc.
«Nous sommes en faveur d’une pleine divulgation du ratio de frais de gestion (RFG) et des sommes versées aux gestionnaires des placements», tient à préciser Paul Bourque, président de l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC). Ce dernier travaille en collaboration avec l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels afin de trouver des moyens de produire ces chiffres. Les manufacturiers de fonds doivent adapter leurs systèmes informatiques afin de ventiler client par client les montants payés par chaque investisseur, ce qui prendra encore un certain temps. De toute façon, aucune exigence réglementaire n’oblige encore la divulgation complète du RFG.
Quant aux épargnants qui placent leur pécule avec une firme de courtage de plein exercice, tel qu’un conseiller en placement ou un gestionnaire de portefeuille inscrit, ils paieront parfois des honoraires.
Ce pourcentage annuel dépend généralement des actifs sous gestion avec la firme. D’autres vont facturer des frais à la transaction, soit à l’achat ou à la vente de titres. L’ensemble de cette rémunération devra se trouver dans le sommaire des frais à la fin de l’année tout comme les frais d’exploitation ainsi que les frais reçus de tierces parties par le courtier.
Il est important de rappeler que cette plus grande transparence imposée au secteur des valeurs mobilières ne touche pas seulement les fonds communs de placement. Ceux qui détiennent des actions et des obligations individuelles, par exemple, doivent également recevoir des relevés de performance et de rémunération chaque année de la part de leur institution financière. Il y a cependant des exceptions : les certificats de placement garanti (CPG) bancaires, les produits d’assurance, comme les fonds distincts et les rentes, ne sont notamment pas assujettis à cette règle de divulgation des frais et des rendements. Rien pour faciliter la compréhension des investisseurs !
Que disent les sondages ?
Soyons francs, l’investisseur ne sait bien souvent pas quel rendement son portefeuille a généré ni combien il paie son représentant. Selon un sondage pancanadien mené par Credo Consulting, en partenariat avec le journal Finance et Investissement, la proportion de Canadiens croyant payer pour les conseils financiers qu’ils reçoivent demeure faible.
L’étude «Zone de confort financier», menée en ligne tous les mois, a permis jusqu’ici d’interroger 38 500 Canadiens. «Alors qu’au deuxième trimestre de 2016, seulement un tiers des investisseurs sondés admettent avoir payé des frais pour les conseils financiers reçus, ce pourcentage grimpe à 42 % au troisième trimestre de 2018. Malgré cette amélioration, on constate que la majorité des répondants pensent ne rien débourser, ce qui est étonnant», affirme Brandon Bertelsen, directeur de la recherche de la firme ontarienne.
Pour bien des épargnants, gérer ses placements demeure un sujet fastidieux et intimidant. «Si l’investisseur comprenait mieux l’impact financier de payer trop de frais, année après année, il se renseignerait davantage, souligne Yves Rebetez, consultant chez Credo. Lorsqu’on réalise que des frais démesurés peuvent gruger jusqu’à 30 % de notre pécule au cours d’une vie, ne pas savoir et ne pas comprendre sont effectivement des erreurs coûteuses. Cela représente des dizaines voire des centaines de milliers de dollars.»
Selon Maxime Gauthier, cette perception de ne pas payer pour des conseils financiers est probablement plus importante dans la frange de la population qui traite avec une succursale bancaire. «La personne qui prodigue des conseils en succursale est souvent payée par l’institution financière et non par le manufacturier des fonds d’investissement. Ce ne sont pas des commissions de suivi comme c’est le cas dans les réseaux indépendants ou les firmes de courtage en valeurs mobilières», avance le représentant en épargne collective.
L’IFIC sonde également chaque année 1 000 investisseurs en fonds communs de placement et, pour la première fois, en 2019, 500 détenteurs de fonds négociés en Bourse (FNB). Cette enquête téléphonique menée par la firme de recherche indépendante Pollara permet de dresser certains constats postMRCC2.
Ainsi, environ les trois quarts des répondants se rappellent avoir reçu leurs relevés annuels de frais et de rendement. Encore doivent-ils les lire : le plus récent sondage révèle que 63 % des investisseurs en fonds communs de placement l’ont fait. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on évalue la qualité de l’information qui se trouve dans ces relevés annuels. À la question «Le relevé indique clairement les frais que je paie à la société de mon conseiller ou courtier», environ la moitié seulement des répondants considère que cette information est bonne ou excellente. Quant à la facilité à comprendre ces relevés, plus des deux tiers (67 %) des répondants disent que c’est le cas, bien que ce chiffre s’élevait à 82 % en 2017. Il reste donc du travail à faire pour améliorer les perceptions, reconnaît Paul Bourque.
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Existe- t-il un état de compte idéal ?
Quelles barrières freinent la compréhension des investisseurs ? Difficile à cerner avec certitude, mais des études menées par l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) et la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), en collaboration avec des universités et des firmes de recherche, pointent des facteurs psychologiques et cognitifs. Des spécialistes de l’économie comportementale constatent que plusieurs biais, comme de l’anxiété, peuvent conduire les investisseurs à ne pas remettre en question l’information reçue. « Parfois, on ne lit pas l’information si elle est trop dense ou si elle ne semble pas nous concerner directement », explique Paul Bourque, président de l’IFIC.
Il faut également s’assurer que ce rapport annuel n’est pas dilué dans un trop- plein de chiffres et d’informations. « Même lorsque l’épargnant comprend ses relevés, il ne sait pas toujours comment agir et prendre les bonnes décisions par la suite », indiquent les recherches de la CVMO. On pourrait donc suggérer des moyens d’intervention écrits afin de faciliter les démarches de l’investisseur. Par exemple, en spécifiant dans le rapport : vous souhaitez réduire le nombre de transactions dans vos comptes ? Contactez- nous à tel numéro… L’aspect visuel des rapports pourrait aussi être repensé, tout comme la possibilité que ce relevé annuel soit envoyé séparément des autres rapports trimestriels afin de souligner son importance. On explore ainsi de nouvelles façons de présenter les relevés de rendement et de frais aux investisseurs. On souhaite également simplifier le vocabulaire financier en vulgarisant des termes plus ou moins obscurs tel que les « commissions de suivi » ou « les paiements reçus de tierces parties ». Finalement, on souhaite aussi tester l’utilisation de technologies en ligne et d’applications web afin de faciliter l’expérience des détenteurs de fonds communs de placement, observe Paule Bourque.
Si l’état de compte idéal n’existe pas, c’est qu’il dépend souvent de notre degré de connaissance financière, lequel est très variable dans la population. Idéalement, notre courtier ou notre représentant sera actif en ayant des discussions franches sur les rendements et les frais qu’on paie. Il ne doit pas présumer qu’on l’a lu, et surtout, que l’on en comprend les ressorts. « On doit expliquer au client comment fonctionne l’industrie des services financiers. Quel est mon rôle comme représentant en épargne collective, celui de la firme de courtage, toute comme le gestionnaire de fonds qui fera fructifier l’épargne en respectant son mandat. Tout ce monde est rémunéré pour ses services et cela se traduit notamment par le ratio de frais de gestion qu’il faut décortiquer », résume Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici services financiers.